2012 : Poursuite de la préservation du capital ou (enfin) un redéploiement du risque ?

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse d’Amundi AM

Pour les allocataires d’actifs, l’année 2011 a mis en exergue plusieurs aspects :

– Tout d’abord, la nécessité d’adopter une approche davantage en ligne avec la préservation du capital que le déploiement du risque. En novembre, par exemple, toutes les classes d’actifs ont chuté. Les rebonds de marché ont été passagers, parfois significatifs, mais toujours éphémères.

– La hausse de la volatilité, plus particulièrement après l’été (une énigme qu’elle soit restée aussi faible pendant la première partie de l’année) a bien évidemment affecté le « beta » des classes d’actifs risqués. En période de hausse de volatilité, les spreads de crédit ont toujours tendance à s’écarter et ce marché, qui avait pourtant bien tenu pendant une bonne partie de l’année (la santé et la gouvernance des entreprises est bien meilleure que celle des États, ce qui a été un atout incontestable …) a finalement rendu les armes, affecté par ailleurs par la recherche de liquidité et le manque de visibilité sur la crise de la dette. Le marasme a été tel que les indices de crédit indiquent désormais implicitement des taux de défaut ridiculement élevés. La capitulation des investisseurs a rendu les valorisations extrêmes. Quant aux actions, les chutes ont parfois été très douloureuses : -18% pour l’Eurostoxx50, -19% pour le CAC40, -15% pour le DAX, -18% pour le NIKKEI, -13% pour le MSCI Europe …

– Mention spéciale pour les valeurs financières qui ont, en 2011, particulièrement souffert. Les banques européennes ont perdu entre 30% et 60% sur les marchés d’actions, si l’on met à part Dexia qui a, quant à elle, perdu 90% (comme le marché des actions grecques). Les banques américaines ont perdu entre 45% (Morgan Stanley, Goldman Sachs et Citigroup) et 60 % (Bank of America). A noter que JP Morgan n’a cédé « que » 25%. En ce qui concerne les CDS, l’ensemble du secteur financier a fait l’objet d’une défiance particulière : que ce soit en Europe, au Royaume-Uni ou aux États-unis, les primes de CDS ont nettement progressé (+80% à 90% pour HSBC, Lloyds, Crédit Agricole, Barclays, Citigroup, JP Morgan …), voire parfois très fortement (elles ont triplé dans le cas de BNP Paribas, Unicredit…).

– Les dettes souveraines ont évidemment vécu, de très loin, leur pire année en Europe. Les spreads 10 ans contre Allemagne se sont envolés, à 125pb pour la France (+85pb sur l’année), 1100pb pour le Portugal (+750pb), 370pb pour l’Espagne (+120pb), 470pb pour l’Italie (+280pb), 3300pb pour la Grèce (+2450pb). La prudence à l’égard des dettes souveraines devait être l’un des grands choix d’allocation d’actifs en 2011. A noter cependant le cas très spécifique de l’Irlande qui, grâce à des efforts de discipline et des résultats au-delà des espérances, a réussi à ramener son spread à son niveau de décembre 2010, soit 600pb (après avoir atteint plus de 1100pb en milieu d’année). Autrement dit, les efforts peuvent être récompensés … même par les investisseurs et les marchés financiers !

– Les marchés émergents ont également rendu les armes en 2011, affectés tout d’abord par l’envolée des matières premières (qui faisaient préférer les pays producteurs au détriment des pays consommateurs) et les poussées d’inflation dans bon nombre de ces pays, notamment à cause du prix des matières premières agricoles. Le ralentissement de la croissance et la chute des marchés d’actions en général, associée à la hausse de la volatilité a, une fois encore, affecté l’Asie et l’Amérique latine, et déconnecté performance des économies et performances des marchés d’actions.

 

 L’euro a plutôt bien tenu en 2011, tant que les réallocations de portefeuilles ont été effectuées à l’intérieur de la zone euro (conduisant à de fortes sous-pondérations des périphériques et à de fortes surpondérations de pays du noyau dur).

Lorsque la crédibilité de la zone toute entière est apparue, l’euro a pris un chemin baissier, et être short euro en « macro hedge » contre les détentions de dette souveraines a enfin été payant.

Autre caractéristique de 2011 : les portefeuilles se sont souvent retrouvés avec un facteur de risque commun, voire unique : la crise de la dette. Plus encore, les valeurs financières et les dettes souveraines ont fini par représenter le même risque. Comment, dans de telles conditions, diversifier ou protéger les portefeuilles ?

En fait, le plus grand enseignement de 2011 sur l’allocation d’actifs réside dans le rôle des obligations souveraines dans un portefeuille : considérés depuis longtemps comme un coussin permettant de prendre du risque ailleurs (d’où le terme d’actifs risqués, c’est-à-dire plus volatils mais de performance plus grande), ou encore comme une valeur refuge, ces actifs ont montré leurs limites. Depuis un peu moins de 10 ans, la situation est devenue très inconfortable : les actions ne livrent plus une très bonne performance à long terme, et les obligations souveraines ne jouent plus leur rôle de « coussin » d’amortisseur de risque. Comme, en plus, la diversification et la dé-corrélation ont également été battus en brèche par les crises successives, les grands concepts de construction de portefeuille se retrouvent contestés. La notion d’actif sans risque, à la base de nombre de constructions théoriques, est sans aucun doute à revoir. Dans ce contexte, que peut-on attendre de 2012 ?

2012 : 3 scénarios pour la zone euro, mais 2 allocations d’actifs type

Trois scénarios sont possibles pour 2012 (voir section précédente), mais un seul est en ligne avec du déploiement de risque dans les portefeuilles.

– Scénario d’enlisement : dans ce cas de figure, il convient de privilégier la préservation du capital (être long cash et sous-pondéré actifs risqués), de surpondérer les AAA actuels de la zone euro, d’être short euro contre dollar US, sous-pondéré actions zone euro, sous- pondéré financières, sous-pondéré crédit, sous-pondéré dette émergente locale, sous-pondéré actifs réels (matières premières, notamment pétrole et métaux), et de privilégier la liquidité dans les portefeuilles.Le risque de ce scénario, c’est qu’il peut conduire à un scénario d’apaisement … ou d’éclatement. L’enlisement n’est pas un scénario stable.

– Scénario d’éclatement : dans ce scénario également, il convient de préserver le capital (long cash et sous-pondération en actifs risqués), d’être sous-pondéré en dette européenne, y compris les AAA actuels, d’être short euro, long or, sous-pondéré actions, sous-pondéré financières, sous-pondéré crédit, sous-pondéré en actifs réels (matières premières). Il est également préférable de privilégier la liquidité dans les portefeuilles, de surpondérer le crédit vs souverains.

Le facteur de risque majeur est la crainte de voir la contagion se généraliser (dette US, banques US). Sur un plan politique, il y aurait un isolement de la zone euro sur la scène internationale, avec vraisemblablement un renforcement de l’axe (économique et politique) « économies émergentes – Etats-Unis », et de l’axe « Chine – Etats-Unis ». 

Scénario d’apaisement : seul ce scénario est propice à un redéploiement du risque dans les portefeuilles. En cas de résolution de la crise de la dette ou d’avancées majeures, il s’agira de sous-pondérer les AAA actuels de la zone euro, et d’être long souverains périphériques : les rachats de short leur donneront une tendance positive (en taux et en spreads). Privilégier également les positions suivantes : être short or, long actions, long financières, long crédit. Il faudra également miser sur une pentification de la courbe allemande, surpondérer le crédit vs souverains, et enfin réduire le cash dans les portefeuilles. Il ne faudra cependant pas sous-estimer le fait que la zone euro est en récession (baisse des profits, baisse des marges …), et que les ratings de tous les pays du noyau dur restent en risque. Ces deux risques sont néanmoins bien anticipés dans les prix.

Il est incontestable que les pays européens ont fait de réelles avancées lors du dernier sommet européen de l’année (8 et 9 décembre). Le fait que l’Allemagne ait eu des difficultés lors de sa toute dernière adjudication de bunds de l‘année n’est sans doute pas étranger au changement de ton et à la détermination des Gouvernements et banques centrales.

Mais il faut désormais valider concrètement ces bonnes intentions et les mesures annoncées. C’est seulement à cette condition qu’il faudra déployer du risque dans les portefeuilles et renverser une allocation d’actifs encore prudente.