Chine : le chant du coq et quelques mauvais cygnes

par Sylvain Laclias, Economiste au Crédit Agricole

Trois points d’attention sont à mentionner ce mois-ci : l’évolution des réserves de change, la politique de la Banque centrale et les conditions monétaires, ainsi que les relations avec les Etats-Unis.

Les réserves de change ont baissé franchissant la barre symbolique des 3 000 Mds USD. Les sorties de capitaux perdurent, et Pékin risque de devoir jongler cette année encore avec les réserves (puiser dedans), le yuan (le laisser se déprécier) et les contrôles de capitaux (en ajouter sur les sortants).

Cela complique, en outre, le policy-mix à un moment où certains voient la Banque centrale moins accommodante et plus encline à s’atteler enfin au deleveraging de l’économie. Notons, toutefois, qu’il n’y a pas encore de signes probants de détérioration des conditions monétaires. Sans oublier que la PBoC n’hésitera pas à injecter de la liquidité dans l’économie si le maintien de la croissance aux alentours de 6,5% vient à être menacé.

Pas question, en effet, de laisser tomber l’activité économique en cette année de renouvellement du Politburo. Pas question non plus, pour cette même raison, de se laisser intimider par Donald Trump et son administration. Le ton des Américains vis-à- vis de Pékin s’est d’ailleurs assoupli ces dernières semaines. Mais l’avenir des relations sino-américaines reste hautement incertain, en particulier sur les questions commerciales.

Sous les 3 000

Il s’agit de milliards de dollars, et des réserves de change chinoises. Elles ont donc de nouveau baissé en janvier, de 12 Mds USD, après avoir déjà reculé de 320 Mds USD sur l’ensemble de 2016. Elles avaient atteint leur plus haut niveau en juin 2014, à 3 993 Mds USD. Autrement dit, les réserves de change ont diminué de presque un quart depuis lors, ce en dépit d'un excédent courant resté important durant cette période. Celui- ci a même atteint des plus hauts depuis 2009 (en valeur nominale exprimée en dollars), aidé par la baisse puis le bas niveau du cours du pétrole et, plus généralement, des matières premières.

Derrière ce mouvement, en fait, il y a des sorties nettes de capitaux, elles-mêmes nourries par l’aspiration des épargnants chinois à diversifier leurs placements et, surtout, par des inquiétudes, d'abord sur la valeur du yuan, ensuite sur la trajectoire de l'économie chinoise à court ainsi qu'à moyen terme. Ces inquiétudes, en outre, ont été récemment alimentées par l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, sa politique économique étant susceptible d’occasionner non seulement une remontée plus forte que prévu des taux d’intérêt américains, mais aussi des tensions commerciales entre Washington et Pékin.

Ainsi, il y a des éléments laissant craindre que les sorties de capitaux perdurent encore un temps ; – même s'il n'est pas impossible qu'elles s'atténuent à l’horizon des prochains mois. Donc que :

  • les réserves de change continuent de diminuer ;
  • le yuan demeure sous pression baissière ; les ménages chinois, comme les analystes et les investisseurs, anticipent d’ailleurs une nouvelle baisse du yuan contre le dollar cette année, d’environ 5% en moyenne, après celle de 6,6% en 2016 (soit une monnaie chinoise aux alentours de 7,25 pour un dollar fin 2017) ;
  • les dirigeants chinois mettent en place de nouveaux contrôles sur les capitaux sortants, parallèlement cependant à des mesures pour attirer les capitaux étrangers, comme ils l'ont déjà fait au cours des dix-huit derniers mois.

Oui, Pékin risque de devoir jongler cette année encore. Avec les réserves : puiser dedans. Elles demeurent confortables, à un peu moins de dix- huit mois d'importations de biens et services, mais leur baisse est un signal négatif. Avec le yuan : le laisser se déprécier. Mais jusqu'où et comment sans perturber les anticipations et aussi sans offusquer Washington ? Avec les contrôles sur les capitaux sortants : en ajouter d’autres. Mais au risque d'avoir un effet contraire à celui recherché. Une jongle périlleuse donc et qui, dans tous les cas, est susceptible d’éroder le capital confiance, et aussi de compliquer le policy-mix…

Changement de cap monétaire ?

Les nouveaux crédits octroyés en janvier ont reculé de 19,1% sur un an, comparé à une hausse de 74% en décembre. En y ajoutant les émissions obligataires, les crédits dits « untrusted » et les prêts proposés par les trusts companies, l’ensemble des nouveaux financements accordés aux agents économiques chinois durant le premier mois de 2017 a progressé de 7,6% sur un an, comparé à une contraction de 10,2% le mois d’avant.

En données cumulées sur douze mois, les nou- veaux crédits ont baissé de 4,6% en janvier, contre une hausse de 7,9% le dernier mois de 2016. Les nouveaux financements totaux, eux, ont augmenté de 7,3%, soit plus de moitié moins qu’en décembre.

Alors que la Banque centrale (PBoC) a récemment remonté l’un de ses taux d’intérêt, faut-il voir dans ces chiffres la confirmation d’un environnement monétaire chinois en train de changer, de devenir moins accommodant, voire de se durcir? Un préalable, et un refrain habituel à cette époque de l’année, est à prendre en compte : la date du nouvel an chinois et les festivités qui l’accompagnent. Ils tombent toujours au cours des mois de janvier et février, mais jamais à la même date. L’an passé, c’était en février, cette année, en janvier. D’où un effet de base très défavorable, qui perturbe fortement la lecture et la compréhension de ces données de crédit/de financement à l’économie du mois dernier.

Mais surtout, s’il y a quelques tensions sur le marché interbancaire depuis novembre dernier, comme en témoigne l’évolution du Shibor à 3 mois (c’est en revanche moins marqué au regard du Shibor à 7 jours), l’inflation est elle aussi à la hausse. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de tensions équivalentes sur les taux d’intérêt réels. Et c’est encore plus vrai pour les clients des banques qui se voient, pour le moment, offrir des taux d’intérêt nominaux inchangés depuis novembre 2015. En outre, le ratio de réserves obligatoires reste à un plus bas depuis octobre 2007. Et l’agrégat M2 continue de croître à un rythme annuel compris entre 11% et 12%, de façon à peu près stable depuis mai dernier.

Bref, aucun élément très probant pour le moment indiquant que les conditions monétaires sont moins favorables. Certes, comme déjà dit plus haut, la PBoC vient d’augmenter, courant janvier, l’un de ses taux d’intérêt, mais à la marge et a priori surtout pour limiter les mouvements spéculatifs sur les marchés d’actions chinois. Certes encore, elle a précisé en décembre dernier que sa politique monétaire en 2017 serait « prudente et neutre », lorsqu’en 2016 et les quatre à cinq années précédentes, elle s’était contentée de « prudente ». Mais ne serait-ce pas sur-interpréter ce terme de « neutre », lorsque certains y voient le signe d’un biais en faveur d’un resserrement ?

Quoi qu’il en soit, nul doute que la PBoC fera le nécessaire (pour arroser l’économie de liquidités) si le maintien de la croissance aux alentours de 6,5% cette année est menacé, a fortiori en cette année de renouvellement de cinq des sept membres du Comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois en novembre prochain. L’événement ne va en tout cas pas faciliter les relations avec Washington, la fierté nationale chinoise ne pouvant tolérer aucune égratignure, ni même une ombre, à son approche, pendant… et même après…

« Je t’aime, moi non plus »

Rex Tillerson, le nouveau secrétaire d’État américain, et Yang Jiechi, le conseiller d’État chinois, se sont entretenus par téléphone fin février. Ils auraient discuté non seulement de la Corée du Nord, mais aussi d’économie et d’échanges commerciaux, et encore de possible coopération entre les deux puissances pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé international. Et le Département d’État à Washington a précisé que « le secrétaire Tillerson et le conseiller d’État Yang ont affirmé l’importance d’une relation bilatérale constructive », avant d’ajouter que « les deux parties se sont accordées sur la nécessité de s’occuper de la menace que la Corée du Nord pose pour la stabilité régionale ».

Au-delà de propos très généraux qui demandent à être étayés par des mesures détaillées, complétés par des calendriers et des échéances et surtout, mis en œuvre. Seuls les actes comptent in fine. Il faut au moins noter un changement de ton du côté américain et un discours plus conciliant, plus ouvert, avec Pékin. Le dialogue s’installe, prend forme, avec une volonté affichée, et sans doute pas feinte, d’aller dans le sens de l’apaisement, dans le sens opposé à celui indiqué durant la campagne de D. Trump, sens où la confrontation était une perspective inévitable ou presque.

Toutefois, il y a encore du chemin à faire avant que les relations entre les deux puissances reviennent à la position d’avant Trump, pourtant déjà loin d’être idéale, et encore plus avant que Washington et Pékin ne tissent ensemble des liens riches et constructifs pour chacune des deux nations et pour le reste du monde. Pour l’heure, la suspicion demeure grande de part et d’autre. C’est d’ailleurs assez manifeste, lorsque la presse chinoise, par définition officielle, titre fin février « Les États-Unis reprennent leurs actions provocatrices en mer » pour qualifier l’arrivée en mer de Chine méridionale d’un porte-avions à propulsion nucléaire américain dans le cadre d’une opération « de routine » et de « liberté de navigation », selon l’US Navy. En attendant, gardons à l’esprit qu’une grande incertitude demeure dans les relations sino- américaines et leur évolution future.

En particulier sur la question commerciale, l’administration Trump ayant toujours dans le collimateur le rééquilibrage des échanges commerciaux américains avec la Chine, aujourd’hui largement déficitaires, et donc le yuan, monnaie jugée manipulée par Pékin.

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