Cap à l’Est ?

Le Japon traîne une image de puissance économique stagnante, la Russie de pays contrôlé par un clan et gangrené par la corruption. Pourtant, des investisseurs commencent à s’intéresser à ces pays. Car personne ne croit que l’Europe pourra résoudre ses problèmes rapidement.

Par un curieux retournement de l’histoire, l’Europe est en train de prendre la place du Japon dans l’esprit de nombreux financiers : un continent vieillissant et incapable de se réformer.
 
Le contraste avec les pays émergents était saisissant depuis une décennie mais le fait que l’arbitrage se fait aussi aujourd’hui avec le Japon et la Russie a de quoi interpeller.
 
Comme le rappelait récemment à Paris Mark Mobius, président exécutif et gérant de portefeuille de Templeton Emerging Markets Group, les pays émergents accumulent les avantages : croissance de 5,4% attendue cette année contre 0,8% pour les pays développés ; des réserves de change totalisant plus de 7.000 milliards de dollars contre moins de 4.000 milliards ; une dette publique représentant 30% du Produit intérieur brut contre plus de 100%. 
 
Pas étonnant que les pays émergents aient dépassé l’an dernier 800 milliards de dollars d’investissements cumulés en actions, soit une hausse de 2.823% depuis 1995 ! Pour autant, la capitalisation boursière totale des pays émergents ne représente que 35% de la capitalisation mondiale. La raison ? Il demeure une certaine réticence des investisseurs, d’où des ratios boursiers – notamment cours/bénéfices – inférieurs à ceux de l’Occident.
 
Mais tous les clignotants sont au vert : les ventes sont en hausse pour les ordinateurs, les motos, les voitures, l’accès à l’Internet. « Les gens veulent imiter ce qu’ils voient », souligne Mark Mobius pour expliquer cet engouement pour un mode de vie « occidental ». 
 
Cela n’est pas sans risque. Si on extrapolait le taux américain de consommation d’équivalent pétrole par tête d’habitant, le Brésil aurait besoin de 9 millions de barils/jours (bpj) supplémentaires par rapport aux 2 millions actuels, l’Inde 70 millions (contre moins de 5 millions) et la Chine de 73 millions (contre près de 10 millions). 
 
Il n’est pas certain que ce soit positif pour l’environnement mais il ne fait aucun doute que les pays émergents offrent des perspectives de croissance.
 
Mais quid de la Russie ? Marcus Svedberg, chef économiste de la société de gestion East Capital, soulignait récemment que le changement après la victoire de Vladimir Poutine à l’élection présidentielle n’était qu’apparent. Mais il estime qu’il y a des perspectives intéressantes d’investissement dans l’énergie ou le secteur financier et aussi dans les biens de consommation. « La Russie est un pays de classe moyenne, davantage que la Chine ou l’Inde ou même le Brésil », a-t-il souligné. On toutefois s’interroger sur un pays où le pouvoir peut confisquer des entreprises, y compris quand il y a des partenaires étrangers.
 
Reste le Japon. Comme le rappelle Romain Boscher, directeur des gestions Actions d’Amundi, la presse dresse généralement un tableau sombre avec des titres comme « un pays en faillite », « les exportateurs japonais vont être ruinés par l’appréciation continue du Yen », « l’avantage technologique longtemps détenu par le Japon lui est aujourd’hui ravi par la Chine », « la population déclinante du Japon est le début de la fin ».
 
Mais le pays dispose, selon lui, de solides atouts : une cohésion sociale, un coût de financement public extrêmement faible, une constance du compte courant excédentaire, une intégration avec les autres économies asiatiques, une compétitivité technologique extrêmement développée, un appareil industriel qui demeure extrêmement important.
 
Pour la technologie par exemple, le Japon y consacre 3,48% de son PIB à la recherche et développement (R&D) contre 3,45% pour la Corée mais seulement 2,87% pour l’Allemagne et 2,85% pour les Etats-Unis et 1,6% pour la Chine. De fait, alors qu’il n’abrite que 2% de la population mondiale, le pays représente 11,2% du budget mondial de R&D.
 
Pour Romain Boscher, le marché actions japonais offre de la valeur car les valorisations sont très basses et les entreprises sont de qualité. Il a une approche « Value », ciblant les entreprises décotées plutôt que de viser les groupes axés sur la croissance.
 
Pour l’Europe, ce mouvement vers l’Est n’est pas positif : après les économies émergentes, des pays comme la Russie et le Japon sont désormais considérés comme des alternatives plus intéressantes. Les dirigeants européens entendront-ils le message ?