Et si, en temps de crise, la discipline n’était pas créatrice de valeur ?

par Clément Berardi, Directeur chez Eurogroup

Les entreprises françaises n’ont pas le choix, leur survie (à plus ou moins court terme) passe par l’innovation. Qu’il s’agisse d’investir de nouveaux champs de croissance comme la révolution verte, d’offrir de nouveaux services pour changer la vie ou de développer de nouveaux produits dont les consommateurs sont toujours friands, l’innovation est la grande aventure des entreprises.

Cette aventure ne se fera pas sans difficulté, car il faudra lutter contre des années de régime LEAN, s’extirper de l’obsession du résultat trimestriel, investir lourdement dans le capital humain et dans l’économie de la connaissance, prendre des risques, s’ouvrir sur le monde, échouer… puis recommencer inlassablement.

Les enjeux microéconomiques comme macroéconomiques sont immenses. Ne cherchez pas plus loin les points de croissance que nous voulons tous arracher avec les dents : ils se trouvent là, dans cette capacité individuelle et collective à générer plus d’innovation.

L’intention est belle et elle est partagée par tous, mais comment faire ? Deux champs d’action sont ouverts : celui de la puissance publique et celui des entreprises.

L’action de la puissance publique, quel que soit son niveau (européen, national ou local), repose sur trois leviers :

  • La fiscalité, qui permet d’alléger la charge fiscale des entreprises investissant largement dans la R&D, ou identifiées comme des « PME de croissance »
  • Le financement public : soit direct, à travers des subventions aux projets innovants ou l’appui au développement des pôles de compétitivités ; soit indirect, notamment à travers l’investissement public dans les infrastructures ou les secteurs à fort potentiel d’innovation comme la défense ou l’environnement
  • L’action législative et réglementaire, favorable au développement des PME innovantes et permettant un accès simplifié et moins coûteux au marché. (Small Business Act)

Le bilan de ces actions est encore aujourd’hui assez mitigé. En effet, le crédit impôt recherché profite plus aux grands groupes qui réduisent d’autant leur investissement en R&D, l’effet d’aubaine semble primer sur l’encouragement à l’investissement. Par ailleurs le coût administratif que les PME doivent engager pour accéder aux différentes aides est tel que nombreuses se découragent en chemin. Il serait souhaitable que la puissance publique, notamment à travers le levier fiscal, favorise de manière plus importante le renforcement des liens entre les grands groupes – pouvant mobiliser d’importantes capacités financières et étant largement intégré dans l’économie mondiale, et les PME – porteuses d’avenir mais souvent trop petites et encore trop peu internationales. Au-delà de l’impact sur le développement des PME, ce soutien permettrait de contrebalancer les effets des délocalisations en favorisant l’investissement des grands groupes sur notre territoire.

Le deuxième champ d’action pour renforcer l’innovation relève de l’entreprise elle-même, et sur ce point le constat est alarmant. Le cabinet Eurogroup, en partenariat avec l’association PDMA France et l’EMLYON Business School, s’est penché récemment sur les pratiques de management de l’innovation au sein des entreprises.

L’approche retenue est assez simple, et consiste à identifier la maturité des entreprises sur trois dimensions majeures :

  • Le « cœur » du dispositif d’innovation, qui comprend la stratégie, le dispositif de pilotage associé et les aspects culturels et humains favorables à l’innovation ;
  • Le « fluide », porté par la connaissance des marchés, la génération et le traitement des idées et l’appel à l’externe ;
  • L’« infrastructure », reposant sur le processus de développement et de mise sur marché et les systèmes d’information.

L’étude permet de dresser deux principaux constats :

  • Les champs de progrès de la plupart des entreprises interrogées sont très importants. Seul un quart d’entre elles ont mis en place un dispositif d’innovation qui leur permet d’actionner l’ensemble des leviers de développement de l’innovation, et moins de la moitié ont une réelle stratégie d’innovation. Notamment en terme d’innovation de rupture, seul réel levier de création de valeur durable.
  • Par ailleurs, la majorité de ces entreprises présentent une faiblesse marquée sur le co-développement et les alliances (l’innovation ouverte) et sur la valorisation et le soutien des initiatives internes.

Il est donc aujourd’hui urgent que les entreprises passent de l’ambition ou de la déclaration d’intention à la mise en place d’un réel dispositif de gestion de l’innovation leur permettant de progresser durablement sur l’ensemble des dimensions qui portent le processus d’innovation.

Toute entreprise devrait a minima être capable de répondre aux cinq questions suivantes :

  1. Quels sont les marchés sur lesquels je ne suis pas aujourd’hui et qui représenteront potentiellement une part très significative de mon chiffre d’affaires demain ?
  2. Avec quels partenaires externes publics ou privés je souhaite m’engager dans cette aventure de l’innovation ?
  3. Quelles sont les actions concrètes que je mène pour développer les compétences de créativité, d’ouverture sur le monde et de prise de risques de mes collaborateurs ?
  4. Combien l’innovation me rapporte chaque année ?
  5. In fine, y a t-il un pilote dans l’avion ?

Il est essentiel de se souvenir qu’en terme d’innovation, la valeur n’existe pas a priori et qu’elle demeure toujours à inventer ou à découvrir. Il faut que les entreprises retrouvent ce goût de l’inconnu en rééquilibrant la « dictature » du résultat financier à court terme et de l’excellence opérationnelle, finalement très bureaucratique et à terme destructrice, par un renouveau de l’aventure entrepreneuriale. C’est la conquête de cette nouvelle frontière de l’entreprise qui permettra à la vieille Europe de renouer avec la croissance et l’emploi.