Les marchés intègrent un scénario de récession globale

par Pascale Auclair, directeur général LFP, Michel Didier, président du Conseil d' Orientation Stratégique et Joël Konop, responsable Gestion Diversifiée à la Française AM

Après l’effondrement des bourses occidentales et le chaos sur l’ensemble des classes d’actifs risqués observés cet été, septembre voit l’épicentre des inquiétudes se déplacer très nettement des pays développés – Etats-Unis mais surtout Europe – vers les zones émergentes.

Les marchés actions américain et européen soufflent en opérant une phase de consolidation baissière d’amplitude mesurée (autour de -5 %), tandis que les marchés émergents, bourses et devises, cèdent brutalement au pessimisme et opèrent un violent rattrapage à la baisse. Les indices Bovespa (Brésil) ou Hang Seng (Chine), s’affichent ainsi à -25 % YTD, en ligne avec le repli annuel des indices européens.

Concomitamment, les matières premières plongent de 10 % en un mois, le pétrole en particulier, les devises émergentes s’effondrent, les courbes de taux des pays refuges (USA, Allemagne) poursuivent leur aplatissement, et le dollar rebondit tandis que l’or opère un retournement brutal et inattendu dans ce contexte d’aversion persistante au risque. La seule lecture de ces indicateurs financiers aboutit à une conclusion sans appel : les marchés intègrent désormais un scénario très sombre de récession globale dont ne sont plus exclus les pays qui, jusqu’alors, tiraient la croissance mondiale. Le pire est-il pour autant certain ?

  • Outre-Atlantique, à ce stade, le décrochage tant redouté de l’économie américaine n’a pas eu lieu si l’on en croit la teneur des indicateurs instantanés publiés tout au long du mois. L’activité a donc tenu en aout, le verdict pour l’automne est plus aléatoire, mais les indicateurs avancés de type ISM ne valident pas pour l’instant de manière tranchée l’entrée en récession.
  • Les nouvelles en provenance des leaders de la croissance mondiale sont objectivement plus inquiétantes : jusque-là résilients, Corée, Chine, Russie, Brésil… sont en proie au doute. Rupture dans la production industrielle coréenne, Chine partagée entre bien-fondé d’une politique de relance et contrôle des prix, Russie malmenée par le décrochage du prix du pétrole et la fragilité de son modèle économique, chute vertigineuse du Réal qui perd 18 % contre $… toutes ces observations permettent de réaliser, une fois de plus, que le découplage des économies est une notion bien théorique pour les marchés. Mais cette imbrication des grandes économies mondiales n’est pas incompatible avec le maintien d’un écart de croissance très favorable aux pays émergents, dès lors que les circuits de financement internationaux ne se grippent pas…
  • Enfin l’Europe, au bord de la récession, avance à pas hésitants dans la mise en œuvre des décisions du plan du 21 juillet : la Grèce ne pourra pas respecter ses engagements budgétaires malgré les efforts fournis et l’audit fiscal de la Troïka dont dépend le versement de la 6e tranche de 8 Mds€ d’aide, se solde par un report en novembre de tout octroi. Les conditions financières du PSI sont en outre rediscutées mais la probabilité d’une adhésion importante du secteur privé augmente au fil de la dégradation des conditions de marché… et l’idée d’une 2e phase de restructuration, post bouclage du PSI et sur les souches non concernées, fait son chemin.

L’autre chantier politique majeur consiste désormais à tenter de juguler le risque de contagion, et là, saluons la bonne nouvelle de la ratification de l’extension des moyens du FESF par l’Allemagne, qui augure d’un succès dans les derniers pays non encore engagés. La BCE, aux côtés des autres grandes banques centrales, veille à assurer liquidité et stabilité au système bancaire dans la tempête : au-delà des supputations sur l’imminence d’une baisse des taux, il nous semble plus intéressant de noter l’extension des collatéraux à tout type de dettes, ce qui élargit amplement l’accès à la liquidité !

Dans ce contexte d’extrême défiance, seules des décisions politiques courageuses et une gouvernance mondiale plus synchrone sont à même d’éviter que le choc d’incertitude qui menace actuellement la croissance mondiale ne dégénère en une contraction auto-entretenue de l’activité économique. L’évolution récente de la position allemande est porteuse d’espoirs mais le chemin est encore long et les investisseurs traumatisés. La perspective de cet automne sous haute tension milite toujours pour une allocation prudente en dépit des opportunités à moyen terme qui se dessinent dans ces marchés souvent excessifs.

Les moteurs de l’activité économique mondiale ne sont pas à l’arrêt, mais ils tournent désormais au ralenti. Dès le deuxième trimestre, la croissance mondiale était tombée au rythme de 2,5 % l’an et tous les indicateurs récents reflètent un nouveau ralentissement au cours de l’été. On peut s’attendre au mieux à un taux de l’ordre de 2 % au troisième trimestre. Le ralentissement est général et le "couplage" des économies est presque parfait, montrant l’interdépendance très forte entre les zones économiques du monde et la concordance des mouvements conjoncturels. Cette situation ne doit pas masquer que les tendances de moyen terme ne sont pas les mêmes dans tous les pays.

L’Europe et les Etats-Unis sont depuis une dizaine d’années sur des tendances assez proches en termes de croissance par habitant (0,7 à 0,8 % l’an en moyenne sur la période 2000- 2010), les pays émergents sont 4 à 5 points au-dessus. Ces écarts persistent dans la phase de ralentissement de sorte que la croissance mondiale reste positive alors que l’Europe est au bord de la récession.

Les données récentes sur les Etats-Unis sont mitigées, mais meilleures qu’en Europe. L’industrie stagne, les commandes nouvelles à l’industrie augmentent. Cependant, l’activité dans les services continue d’augmenter, le secteur de l’immobilier reste déprimé avec toutefois un début de redressement des dépenses de constructions non-résidentielles du secteur privé.

L’Europe est peut-être déjà en récession. Les indicateurs de conjoncture se sont brutalement dégradés et les indices PMI de l’industrie et des services sont passés au-dessous du seuil de 50. La baisse boursière de l’été traduit ces changements de tendance mais elle va toutefois au-delà de ce que justifieraient les révisions macroéconomiques. Elle reflète aussi pour une large part la crainte d’une perte de contrôle des dettes publiques, peut-être même l’incertitude sur la pérennité de la zone euro en tant que zone monétaire.

Le problème est que la crise financière s’est étendue au-delà des frontières européennes. L’indice boursier moyen des pays émergents a désormais reculé de 25 % et le spread entre le taux moyen des pays émergents et le taux américain (indice EMBI + global) s’est brutalement tendu de 275 à 430 points de base. La diffusion de la crise financière fait craindre un effet de retour négatif sur l’économie réelle, c'est-à-dire sur la croissance économique. On notera d’ores et déjà un repli des importations du Brésil et une dégradation des indices du climat industriel en Chine.

Par ailleurs, la contraction des importations chinoises exerce un effet dépressif sur l’économie mondiale. Paradoxalement, la désinflation amorcée à l’hiver dernier et qui se poursuivait depuis paraît interrompue. Le taux d’inflation de la zone euro de septembre est de 3,05 % en glissement annuel et de 3,25 % en rythme annualisé sur les trois derniers mois. Ce rebond peut difficilement s’expliquer dans le contexte actuel de stagnation de l’activité et de baisse des prix des produits de base et il devrait être temporaire.