Séquestration contre dialogue social, quand la violence défie le droit

par Gilles Bridier, journaliste

La séquestration comme mode de pression dans une négociation : depuis que les exemples se multiplient, on a tout appris sur les limites de ce type d’action. Par exemple, que tout accord obtenu sous la contrainte n’a pas de valeur juridique et peut donc être invalidé par la justice. Ou bien que le fait de séquestrer une personne expose les auteurs de la séquestration à des poursuites judiciaires. Le président de la République, Nicolas Sarkozy, dans un style qui lui est bien particulier, l’a rappelé.

Les contorsions sémantiques des salariés en colère pour souligner qu’il s’agit de rétentions plutôt que de séquestrations, semblent bien vaines compte tenu de la rédaction du fameux article du code pénal (l'article 224-1.) sur lequel se fondent les juristes à propos du caractère illégal de ces séquestrations : « Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d'arrêter, d'enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle. (…) Toutefois, si la personne détenue ou séquestrée est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, la peine est de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende, sauf dans les cas prévus par l'article 224-2. »

Faute lourde

Séquestration, enlèvement ou détention, le code ne fait pas dans la nuance. Même en l’absence de poursuites pénales, on se trouve donc dans le cas d’une faute lourde qui entre dans le champ de l’article du code du travail sur les conflits collectifs et l’exercice du droit de grève (www.Code-du-Travail-Fr.net, article L 2511-1) qui stipule que « l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. (…) » Et dans le cas de faute lourde, le licenciement ne s’accompagne d’aucune indemnité de licenciement ; le salarié ne peut revendiquer que le versement de sa participation et de son intéressement, mais il conserve ses droits aux Assedic, comme tout chômeur involontaire.

Violence contre violence

La justice distingue donc deux violences distinctes : celle faite aux dirigeants séquestrés qui tombe sous le coup de la loi, et celle faite aux salariés licenciés qui perdent leur activité professionnelle, avec les conséquences dans la vie personnelle et familiale… Cette violence-là, est licite… bien qu’elle soit reconnue comme cause de bien des « accidents de la vie » . Il faut avoir vécu ces situations pour savoir à quel point cette situation imposée aux salariés licenciés, brutalement déstabilisés avec ce sentiment d’inutilité jusqu’à se sentir socialement rejetés et sans consistance, est une vraie violence. Mais on espère en général que le temps fera son œuvre pour la diluer dans les allocations chômage et des stages de formation, sans se soucier des séquelles qui demeureront bien au-delà de ces périodes de convalescence professionnelle.

Faudrait-il en appeler à la Constitution ? Après tout, le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (la Constitution de la IVe République) précise bien que « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. » Un licenciement n’y contrevient-il pas ? Quant au sixième alinéa, il indique que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale. » Mais le septième prévient toute dérive dans les modes d’action : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. » Or, la séquestration, même avec un soutien syndical, n’entre pas dans ce cadre.

 Le prix de la reconnaissance

La crise économique est une réalité. Il serait démagogique de prétendre que des entreprises peuvent la traverser sans en pâtir. Elle doivent s’adapter. Mais crise ou non, la violence du licenciement reste la même. Et crise ou non, aucune direction d’entreprise ne peut imaginer faire l’économie du dialogue social. Les négociations ont pour objectif, à travers la discussion sur l’importance des réductions d’effectifs et la dimension financière des indemnités, de manifester aux salariés la reconnaissance à laquelle ils ont droit… Fût-ce au prix de quelques sacrifices pour les actionnaires. Car s’il s’agit de ménager les intérêts des uns (les actionnaires) sur le dos des autres (les salariés licenciés), qui sont tout autant légitimes à défendre leurs propres intérêts, alors on risque vite d’arriver à une multiplication de conflits inextricables, propices à toutes les provocations et à toutes les dérives. « Si certains dirigeants continuent, ils vont faire renaître la lutte des classes », s’exclamait récemment un membre du Conseil constitutionnel, qui dénonçait la fracture sociale à la manière d’un grognard gaulliste. « Une entreprise doit être rentable, mais également prendre en compte l’impact de son activité sur son milieu environnant », explique pour sa part Dom Hugues Minguet, moine bénédictin fondateur de l’institut « Sens et croissance ». Si cette dimension éthique et politique de l’entreprise s’écarte de sa mission première dans le système capitaliste (faire fructifier la capital), elle correspond toutefois à la quête de sens que tous les leaders d’opinion placent aujourd’hui en tête des problématiques.

Comprendre sans approuver

Certes, la loi ne pourra jamais être du côté des fauteurs de troubles. Toutefois, elle peut obliger le dialogue social à se reconstruire, par plus de contrainte comme par le passé. Les plus libéraux rétorqueront que les lourdeurs administratives pénalisent la compétitivité des entreprises. Mais que vaut cet argument pour les personnels qui paient cette compétitivité par leur mise sur le carreau… En tirant sur la corde des licenciements et en aggravant leur brutalité, les directions d’entreprises déclenchent un désarroi collectif. Avec, au bout de la colère, des séquestrations que personne n’approuve… mais que tout le monde comprend.