Banques centrales : comme un vol de faucons

par Raphaël Gallardo, Stratégiste multi-asset Investissement et Solutions Clients chez Natixis AM

Après plusieurs mois de rally obligataire, les taux longs dans le G10 sont à nouveau orientés à la hausse. La précédente phase de repentification des courbes date de l’élection surprise de Trump à la présidence des Etats-Unis, porteuse d’espoirs de relance budgétaire massive. Les déceptions sur la croissance outre-Atlantique au T1 et l’enlisement de l’exécutif dans des négociations tortueuses avec le Congrès avaient eu raison de ce mouvement baissier sur les obligations d’Etat.

Cette fois-ci, le sell-off sur les taux provient non pas d’une embellie de la croissance mondiale – qui s’est stabilisée à un plus haut de trois ans-, ni de nouvelles promesses de largesses budgétaires, mais d’une salve de déclarations menaçantes des banques centrales (Fed, BCE, Banque d’Angleterre, du Canada, Riksbank suédoise). Malgré des situations spécifiques dans chacune des économies concernées, la bonne tenue de la croissance mondiale, des marchés actions au zénith et une volatilité désespérément basse sont des facteurs communs qui ont pu expliquer ce revirement rhétorique de la part des banquiers centraux.

Aux Etats-Unis, au Royaume Uni, en Suède et au Canada, les banquiers centraux prennent acte d’une situation conjoncturelle qui s’approche du plein-emploi, avec un risque de surchauffe, non pas de l’inflation, mais de l’endettement privé et des prix d’actifs (immobilier, actions). Le Président de la Fed de New York a clairement exprimé la frustration de la Fed face à l’aplatissement de la courbe des taux depuis le début du cycle de resserrement initié en 2015, qui, comme il l’avait indiqué dans un discours de fin 2015, légitimerait une accélération du resserrement monétaire (hausses des taux, réduction du bilan).
Au Canada, le changement de ton semble s’inscrire dans une stratégie plus large de lutte contre la bulle immobilière présente dans plusieurs Etats, qui comprend nombre de mesures macro-prudentielles (stress-test des emprunteurs, taxe sur les investissements étrangers).

En Suède, petite économie très dépendante de son commerce extérieur, la Riksbank a longtemps privilégié la compétitivité cambiaire au détriment de la stabilité financière, au point de laisser gonfler l’endettement des ménages à des niveaux inquiétants.

Au Royaume-Uni, Mark Carney doit composer avec une économie proche du plein emploi mais soumise au choc politique et économique d’un futur Brexit et à une inflation importée élevée.

Dans ces quatre pays, le risque est que la normalisation des taux intervienne trop tard pour éviter une correction brutale des prix d’actifs, avec des effets rétroactifs sur la conjoncture et les perspectives d’atteinte de la cible d’inflation, révélant ainsi un conflit d’objectif entre le mandat institutionnel des banques centrales (inflation, plein emploi) et la stabilité financière (rôle des effets richesse liés aux valorisations patrimoniales dans l’atteinte du plein emploi). La BCE n’est pas (encore) confrontée à ce dilemme, mais sa communication doit affronter une autre ambiguïté, celle provenant du conflit d’objectif entre risque de surchauffe allemande et soutien aux économies périphériques endettées.