Le panorama des dettes publiques européennes en 2010

par Sylvain Broyer, économiste chez Natixis

Nous répertorions l’ensemble des risques qui pèsent sur les dettes souveraines européennes :
• Les risques quantifiables (ouverture des déficits cycliques, financement des plans de relance, des plans de recapitalisation bancaire, des garanties accordées sur les dettes bancaires en cas de défaut) ; 
• Et les risques non quantifiables (poids dans l’économie des secteurs en crise, nature de la relance budgétaire, risque d’implosion de la zone euro).

Nous en tirons une cartographie des dettes et déficit/PIB à horizon deux ans. Comparée à celle d’avant crise, elle suggère les points suivants :

• La classe européenne se dirige vers un déficit moyen de 5,3% de PIB et de dette moyenne de 79,3% de PIB. L’écart type entre pays ne grandira pas significativement.
• Les mauvais élèves d’hier (Grèce, Italie) seront rattrapés par la moyenne de la classe européenne. Leur notation crédit s’améliore donc relativement au référent. Une nouvelle dégradation de leur note ne serait pas justifiée.
• Parmi les dettes liquides, la dette néerlandaise aura la meilleure qualité crédit. La dette espagnole ne sera pas très éloignée en niveau, mais en dynamique, la dégradation sur deux ans valait une baisse d’un cran de la notation.
• La dette irlandaise se dégradera plus que les autres, à la fois en niveau et en dynamique. Une nouvelle baisse de la notation ne doit pas être exclue.

Le marché fait payer une prime élevée à certaines dettes souveraines européennes :

• Sur le marché secondaire, le rendement des obligations publiques s’est violemment écarté du benchmark allemand depuis six mois.
• Sur le marché primaire, le coût des nouvelles dettes s’est nettement renchéri pour les émetteurs de la périphérie européenne en trois mois.

L’augmentation de cette prime est telle que certaines dettes se placent sur le marché désormais à plus de 200pb au dessus du taux swap, et donc du Bund. Elles ne satisfont plus au quatrième critère de Maastricht de convergence des taux.

L’augmentation des primes de marchés connaît probablement plusieurs causes (hausse des volumes émis, qualité du crédit souverain, etc.).

Aussi, nous listons ici l’ensemble des facteurs objectivables qui pèsent sur les dettes souveraines européennes, dans le but de dresser une cartographie des ratios de dettes/PIB et déficit/PIB à horizon fin 2010.

Ceci nous permettra de vérifier si la prime actuelle de marché et les notations des agences se justifient d’un point de vue fondamental.

Quels risques pèsent sur les finances publiques à horizon 2010 ?

Ces risques sont d’une part quantifiables :

• Ouverture des déficits cycliques avec la dégradation conjoncturelle ;
• Financement des plans de relance ;
• Financement des plans de recapitalisation bancaire ;
• Financement des garanties accordées sur les dettes bancaires en cas de défaut.

Et d’autre part non quantifiables :

• Poids dans l’économie des secteurs en crise qu’il faudra éventuellement soutenir ;
• Nature de la relance budgétaire, qui peut affaiblir la croissance de long terme ;
• Risque d’implosion de la zone euro.

Passons ces risques en revue.
 

Risque 1 : ouverture des déficits cycliques

Nous attendons une forte contraction des économies en 2009 suivi d’un rebond, pas d’une reprise en 2010.

Si la Chine doit retrouver rapidement le sentier de croissance potentielle (épargne domestique, économie dirigiste, volume du plan de relance), cela ne sera pas le cas des autres grandes économies. Les pays du Nord de l’Europe au début des années 90 et de l’Asie émergente à la fin de la même décennie ont montré que, quelle que soit la réussite du management anticrise, cinq ans au moins sont nécessaires pour retrouver la tendance de long terme de croissance du revenu par tête après une crise bancaire.

Les écarts de production vont donc se creuser fortement, jusqu’à fin 2010 au moins. Il en résultera un déséquilibre important pour les budgets publics : moindres recettes fiscales, hausse des transferts sociaux.

On compte habituellement un demi-point de déficit/PIB par ouverture d’un point de PIB des écarts de production. Les déficits s’ouvriront de plusieurs points de PIB du seul fait de la dégradation conjoncturelle.(1) Vu la nature de la crise, double dans certains pays (bancaire et balance des payements), il est loin d’être acquis que les déficits cycliques se referment rapidement au-delà de 2010.

Risque 2 : Financement des plans de relance

La plupart des gouvernements ont approuvé des plans de relance pour soutenir l’économie. Leur coût devra être financé sur les budgets publics en 2009 et 2010 pour la plus grande part, à quelques exceptions près (en Allemagne 1 point de PIB sera financé par la KfW ; en Autriche, le plan de relance s’étale jusqu’en 2014).

Les pays fournissent des efforts budgétaires très différents selon leur marge de manœuvre budgétaire d’avant la crise.

En Europe, relativement à la taille des économies :

L’Autriche et l’Espagne fournissent l’effort budgétaire le plus important, le déficit structurel s’ouvrira d’autant ;
la Grèce et l’Italie ne font pas de relance conjoncturelle conséquente, les marges de manœuvre budgétaires étant largement épuisées ; l’Irlande vient de décider un plan d’austérité. Leur déficit structurel ne s’ouvrira pas par les plans de relance.

Risque 3 : Financement des recapitalisations bancaires

Si les recapitalisations ne creusent pas le déficit mais augmentent la dette publique, puisqu’il s’agit d’une opération en capital et non en compte courant des Etats, la nuance est comptable. Le besoin de financement public augmente bien du montant des recapitalisations.

La recapitalisation des banques est un des trois volets des plans de sauvetage bancaires votés par les pays à partir d’octobre dernier, après la faillite de Lehman. Les deux autres volets sont la défaisance d’actifs toxique et l’aide au refinancement (lignes de crédit et garanties). Une limite a été fixée pour ces trois volets.(2)

Au total, pour l’heure 134 Mds EUR ont été mobilisés par les Etats pour recapitaliser le secteur financier. Comme pour les plans de relance, les montants divergent fortement d’un pays à l’autre. On note que pour l’instant l’Espagne et la Grèce n’ont pas eu besoin de recapitaliser leurs banques. A noter toutefois qu’en Espagne, suite aux difficultés de CCM, la confédération des caisses d’épargne appelle les autorités à mettre en place un fonds de recapitalisation.

Risque 4 : financement des garanties accordées sur les dettes bancaires en cas de défaut

L’octroi des garanties sur les nouvelles émissions bancaires n’est pas gratuit. En règle générale, les Etats facturent une prime de risque (CDS), une prime de maturité voire une prime de devise à l’émetteur, qui doit s’en acquitter tous les ans. Les garanties accordées sont donc sources de recettes budgétaires immédiates et récurrentes.

Les garanties ne grèvent les budgets publics que dans l’éventualité où la banque émettrice fait défaut. A ce moment, l’Etat doit assurer le payement du principal et des intérêts à l’investisseur. La charge budgétaire peut toutefois être diminuée par la valeur du collatéral associé à l’émission, comme il est prévu dans les plans français et grec, et pour les obligations sécurisées garanties (Irlande).

Le coût net d’exécution des garanties bancaires sur les budgets publics est donc la différence entre les recettes générées par l’octroi de la garantie et le remboursement des intérêts et du principal garantis en cas de défaut de la banque, diminué de la valeur du collatéral, soit :

(1) Coût net = [dépenses] – [recettes]
(2) Coût net = [volume émis*(1+coupon%)*taux de défaut – collatéral] – [volume émis*(prime de risque + prime de maturité + prime de devise)*durée en années de la garantie]

On voit que l’exécution par les Etats de ces garanties en cas de défaut des banques :

• ne grèverait pas fondamentalement les budgets publics dans la taille actuelle du marché. La seule exception est l’Irlande qui, à la différence des autres pays, n’a pas garanti la nouvelle dette pour trois ou cinq ans, mais l’encours total jusqu’au 29 septembre 2010 ;
• grèverait les budgets de l’Irlande, la Grèce, la Suède et l’Autriche si le marché atteint la taille prévue ;
• poserait un vrai problème de financement à l’Irlande, puisqu’il conduirait la dette publique à tripler dans le cas, assez improbable il est vrai, où toutes les banques font défaut avant fin septembre 2010.

Venons-en maintenant aux risques non quantifiables qui pèsent sur les finances publiques européennes, qui pourraient absorber des ressources budgétaires supplémentaires.

Risque 5 : Le poids dans l’économie des secteurs en crise

Deux secteurs sont aujourd’hui en crise : l’automobile et les banques. Sans savoir de combien les Etats pourraient être amenés à les soutenir en raison des emplois en jeu,(3) nous regardons le poids de ces secteurs dans les économies :

L’automobile est un secteur particulièrement important pour l’Allemagne et la Suède (Opel et Saab, deux entreprises liées à l’américain GM, font d’ailleurs l’objet de toutes les attentions publiques) ; peu important pour les Pays-Bas, la Grèce et le Danemark.
Les services d’intermédiation sont particulièrement importants pour les Etats-Unis, le Portugal, les Pays-Bas et l’Espagne ; ils ne sont pas essentiels (en termes d’activité et d’emploi) pour la Grèce et l’Allemagne. Par ailleurs, toutes les banques ne sont pas exposées aux mêmes risques. Aujourd’hui, l’exposition extérieure et en particulier à l’Europe de l’Est est source d’inquiétude sur les actifs bancaires. Si l’Autriche détient un pool de crédit important dans la région, le risque est assez bien réparti entre les différents pays d’Europe de l’Est, ce qui n’est pas le cas de la Suède fortement exposée aux Etats baltes, les pays les plus risqués au monde aujourd’hui.

Risque 6 : Affaiblissement de la croissance de long terme selon le type de relance budgétaire

Le type de stimulus que les gouvernements emploient sera déterminant du retour plus ou moins rapide à la croissance potentielle. Dans le pire des cas, la relance budgétaire peut l’affaiblir, la notation souveraine pourrait alors, à long terme, être remise en question.

Nous avons identifié quatre profils de croissance selon le type de relance budgétaire :(5)

• Sans stimulus fiscal, la crise bancaire conduit à une baisse brutale du PIB potentiel qui ne sera pas récupérée avant longtemps. Le sentier de croissance potentielle est plus bas.
• En stimulant la consommation seulement, la croissance est artificiellement entretenue le temps que durent les avantages fiscaux, elle retourne par la suite sur le sentier inférieur de croissance. 
• En investissant dans les infrastructures publiques à faible rendement (rénovation des bâtiments publics, etc.) et en maintenant en vie des secteurs de l’économie en crise, des effets d’éviction de l’investissement privé et de distorsion de la concurrence peuvent conduire à affaiblir la croissance potentielle.
• Seuls les investissements publics dans les nouvelles technologies, la R&D, la formation et les infrastructures à haut rendement peuvent restaurer la croissance potentielle.

Aujourd’hui, la Grèce, l’Italie (pas de relance) et l’Irlande (plan d’austérité) s’inscrivent dans le premier scénario. Vu le détail de la relance qui met l’accent sur la consommation et les dépenses d’infrastructure à faible rendement, le développement le plus probable pour les autres pays européens à long terme est un mix entre les deuxième et troisième scénarii.

Risque 7 : implosion de l’euro

Ce risque est parfois mentionné en raison des lacunes institutionnelles de la construction européenne en matière de solidarité financière, alors que certains pays présentent des difficultés de financement. L’autre raison évoquée est la divergence croissante des économies membres de la zone euro Pourtant nous n’adhérons pas à la thèse de l‘implosion de l‘euro :

• Si la solidarité entre Etats membres n’est pas explicitement organisée, elle est possible : les traités européens (traité de Nice, article 100§2) stipulent que « lorsqu’un Etat membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, (…) le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière communautaire à l’Etat membre concerné ».
• La solidarité est dans l’intérêt économique des pays membres vu le degré important des exportations des pays membres entre eux (entre 40% et 65%) et la forte augmentation des prises de participation dans le capital des autres pays membres au cours des dix dernières années. Enfin, le coût potentiel de la réintroduction d’une nouvelle unité de compte est exorbitant.

Pour résumer : quel panorama des dettes publiques en 2010 ?

Nous considérons l’ensemble des risques quantifiables sur les finances publiques européennes vus dans cette étude (ouverture cyclique des déficits, relance budgétaire, recapitalisations bancaires, exécution des garanties) dans nos prévisions de déficit et dette publics.

La situation à horizon deux ans comparée à celle d’avant crise suggère alors les points suivants :

• La classe européenne évoluera vers un niveau moyen de 5,3 points de PIB pour le déficit et de 79,3 points de PIB pour la dette publique. Malgré les différences d’écart de production et de réaction budgétaire, l’écart type entre pays ne grandira pas significativement.
• Les mauvais élèves d’hier (Grèce, Italie) seront toutefois rattrapés par la classe européenne. Leur notation crédit s’améliorera donc relativement au référent. Une nouvelle dégradation de leur note ne serait pas justifiée.
• Aucune dette souveraine liquide ne respectera plus les critères de Maastricht d’ici deux ans. En tout, seulement quatre pays les respecteront contre neuf avant la crise.
• Parmi les dettes liquides, la dette néerlandaise aura la meilleure qualité crédit. La dette espagnole ne sera pas très éloignée en niveau, mais en dynamique, la dégradation sur deux ans valait une baisse d’un cran de la notation.
• La dette irlandaise se dégradera plus que les autres, à la fois en niveau et en dynamique. Une nouvelle baisse de la notation ne peut pas être exclue.

Synthèse

Nous avons répertorié l’ensemble des facteurs objectivables qui pèsent sur les dettes souveraines européennes.
• Les risques quantifiables (ouverture des déficits cycliques, financement des plans de relance, des plans de recapitalisation bancaire, des garanties accordées sur les dettes bancaires en cas de défaut) ; • Et les risques non quantifiables (poids dans l’économie des secteurs en crise, nature de la relance budgétaire, risque d’implosion de la zone euro).

Nous avons tiré une cartographie des dettes et déficit/PIB à horizon deux ans. Comparée à celle d’avant crise, elle suggère les points suivants :

• La classe européenne se dirige vers un déficit moyen de 5,3% de PIB et de dette moyenne de 79,3% de PIB. L’écart type entre pays ne grandira pas significativement.
• Les mauvais élèves d’hier (Grèce, Italie) seront rattrapés par la moyenne de la classe européenne. Leur notation crédit s’améliore donc relativement au référent. Une nouvelle dégradation de leur note ne serait pas justifiée.
• Parmi les dettes liquides, la dette néerlandaise aura la meilleure qualité crédit. La dette espagnole ne sera pas très éloignée en niveau, mais en dynamique, la dégradation sur deux ans valait une baisse d’un cran de la notation.
• La dette irlandaise se dégradera plus que les autres, à la fois en niveau et en dynamique. Une nouvelle baisse de la notation ne doit pas être exclue.

NOTES

(1)Le chiffre exact est bien sûr dépendant de la méthode de calcul retenue pour la production potentielle, dans le graphique 3 un trqui peut être optimiste par rapport à d’autres. Nous tablons pour un écart de production de 15% de PIB en 2010 pour l’Irlande …
(2) Voir le flash 2008-487 pour le détail des plans : « Un comparatif des politiques de crise. Quelles sont les prochaines étapes ? ».
(3) Si l’automobile n’occupe que 2% de l’emploi total, nous avons montré que trois fois plus d’emplois sont dépendants de l’automobile, par les autres emplois industriels liés à la production automobile et les services à la vente automobile (voir le flash 2009-176 : « Quel est le poids de l’automobile dans l’économie ? »).
(4)Voir le Special report 2009-42 du 16 février dernier : « Le profil de l’activité et les politiques de réaction à la crise ».

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