L’uchronie et Marine Le Pen… et les marchés dans tout cela ?

par Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française

Si Pétain avait eu une crise cardiaque en 1940, nous serions aujourd’hui communistes : l’armistice n’aurait pas été signée en juin 1940 laissant le temps à l’URSS de s’organiser pour vaincre Hitler sans le soutien des américains… Et l’Europe occidentale ferait partie de l’URSS qui ne se serait pas effondrée.

Si Marine Le Pen avait été élue en mai 2017, que se serait-il passé ? La question reste bien évidemment très théorique, et c’est en cela que l’on peut parler d’uchronie utopique, car chacun sait que cela n’aura pas lieu… "Ce n’est clairement pas le plus probable" nous expliquent en chœur les politologues (le Front National fait le plein de ses voix au premier tour et il faudrait un taux d’abstention de l’ordre de 60 % pour qu’elle passe au 2e tour). Une fois passées les incertitudes politiques en Europe, les marchés, qui depuis août dernier sont résolument orientés à la hausse en dépit du Brexit, des élections américaines et du référendum italien, salueront la reprise de la construction européenne qui ne manquera pas d’arriver conjointement avec les réformes qui seront engagées.

Cependant, la pantalonnade de la série B actuelle de la campagne présidentielle, l’effondrement des partis politiques traditionnels, la déferlante populiste en Occident et une vague d’attentats orchestrée par DAESH pourrait conduire à l’improbable.

Comment réagiraient les marchés si l’improbable arrivait et que la promesse de souveraineté monétaire, législative, territoriale du Front National se mettait en œuvre ?

Toutes les grandes maisons de gestion et les instituts économiques et politiques concluent unanimement que la situation inédite à laquelle nous aurions à faire face peut entrainer au mieux une paralysie du pays pendant la durée de son mandat et au pire un effondrement à travers un arbre de décisions :

  • Aura-t-elle la majorité au parlement en l’état actuel du système électoral ? La réponse est Non.
  • Peut-elle changer la loi électorale des législatives entre son élection et les législatives afin d’introduire la proportionnelle et obtenir une majorité absolue ou relative aux chambres ? La réponse est également Non.

Contrainte dès le premier jour de son mandat à une cohabitation qui ne ressemblera pas à grand-chose compte tenu du fractionnement entre les différentes tendances de la droite, de la gauche, du centre et de "En Marche", une Union Nationale dirigée par Marine Le Pen n’aura pas lieu et le référendum populaire sera le mode de fonctionnement "normal" d’une présidente populiste.

Clairement anti-Europe, Marine Le Pen pourrait soumettre un référendum (du fait de l’absence de majorité probable des 3/5 du Parlement réuni en Congrès) sur le "Frexit" soutenu par la pression de la rue et en s’appuyant sur l’article 11 de la constitution autorisant le Président de la République à faire un référendum sur l’organisation des pouvoirs publics. Supposons alors que le Conseil Constitutionnel n’invalide pas le référendum conduisant à une sortie de l’Euro…

Les conséquences seraient alors évidentes en cas de Oui à un tel référendum :

  • L’éclatement de l’Euro ;
  • Une dette remboursée en monnaie nationale avec, comme lors de la crise Grecque, une incertitude sur l’existence ou non d’un défaut et donc une explosion temporaire du prix des CDS (Credit Default Swap) ;
  • Une montée conséquente des taux d’intérêts à long terme ;
  • Une dévaluation drastique par rapport au DEM ;

  • Une baisse significative de l’Eurostoxx ;
  • Une inflation (domestique et importée) en forte hausse ;
  • Un effondrement du prix de l’immobilier résidentiel ;
  • Une récession économique et une spirale de stagflation.

Pour l’instant un tel scénario n’est pas envisagé par les marchés.

La question qui se pose dès lors n’est pas, comme pour la théorie de la jeune fille de Keynes, de savoir si les hypothèses décrites ci-dessus se réaliseraient mais d’imaginer ce que les marchés anticiperaient en cas d’élection de Marine Le Pen à la Présidence. Autrement dit, quelle serait leur réaction dans le cadre de la survenance d’un évènement "digital" très négatif sur des marchés pratiquement au plus haut.

En tant que gestionnaire d’actifs, un tel scénario aurait pour La Française des conséquences immédiates sur les marchés au lendemain de l’élection présidentielle :

Les taux longs :

  • L’OAT passe à 3 %, ce qui représente une baisse du prix de l’ordre de 20 %, la chute étant contenue par le soutien de la BCE ;

  • Le Bund passe à 0 % ;
Le BT Italien passe à 4 % ;
  • Le 10 ans américain baisse à 1,8 %.

Les devises :

  • L’euro baisse de 10 % par rapport au dollar ;

  • De 15 % par rapport au yen ;

  • De 15 % par rapport à la livre britannique, le Brexit prenant alors tout son sens par rapport à la perception d’un effondrement possible de la zone euro ;

  • De 10 % par rapport au franc Suisse qui limite la montée de sa devise.

Les actions :

  • Le CAC baisse de 20 % entrainé par la baisse des "financières" de 30 % (là aussi sa baisse serait limitée par la baisse de l’euro) ;

  • Le FTSE Mib baisse également de 20 % ;

  • L’Eurostoxx limite la casse à 15 % de baisse ;
  • L’indice de volatilité Vstoxx atteint 35 %.

Le risque Crédit :

  • Les subordonnées financières baissent de 15 % dans un marché illiquide ;

  • Les spreads de crédit (Itraxx Main et Xover) ne se dégradent pas de beaucoup plus que l’OAT.

L’immobilier :

  • Le Résidentiel devient totalement illiquide avec une baisse dans les 6 mois de 10 à 20 % ;
  • Le Tertiaire sert de valeur refuge relative avec une hausse du taux de capitalisation limitée à 100 bp, soit une baisse des prix de l’ordre de 10 % et donc une contraction de la prime de risque par rapport à l’OAT qui a décalé de plus de 200 bp.

Ces anticipations ne reposent sur aucun stress test historique car aucun comparable n’existe mais sur notre perception de la réaction immédiate face à un évènement improbable aux conséquences potentiellement dramatiques pour l’économie nationale et européenne.

Dans un deuxième temps, l’évolution dépendrait de la capacité du FN à mettre en œuvre le programme qu’il annonce avec le risque que l’on termine dans le scénario décrit supra.

Comme cette hypothèse reste cependant la moins probable, et qu’une hypothèse Macron ou Fillon se traduit à l’inverse par un redémarrage d’une démarche Européenne et donc une contraction du spread OAT-bund accompagnée par une hausse des marchés, je recommande donc, comme dans ma lettre du 21 février "La digicratie ou le populisme" de maintenir les investissements préconisés à cette date et pour ceux qui craignent une victoire de Marine Le Pen d’adopter les stratégies de protections suivantes :

  • Investir dans les SCPI investissant largement en immobilier allemand ;
  • Une couverture des risques extrêmes notamment par l’acquisition de fonds long de volatilité ;
  • Acquisition de cap hors de la monnaie sur les taux gouvernementaux européens, y compris pour couvrir les actifs immobiliers ;
  • Jouer l’écartement du spread Bund-OAT ;
  • Investir dans des fonds liés à une augmentation de l’inflation (hypothèse de toute façon probable) ;
  • Investir dans les fonds d’actions qui bénéficient explicitement d’une gestion type "action- couverte" (stratégie de couverture optionnelle) ;
  • Investissement dans les fonds de risque premia (dispersion avec une forte granularité des écarts de volatilité) ;
  • Regarder l’or comme refuge ultime.

Vivement le 7 mai au soir pour que nous puissions dire que tout cela n’aura été qu’une uchronie, la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un évènement du passé.