G20 : un sommet à mille milliards de dollars

par Raphael Gallardo, stratégiste chez Axa IM

Les pays du G20 et l’Espagne se sont réunis à Londres au début du mois pour coordonner leurs réponses à la pire récession mondiale depuis les années 30. Rarement un sommet international aura suscité autant d’espoirs et de craintes. Bien sûr, les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas résolu les questions les plus complexes : les stratégies de nettoyage des bilans bancaires restent floues et politiquement périlleuses, et nul ne sait si les plans de relance seront suffisamment puissants pour éviter un effondrement dramatique de la demande finale. Cependant, plusieurs avancées majeures font de cette réunion de crise un succès indéniable, à même de conforter la confiance des investisseurs.

Les pays réunis ont tout d’abord réaffirmé leur volonté de poursuivre dans la voie de la coordination des politiques économiques nationales, et notamment de résister aux tentations protectionnistes – engagement verbal certes, mais rassurant au vu des dérives populistes déjà observables çà et là. Ensuite, les principes de base d’une nouvelle régulation de la finance mondiale ont été posés, judicieux et ambitieux. Enfin, la capacité d’action des institutions financières internationales, FMI et banques multilatérales de développement (BMD), a été massivement renforcée, à hauteur de 600mdsUSD, afin de stopper l’extension de la crise à de nouveaux pays émergents. Par ailleurs, les gouvernements du G20 se sont engagés à rendre 250mdsUSD de garanties disponibles pour le financement du commerce mondial, et à voter une augmentation des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI à hauteur de 250mdsUSD. Nous examinons ici l’impact de ces décisions sur les pays émergents.

Le FMI renforcé

Le FMI dispose actuellement de 200mdsUSD de fonds prêtables, ainsi que d’une capacité d’emprunt auprès de ses membres à hauteur de 50mdsUSD. Le G20 s’est accordé pour étendre ses lignes de crédit au FMI, de 250mdsUSD immédiatement, puis 250mdsUSD supplémentaires à terme, selon un nouveau mécanisme d’emprunt plus flexible que les deux précédents. Les ressources du Fonds seraient ainsi multipliées par 3, passant de 250 à 750mdsUSD. Si l’on y ajoute les prêts bilatéraux annoncés par le Japon (100mdsUSD), la Norvège (4.5mdsUSD), le Canada et la Suisse (10mdsUSD chacun) en faveur du FMI, et les 100mdsUSD de capital promis par le G20 aux BMD, les sources de financements multilatéraux disponibles pour les émergents s’élèvent à 975mdsUSD.

L’Institut de la Finance Internationale estime que les tombées de dette externe dues par les pays émergents à des créanciers privés s’élèvent à 225mdsUSD pour 2009. Les ressources disponibles en financements multilatéraux semblent donc adéquates. Depuis l’accélération de la crise en octobre dernier, le FMI a déjà accordé 65,5mdsUSD de nouveaux crédits stand-by, à la Roumanie (17,5), l’Ukraine (16,4), la Hongrie (15,7) et le Pakistan (7,6). Néanmoins, il faut rajouter à ces tombées de dette le risque de non-renouvellement de dettes à court-terme et le potentiel de sorties de capitaux privés, exil de l’épargne domestique ou liquidation d’investissements de portefeuille. Une vision plus exhaustive des besoins de liquidité des pays émergents est donnée par leurs pertes de réserves de change depuis le début de la crise : en 5 mois, d’août 2008 à janvier 2009, ils ont perdu 455mdsUSD de réserves, soit près de la moitié de la capacité de prêts du FMI et consort. En considérant que l’hémorragie de réserves a ralenti depuis le début de l’année (certains pays ont même enregistré un retour des flux de portefeuille en mars), il semble donc que les financements multilatéraux puissent assurer les besoins en liquidité externe des émergents pour au moins toute l’année 2009. Ces financements seront par ailleurs déblocables plus rapidement et plus facilement dans le cadre de la nouvelle Ligne de Crédit Flexible du Fonds. En 2010, un retour de l’appétit pour le risque émergent devrait libérer ces pays d’un besoin d’emprunter au guichet des multilatéraux.

En Europe de l’Est, cette annonce d’un renforcement du FMI a provoqué une nouvelle baisse de la pression spéculative. La confiance des investisseurs avait déjà bénéficié de l’annonce par le Conseil européen du 21 mars d’un doublement à 50mdsEUR des fonds disponibles pour le mécanisme de soutien aux balances des paiements des pays membres de l’UE n’appartenant pas à la zone euro.

Aide au financement du commerce mondial

Le commerce mondial a chuté de 14% en volume au 2S08. L’assèchement des lignes de crédit export des banques internationales est pour beaucoup dans cet effondrement subit des flux commerciaux. Selon les données de la Banque Mondiale, il y avait 1.55trnUSD de lignes de crédits commerciaux internationaux au 2T08, couvrant entre 20 et 40% des échanges mondiaux. Le stock de crédit s’est réduit de 130mdsUSD au T3 selon la même source, et le repli s’est probablement poursuivi au cours des deux derniers trimestres. Les 250mdsUSD promis par les pays du G20 via leurs banques du commerce extérieur devraient efficacement pallier la frilosité des banques et intermédiaires de trading en 2009, en attendant que le risque de contrepartie bancaire se normalise à nouveau en 2010.

Emission de Droits de Tirage Spéciaux

Le G20 a décidé de soutenir l’émission de DTS par le FMI à hauteur de 250mdsUSD, décision qui doit être approuvée par le conseil d’administration du Fonds, puis validée par 60% de ses membres représentant 85% des voix. Le DTS est une monnaie synthétique indexée sur un panier de devises convertibles (USD, EUR, GBP, JPY), utilisée comme unité de compte par le FMI et dans ses transactions avec les banques centrales membres. Il est créé à coût nul par le Fonds en créditant le compte de chaque Etat membre dans ses livres au prorata de sa quote-part. Cet instrument est très proche du « bancor », cette monnaie mondiale émise et gérée par la communauté des nations, prônée par Keynes à Bretton Woods en 1944. En théorie, l’émission de DTS pourrait servir à financer des politiques internationales comme la lutte contre le changement climatique, les pandémies, les cartels de la drogue, etc. Mais leur utilisation a été parcimonieuse jusqu’alors. Créés en 1969, les DTS ont été émis deux fois, en 1970 et 1978, pour un montant total de seulement 30mdsUSD.

Le Conseil d’administration du Fonds avait décidé leur doublement en 1997, en pleine tourmente asiatique, mais cette décision fut bloquée par les Etats-Unis, qui, avec 17.01% des voix, détiennent un droit de veto au Conseil des gouverneurs. Cette nouvelle émission de DTS est donc historique, certes plus au niveau symbolique que financier. En effet, les DTS étant alloués au prorata des quotas de chaque membre, les pays riches s’en adjugeront la plus grande part. Cela nous ramène à la question de la révision des quotes-parts, dont la structure est quasi figée depuis 1944. Reste à savoir si les Etats-Unis et l’Union Européenne accepteront de perdre leur droit de veto pour accommoder une quote-part plus grande de la Chine, le Brésil ou l’Inde.

La Chine et le système monétaire international

La Chine a profité des débats autour de la réforme du FMI pour énoncer, à travers un discours de son banquier central, son soutien à la création d’une véritable monnaie mondiale supra-nationale, proche du DTS actuel, mais, à la différence de celui-ci, utilisable comme monnaie de réserve par le secteur privé. Les médias y ont décelé une intention de la part de la Chine de réduire son exposition au dollar, voire de rompre le lien quasi fixe entre le billet vert et le renminbi. Nous y voyons plutôt une manœuvre visant à affirmer le rayonnement financier mondial de l’Empire du Milieu à l’approche du G20. La Chine, ulcérée des pertes déjà subies par la PBOC (People’s Bank of China, banque centrale) et son fonds souverain sur leurs actifs américains, a tenté de menacer les Etats-Unis de liquider ses avoirs américains si l’administration Obama n’adoptait pas une politique moins dangereuse pour la valeur externe future du dollar. Mais cette tentative d’intimidation résonne plutôt comme un aveu de faiblesse. La réalité est que la Chine n’a aucun moyen de pression sur les Etats-Unis: si elle décide de liquider son colossal portefeuille d’actifs en dollars, estimé à 2trnUSD, elle provoquera elle-même l’effondrement du billet vert et l’apparition des moins-values qu’elle redoute aujourd’hui. La Chine mène, depuis ses premières réformes, une politique de monnaie faible afin de préserver l’emploi. Le revers de la médaille est qu’elle s’est elle-même enfermée dans un rôle de créancier captif de l’économie américaine. Et la Chine ne prendra pas aujourd’hui le risque de rompre cette chaîne.

Au contraire, une autre décision chinoise moins remarquée a égratigné le statut international du dollar et marqué le premier pas du renminbi comme devise de réserve. La PBOC a en effet conclu des swaps de change pour une valeur de 650mdsRMB avec 6 pays émergents, qui pourront dès lors régler leurs importations chinoises en renminbis et non plus en dollars. Ces swaps s’élèvent à une modeste centaine de milliards de dollars, mais ils feront grincer plus de dents à Washington que le discours polémique de la PBOC.

Conclusions

Grâce au triplement des ressources des agences multilatérales, les pays émergents menant une politique responsable devraient bénéficier des liquidités nécessaires pour traverser l’année 2009 sans crises de balance des paiements. Les fonds du FMI et des BMD seront par ailleurs complétés si besoin par des prêts bilatéraux de gouvernements et agences régionales, comme dans les récents sauvetages de la Hongrie et la Lettonie, qui ont bénéficié de prêts de la BERD, de l’Union Européenne et de gouvernements voisins. Bien sûr, il ne s’agit que de mesures palliatives face à cette crise dont l’origine provient autant de politiques nationales imprudentes que du laxisme de la régulation financière internationale. Pour prévenir les prochaines crises, le G20 devra se donner les moyens d’accroître non seulement les moyens financiers du FMI, mais aussi son pouvoir de supervision, et sa légitimité politique. Le rêve de Keynes à Bretton Woods devra patienter encore plusieurs crises.