Une poursuite très probable du retour à la moyenne

par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions de Dexia Asset Management

Les marchés des actions connaissent actuellement plusieurs changements d'importance. Fin 2010, les marchés émergents ont perdu leur leadership, au même titre que plus récemment les valeurs internationales cycliques de croissance. Aussi, il est justifié de se poser des questions sur l'évolution future et le leadership de marché.

Il est peut- être l'heure d'une correction tardive, ou alors la rotation sectorielle durera plus longtemps que prévu. Nous doutons que les valeurs financières puissent continuer à agir comme moteurs des marchés.

Les marchés des actions ont été fortement surachetés et une correction tarde à se produire. La crise égyptienne pourrait servir de bouc émissaire. Les investisseurs craignent que les tensions politiques en Egypte ne conduisent à la fermeture du Canal de Suez et perturbent le commerce de pétrole. Ces inquiétudes ont porté le prix du baril de brut au-delà des 100 dollars.

Or la surperformance des actions des marchés développés par rapport aux actions émergentes reste une réalité. Le contexte nous rappelle que les économies en voie de développement sont exposées à un risque politique parfois associé à des changements sociaux traumatisants. À noter également que cette vague de tensions a été déclenchée par l'inflation des produits alimentaires en Tunisie, soulignant le malaise actuellement ressenti par les gouvernements du monde émergent.

Le risque imminent le plus important qui pèse sur les économies développées concerne la principale ressource de la région : le pétrole brut. Toute instabilité politique d'une grande nation exportatrice ou toute perturbation des voies de transport peut entraîner un reflux significatif des marchés des actions.

Si une correction de milieu de cycle devait se réaliser en ce début d’année, elle dominera le comportement des marchés des actions tout au long du premier semestre de cette année. L'inflation des produits alimentaires a toujours été un catalyseur de malaise social. Les tensions de marché provoquées par la politique des pays en voie de développement nous démontrent que le cycle bénéficiaire des actifs générés par ce boom est arrivé à maturité.

La zone euro continue de rencontrer des difficultés à rompre le cercle de la dette non viable, et certains progrès ont été réalisés à la suite de la dernière série de discussions de crise au sujet du Portugal. Une nouvelle vague de tensions contraint les autorités européennes à envisager des mesures politiques supplémentaires : expansion du FESF et éventualité du rachat de dette publique. L'atténuation des tensions peut s'avérer temporaire si les nouvelles propositions portent exclusivement sur la question de la liquidité.

Un renflouement du Portugal ne mettra pas un terme à la crise. L'Europe devrait plutôt envisager une solution plus globale, qui pourrait prendre la forme d'un renforcement de la facilité de crédit de la zone euro, d'un programme complet de recapitalisation des banques européennes, de nouveaux achats d'obligations par la BCE, ou d'une conjugaison des trois. Jour après jour, il semble que des progrès soient réalisés et que les investisseurs commencent à croire dans une solution globale, définitive et complète, au point que les spreads des pays périphériques se sont redressés fin janvier/début février. Sous certains aspects, l'Allemagne a un grand intérêt à maintenir un environnement de crise, car il lui offre le levier nécessaire pour obliger les pays européens très endettés à trouver une solution budgétaire.

L'Allemagne continue de faire pression pour un durcissement des règles et une meilleure application en échange de davantage de solidarité. Angela Merkel a récemment déclaré que l'Allemagne ferait "tout ce qui est nécessaire pour garantir la stabilité de l'euro". En outre, la BCE, qui ne parvient plus à contenir son exaspération, a récemment réprimandé les gouvernements budgétairement irresponsables, déclarant que cet ensemble de systèmes monétaires artificiels de survie ne seraient pas éternellement maintenus, même s'ils viennent d'être étendus. La BCE a exprimé clairement qu'elle appelait les gouvernements à améliorer l'efficacité "quantitative et qualitative" du FSFE.

En dépit du catastrophisme qui entoure la dette souveraine, la situation économique progresse, ce qui pourrait également expliquer la récente diminution des spreads de crédit. La confiance économique de la zone euro reste proche de ses niveaux d'octobre 2007. Les craintes persistantes concernant la dette souveraine n’ont pas ou peu d'effet sur la confiance de la zone euro.

L'inflation de la région a dépassé l'objectif de la BCE pour la première fois depuis le début de la crise financière. La BCE commence à se soucier davantage de sa mission principale, à savoir le maintien d'une faible inflation. Et considérant le risque d'inflation mesuré à moyen terme, elle reconnaît que le profil de risque pourrait augmenter, signe qu'avec une crise souveraine toujours en voie de résolution, nous pourrions assister à une décorrélation totale entre sa politique monétaire standard et ses mesures non conventionnelles. Tandis que le rythme de l'activité économique continue de s'accélérer, le risque est passé soudainement d'un ralentissement et d'une déflation vers un risque d'inflation et de hausse des taux d'intérêt. Nous découvrons les conséquences négatives du QE2. Les mesures de relance monétaires destinés à résoudre les problèmes d'endettement massif entraîneront uniquement une hausse des taux des crédits hypothécaires, donnant ainsi un nouveau souffle au marché fragile de l'immobilier, ce qui aura des conséquences pour le système bancaire. Une reprise plus ferme, imputable aux injections de liquidités du gouvernement, passera par une hausse des taux d'intérêt. La Chine, mais également la quasi-totalité du monde émergent, luttent contre une intensification des pressions inflationnistes. Le Brésil a agi de manière agressive afin de freiner l'appréciation du real en imposant des exigences de fonds propres aux positions de change des banques locales. La flambée des prix des produits alimentaires commence à provoquer des tensions sociales au sein du monde émergent, à l'image de celles connues en 2008. Des millions de personnes en Inde dépensent plus de la moitié de leur budget dans l'alimentation, dont les prix y progressent actuellement à un rythme annuel de près de 20 %.

Tous les projecteurs étant braqués sur la crise de la dette souveraine, personne ne prête attention aux évènements aux États-Unis, où le risque majeur est davantage la politique budgétaire que monétaire. Le dernier projet de relance portera le déficit à environ 10 % du PIB en 2011. D'importance équivalente, les tentatives d'adoption ou les projets d'adoption d'une politique de durcissement ont échoué. En dépit des débats houleux sur le déficit, Washington ne semble pas disposé à faire les choix douloureux nécessaires à des réductions budgétaires significatives. La dernière proposition de l'administration Obama aurait un impact très réduit sur le déficit à court terme. Le gel des dépenses et la réduction des dépenses du secteur de la défense ne réduiraient le déficit que de 9,9 % à 9,8 % du PIB. Les récents évènements soulignent l'absence d'une stratégie de sortie des politiques budgétaires « de fortune ». Bien que le moment soit venu pour un durcissement budgétaire agressif, le pays a besoin d'un plan de sortie.

Si la plupart des nations développées ont pris des mesures pour réduire leur dette publique grandissante, les États-Unis ont annoncé de nouvelles mesures budgétaires de relance. La question est de savoir pour combien de temps les États-Unis pourront encore éviter de réduire leur déficit ? Les efforts de gestion du déficit budgétaire à long terme ont été abandonnés. Il n'existe pas de plan concret destiné à résoudre la détérioration à long terme du budget du gouvernement fédéral. Le déficit à court terme est en voie de progression et non de réduction. Les États-Unis sont loin d'une crise de la dette, mais le récent déclassement de la dette japonaise rappelle que même les grandes économies ne sont pas épargnées par les craintes concernant la hausse des déficits. Ces deux économies font face à des problèmes budgétaires à long terme en raison de leur évolution démographique, et aucune d'elle ne devrait être capable à s'en sortir par la croissance uniquement. Rares sont les hommes politiques américains disposés à faire des choix douloureux. Il existe un risque de hausse des taux d'intérêt et donc – sur le plan des marchés des actions – un risque de baisse des multiples de valorisation. A un certain stade, les marchés financiers pourraient être contraints de sommer le gouvernement américain de réagir. Bien que le marché obligataire soit jusqu'à présent assez optimiste sur cette question, nous estimons qu'il progressera et sera un moteur clé des marchés cette année et en 2012.

Si la tendance haussière de l'économie américaine est actuellement établie, des questions restent en suspens – notamment à savoir quel niveau de croissance 2011 a été hypothéqué sur 2012 et dans quelle mesure un pétrole à plus de 100 dollars gomme les avantages du prolongement des réductions d'impôt. Si la qualité des statistiques économiques de l'économie américaine a ravivé l’intérêt des investisseurs, il reste à savoir si la croissance de 4 % des dépenses de consommation enregistrée au 4è trimestre 2010 peut être maintenue sur l'année, compte tenu des problèmes auxquels font face les consommateurs. Le marché résidentiel reste une source d'inquiétudes aux États-Unis, en raison des conséquences potentiellement significatives sur la confiance et les dépenses des consommateurs.

Il semble avoir renoué avec sa tendance baissière séculaire à la suite d'une brève période de stabilité ultérieure à la crise. L'Egypte, tant politiquement qu'économiquement, est un pays clé au Moyen-Orient. Important allié de l'Occident, il s'agit également de l'un des principaux centres du Moyen-orient et, politiquement, l'un des deux pays arabes à avoir signé un accord de paix avec Israël. Sur le plan économique, le pays abrite le Canal de Suez, où transite environ 7,5 % du commerce maritime mondial. Même si les problèmes de la Tunisie et de l'Egypte sont différents, le niveau de vie dans les deux pays fut le principal catalyseur des troubles. Ces évènements nous rappellent les conséquences des déséquilibres significatifs qui demeurent dans le monde, même si nous sommes actuellement en voie de reprise économique. Quand la Réserve fédérale a lancé son nouveau plan d’assouplissement quantitatif, nous avons affirmé qu'il aurait des conséquences involontaires, même si nous n'avons pas pu immédiatement spéculer sur leur lieu de survenance.

Nous estimons que la sous-performance actuelle des marchés émergents par rapport aux marchés développés persistera jusqu'à ce que les craintes inflationnistes soient maîtrisées. Bien qu'une correction tarde à se produire, nous sommes au sein d'un marché conditionné par la dynamique. Et bien que le marché d'actions reste conditionné par des révisions à la hausse des bénéfices et des statistiques économiques supérieures aux attentes, la rotation actuelle est un défi au leadership 2009/2010. Cette rotation sectorielle est-elle justifiée par les moteurs sous-jacents ou non ?

Bien que le marché soit submergé par une rotation sectorielle/stylistique mondiale, il convient d'identifier les facteurs propres aux entreprises en général, et examiner les changements tangibles de la dynamique des estimations. En cas de retour à la moyenne, la question est toujours de savoir s’il traduit une évolution des facteurs de prix ou le début d'une inversion de tendance.

La polarisation constatée l'an dernier disparaît pour une raison simple : les créanciers (pays émergents) partagent aujourd'hui les problèmes de leurs débiteurs (pays développés). Ces derniers exportent leurs problèmes aux premiers, qui ne sont pas encore disposés ou capables d'assumer la responsabilité de la stabilité économique au-delà de leurs frontières.

Jusqu'à aujourd'hui, nous avons assisté à une rotation sectorielle et de style de gestion. Le risque est désormais celui d'une correction de marché, dans la mesure où les valeurs financières ne sont pas suffisamment solides pour permettre aux marchés des actions de poursuivre leur ascension. Et les problèmes posés par les valeurs locales de rendement n'ont pas disparu. Il y a deux mois, nous affirmions que 2011 ne serait pas une simple extrapolation de 2010, ce qui aurait été trop simpliste. Nous suggérions que la zone euro pouvait réserver de bonnes surprises.

La dynamique est une bonne chose jusqu'à ce qu'elle s'inverse

Le secteur des machines et du matériel électrique a bénéficié de nombreuses révisions à la hausse du consensus pendant l'année, portant son CFROI prévisionnel à 12 mois à 12,5 % ce qui, en ligne avec la médiane à 5 ans, est supérieur de 50 % à la médiane à 10 ans. Depuis décembre, le total des révisions à la hausse a diminué, ce qui pose problème sur le plan des valorisations, dans ce sens que le secteur est valorisé pour maintenir des performances et une croissance durable pendant les 5 prochaines années, comme le montre le schéma suivant sous l'angle de Holt.

Bien que ce ne soit pas un problème en soi, l'inflation des intrants peut changer les règles du jeu. Nous évitons les entreprises à forte intensité en actifs (faible rotation des actifs), au pouvoir de fixation des prix limité (CFROI moyen à 5 ans inférieur à 8,5 %, avec un spread positif limité par rapport au coût du capital prévisionnel) et dont le coût des marchandises vendues représente plus de 2/3 des ventes.

Inflation au sein des marchés émergents

La menace de l'inflation au sein des marchés émergents se renforce, avec une inflation globale supérieure à la moyenne à 6 mois dans des pays tels que la Russie, le Brésil, la Chine, le Mexique et la Corée du Sud, et une inflation de base en voie d'accélération sur la quasi-totalité des marchés. L'Inde, la Corée et le Mexique affichant une inflation proche du niveau atteint en 2008, les taux officiels pourraient renouer avec leurs niveaux de fin 2007.

Aucun pays n'affiche d'inflation globale supérieure aux sommets de 2008, bien que le Brésil en soit proche (6,4 %). Au Brésil, l'inflation de base actuelle (5,6 %) est supérieure à son plus haut de 2008 (5 %). L'inflation des produits alimentaires en Inde et en Corée du Sud est près de deux fois supérieure à la moyenne 2008. La Chine reste un joker sur ce plan.

Au début de chaque année, le gouvernement chinois publie l'une après l'autre des annonces sur ses objectifs économiques. En 2011, le gouvernement vise une croissance de 8 % de son PIB et une inflation de 4 %. Même avec un objectif d'inflation supérieur, l'un des principaux défis du gouvernement sera de contenir l'afflux abondant de liquidité au sein de l'économie et de juguler l'inflation. Le crédit bancaire – l’indicateur le plus précis des investissements corporels et de la santé générale de l'économie – s'est à nouveau accéléré au 4è trimestre, portant le crédit total à 6 % de plus que l'objectif officiel du gouvernement pour 2010, comme le montre le schéma suivant.

Jusqu'à présent, la réponse politique de la Chine a été tempérée. Le gouvernement a relevé le ratio de réserve de 50 points de base supplémentaires début janvier, après avoir relevé de 25 points de base ses taux d'intérêt à fin décembre. Les taux d'intérêt restent actuellement trop faibles.

Quel est le problème des valeurs de croissance ?

Nous avons identifié deux indicateurs fondamentaux, en plus du marché, qui montrent que le positionnement des investisseurs était extrême. Premièrement, l'économie mondiale progresse et les craintes déflationnistes ont disparu, incitant les investisseurs à acheter des valeurs de croissance à n'importe quel prix. Deuxièmement, les rendements obligataires explosent, même au sein de pays refuges tels que l'Allemagne.

Cette situation a des conséquences profondes sur les marchés des actions, sur le plan du style et du leadership. Toutes choses étant égales par ailleurs, une hausse continue des rendements obligataires n'a pas le même impact sur chaque valeur. Les valeurs à PER élevé seront notamment durement touchées dans la mesure où elles sont considérées comme des valeurs à long terme. Une comparaison entre le PER inversé de LVMH (rendement synthétique des actions) et les rendements obligataires de la zone euro peut être fournie à titre d'illustration.

Dans des circonstances normales, le PER de LVMH ou, à tout le moins, son PER relatif (écart avec le PER de marché) devrait diminuer.

La qualité des statistiques économiques des marchés émergents ces derniers mois, conjuguées aux propos plus rassurants des autorités européennes au sujet de la dette souveraine, semble avoir renforcé la confiance du marché dans le cycle économique. Dans ce contexte, les investisseurs procèdent finalement à des rotations en faveur des valeurs de rendement, qui enregistrent traditionnellement une performance satisfaisante à cette étape du cycle. Au cours des 30 dernières années, l'indice MSCI Europe Value a toujours surperformé l'indice MSCI Europe Growth au cours des 12 mois qui suivent un pic du taux de chômage américain. Même en cas de progression des statistiques économiques, ce cycle tend à être différent, aussi nous ne pouvons pas garantir que toutes les règles générales s'appliqueront. Nous avons notamment constaté que ce n'était pas le cas l'an dernier avec le secteur des biens d'équipement. Le débat entre croissance et rendement n'a jamais été aussi intense. Entre 2004 et 2007, nous avons assisté à une reprise économique mondiale, un contexte toujours favorable au style « value ». En 2010, les craintes déflationnistes ont altéré la relation entre ces deux styles. Aujourd'hui, le contexte de marché est plus favorable aux valeurs de rendement (au moins sur le plan des valorisations).

Le marché nous envoie certains messages : Nous avons atteint un stade où la déstabilisation financière du monde émergent en plein boom est telle que sa croissance doit ralentir Le boom des actifs cycliques internationaux atteint un plus haut.

La fin d'un marché binaire

Compte tenu du fait que le potentiel de marché provient de la contraction de la prime de risque, nous privilégierons les entreprises les plus affectées. Les primes de risque actuellement offertes par les actifs financiers sont supérieures aux niveaux précédemment associés aux conditions de risque similaires. Une correction de milieu de cycle du thème de la croissance mondiale dominera le comportement des marchés des actions au premier semestre de cette année. L'inflation des produits alimentaires a toujours été un catalyseur de malaise social. Les tensions de marché provoquées par les dilemmes politiques de ces marchés développés nous montrent que le cycle bénéficiaire des actifs générés par ce boom est arrivé à maturité. 

Il est intéressant de constater le contraste très important entre le cycle bénéficiaire et les multiples de cours des secteurs domestiques d'une part et la croissance mondiale d'autre part. Il est très dangereux d'extrapoler les divergences.

Le degré actuel de divergence entre leur rentabilité relative et leur croissance bénéficiaire n'est pas durable, de même que la divergence de leur valorisation relative. Nous n'avons jamais été convaincus par les perspectives du consensus pour 2011, selon lesquelles les investisseurs devraient extrapoler les divergences extraordinaires de 2010.

Une fois encore, le potentiel haussier des marchés européens des actions tient à l'expansion des multiples. Les valorisations sont devenues moins onéreuses, en dépit de la forte baisse du risque de récession en double creux.

Stratégie : continuer à suivre le mouvement

Le leadership de marché reste un véritable dilemme pour les actions européennes. Bien qu'un retour à la moyenne ait commencé à s'opérer en décembre 2010, il n'a pas été facile d'identifer une tendance durable à cette époque. Le retour à la moyenne s'est accéléré en janvier et la sagesse conventionnelle est en plein déni. Les opérations sell-side sont un indicateur qui montre qu'il ne s'agit pas d'une tendance à long terme et que les investisseurs devraient acheter des valeurs émergentes en cas d'accès de faiblesse.

En comparant les performances sectorielles 2010 avec les chiffres depuis le début de l'année, on constate semble-t-il une forte et brutale inversion sectorielle. A part quelques secteurs (à savoir l'automobile), les valeurs les plus performantes en 2010 sous-performent actuellement le marché. D'autre part, les mauvais élèves de l'an dernier (finance, pétrole et gaz, télécommunications et services aux collectivités) ont enregistré les meilleures performances depuis le début de l'année. Cette situation contraste avec la dynamique qui a porté les marchés des actions entre septembre et décembre. La corrélation entre les révisions bénéficiaires et la performance sectorielle est devenue négative.

Ce retour à la moyenne ne doit pas être mis uniquement sur le compte du positionnement extrême des investisseurs. Comme nous l'avons toujours dit, l'inflation au sein du monde émergent et son pendant, à savoir l'inflation des intrants au sein des pays développés, est actuellement un facteur clé fondamental. Nous avons profondément modifié nos choix sectoriels en janvier, le pouvoir de fixation des prix marquant la ligne rouge entre les frontières sectorielles. Nous avons par exemple allégé notre surpondération historique de l'industrie agroalimentaire. La hausse du coût des intrants nous rend plus prudents vis-à-vis des produits alimentaires. Les brasseurs offrent le plus fort potentiel de révisions à la hausse des bénéfices, et le coût de leurs intrants est largement couvert. Les coûts des intrants semblent devenir un obstacle en 2011. L'évolution des coûts des intrants, aux rangs desquels les matières premières (blé, sucre, café, lait, etc.) et l'emballage (verre, papier, pétrole), a un impact significatif sur la rentabilité des biens de consommation de base, comme en 2008 lors du point haut atteint par les matières premières. Avec la plus forte exposition aux matières premières et aux coûts d'emballage (estimés à 30/35 % des ventes), l'agroalimentaire est le secteur le plus exposé. En 2010 cependant, les entreprises agroalimentaires ont subi une hausse de 2 à 3 % de l'inflation du coût des intrants, qui devrait être supérieure en 2011 d'après les estimations. Aucune des entreprises agroalimentaires n'a pour le moment fourni de prévisions sur le coût de ses intrants 2011. Les producteurs de spiritueux sont moins impactés, dans la mesure où le prix/mix est un facteur supérieur de marge brute, et les frais généraux et administratifs sont un levier de marge EBIT significatif.

Nous avons également renforcé notre sous-pondération des fabricants de biens d'équipement et des valeurs minières. Comme démontré précédemment, ce segment de marché – très vulnérable à la rotation sectorielle/stylistique – était parfaitement valorisé et apprécié à l'excès par les investisseurs. Au sein du secteur, les valeurs conditionnées par la dynamique devraient être sacrifiées au profit des titres « value » comme Vinci et Saint Gobain.

Nous traversons une série de déceptions, dont l'une d'elles est la saison de publication des bénéfices. Talonné par Electrolux et SKF, Sandvik a publié une série de chiffres très mitigés. Sandvik est généralement une entreprise aux coûts fixes très élevés, de sorte qu'il est inquiétant de voir l'EBIT du groupe sensiblement inférieur aux prévisions.

Ces entreprises font face à une forte hausse de leurs coûts, peut-être à un rythme supérieur aux prévisions de nombreux analystes. Les prévisions des analystes sur ce secteur incluent une forte croissance du CA imputable à la demande soutenue des marchés émergents. Or les prévisions de marge sont peut-être trop optimistes ; la part de marché et le pouvoir de fixation des prix jouent un rôle encore plus prépondérant dans la détermination de notre performance dans les prochains mois.

Nous sommes devenus plus constructifs sur le secteur des services aux collectivités après une évolution controversée. Les services aux collectivités ont rejoint le camp des secteurs les plus détestés. D'après nous, le marché commence maintenant à intégrer correctement le risque lié au faible niveau du BPA 2011 et 2012. Bien que les grandes sociétés de services aux collectivités ont beaucoup souffert de la compression des marges du gaz en 2011, le marché a extrapolé cette tendance alors que les cours du gaz commencent à rebondir.

Enfin et surtout, l'évolution la plus importante est notre changement d'opinion sur le secteur bancaire, que nous sous-pondérions depuis longtemps et pour lequel nous avions promis de devenir plus constructif. Nous avons pris la première mesure fin novembre-début janvier. Nous sommes passés à surpondérer début janvier et utilisé les valeurs espagnoles comme catalyseur potentiel, estimant qu'une hausse éventuelle tiendrait à une contraction de la prime de risque.

En règle générale, nous observons que les corrélations (indépendamment du calendrier) diminuent.

Il s'agit d'une bonne nouvelle pour les spécialistes de la sélection de valeurs, en raison de l'importance des valorisations en cas de baisse des corrélations.

La vulnérabilité des valeurs conditionnées par la dynamique ne signifie pas que nous devons acheter n'importe quel titre « value ». Philips se classe généralement comme une valeur de rendement, présentant une décote par rapport à ses concurrents et des multiples faibles à un chiffre. La société a fini par décevoir et la valeur a cédé 6 %, en dépit des révisions à la baisse de ses prévisions en octobre. 

 La clé réside désormais dans le pouvoir de fixation des prix. Nous nous tiendrons à l'écart des entreprises qui, en dépit de leur style « value », ne disposent pas de pouvoir de fixation des prix et subissent une compression de leurs marges (Ex.: Lafarge). Nous profiterons également du rally généralisé des valeurs en difficulté pour solder les valeurs qui ne remplissent pas le critère de pouvoir de fixation des prix. À titre d'exemple, Deutsche Post est un bon candidat à la vente. Dans les prochaines semaines, la rotation sectorielle devrait se poursuivre, même si elle est rejetée par les courtiers sell- side. Elle sera stimulée par les questions incessantes sur l'inflation au sein des marchés émergents et une reprise économique supérieure aux attentes aux États-Unis. Le risque de correction à court terme progresse.

A court terme, nous conservons une position long/short entre les banques et les valeurs cycliques internationales, afin de ne pas accroître excessivement le bêta du fonds, compte tenu du risque de correction de marché. Plus tard dans l'année, nous aurons de meilleures opportunités pour nous repositionner sur les valeurs tirées par les marchés émergents.