BCE : quelle indépendance ?

La Banque centrale européenne (BCE) est-elle une entité exceptionnelle voire sacrée ne devant subir aucune critique ni recommandation ? C’est ce que semble penser son président, Mario Draghi. Or, la situation de la zone euro montre que l’institut monétaire est en train d’échouer dans sa mission principale concernant l’inflation.
 
La première estimation du taux d’inflation dans la zone euro en avril était de 0,7%, loin de l’objectif de la BCE, d’un taux inférieur mais proche de 2%.
 
Pour nombre d’économistes, y compris ceux de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le risque inflationniste est réel et il convient de le combattre. Car, comme le montre l’exemple du Japon qui lutte depuis 20 ans, il est extrêmement difficile de sortir de la déflation.
 
Dans le même temps, l’euro ne cesse de monter, atteignant le 8 mai 1,3993 dollar, son plus haut niveau depuis le 31 octobre 2011, avant de refluer légèrement. Cette vigueur de la monnaie unique handicape la plupart des entreprises européennes exportatrices et elle a un impact réel sur l’inflation importée qu’elle maintient très bas. 
 
Draghi a gagné l’estime des investisseurs et des politiques en adoptant une attitude pragmatique qui a permis notamment de « sauver » l’euro. 
 
On ne peut donc qu’être étonné de sa réaction face aux critiques et remarques adressées à la BCE.  « Au cours de ces derniers jours, nous avons reçu quantité de recommandations de responsables politiques (et) d'institutions sur pratiquement tous les sujets (…) et nous en sommes très reconnaissants »,a-t-il dit lors d’une conférence de presse le 8 mai. « Mais vous savez que les traités ont fait de nous une entité indépendante donc il faut savoir que si ceci était considéré comme une menace pour notre indépendance, notre crédibilité risquerait d'en souffrir sur le long terme. »
 
Ces déclarations ont de quoi surprendre. En quoi remet-on en cause l’indépendance de la BCE en lui adressant des critiques ou des remarques ? Les membres de la BCE se considèrent-ils comme des personnalités surhumaines détenant la Vérité face à une cohorte de politiciens et d’économistes n’ayant aucune légitimité ?
 
En réalité, c’est la légitimité de la BCE qui est en question. Il s’agit d’une structure administrative dont les membres ne sont pas élus démocratiquement contrairement aux dirigeants politiques. Ceux-ci, qui ont des comptes à rendre à leurs peuples, ont le droit et même le devoir de dire à la BCE ce qui ne va pas.
 
Aux Etats-Unis, le pouvoir politique et la Réserve fédérale travaillent main dans la main et personne ne se fait des nœuds au cerveau pour savoir si cela remet en cause l’indépendance de l’institut monétaire.
 
Selon des spécialistes de la BCE, Draghi ne veut pas donner l’impression que les mesures d’assouplissement qu’il pourrait prendre prochainement ont été dictées par les politiques ou les organismes comme l’OCDE ou le Fonds monétaire international (FMI).
 
Il serait dommage qu’il adopte l’attitude paranoïaque de son prédécesseur français Jean-Claude Trichet, qui a fait perdre du temps à la zone euro avec sa gestion technocratique imposée au nom d’une sacro-sainte indépendance.
 
La BCE ne gagnera pas la bataille de la crédibilité en criant tous les jours qu’elle est indépendante. Elle s’imposera à tous si elle parvient à empêcher la zone euro de sombrer dans la déflation et à prendre des mesures susceptibles de relancer une économie dont la croissance cette année sera à peine de 1%.
 
Draghi devrait donc revenir à l’attitude qui a été la sienne au cours de l’été 2012 quand il a fait les annonces qu’il fallait pour sauver l’euro.