Elections allemandes : continuité attendue… ou presque

par Tristan Perrier, Stratégie et Recherche économique chez Amundi

Les sondages annoncent une large victoire de la CDU/CSU d’Angela Merkel mais plusieurs scénarios de coalitions gouvernementales sont possibles. Les programmes des partis susceptibles de participer au gouvernement (CDU/CSU, SPD, FDP et/ou Verts) présentent, à côté de nombreuses convergences de vues, des différences significatives concernant les priorités budgétaires et les politiques européennes.

Sur le plan budgétaire, ces quatre partis sont favorables à des baisses d’impôts, mais divergent concernant leurs montants et leur ciblage. Les priorités en matière de dépense publique ne sont pas les mêmes (infrastructures, social et/ou défense). En particulier, la CDU/CSU entend renforcer les infrastructures davantage en réduisant les obstacles administratifs que via de nouvelles dépenses.

Concernant l’Europe, certains sujets font l’objet d’un quasi-consensus (fermeté concernant le Brexit, renforcement de la coopération de défense, solidarité limitée entre États). SPD et Verts sont toutefois plus ouverts que la CDU/CSU au renforcement des institutions européennes dans une direction plus fédérale, alors que le FDP est le plus réticent.

Malgré ces différences, l’attitude allemande vis-à-vis de l’Europe ne devrait pas connaitre de rupture. Le futur gouvernement acceptera quelques avancées prudentes, mais les réticences vis-à-vis de la mutualisation des risques resteront importantes. En cas de nouvelle crise de la zone euro, la composition de la coalition gouvernementale pourrait cependant influencer la réaction allemande.

La mise en œuvre d’une partie des promesses de campagne génèrera un léger stimulus budgétaire, mais nous prévoyons tout de même que la croissance allemande sera un peu moins forte en 2018 qu’en 2017 (retour au potentiel plutôt qu’affaiblissement).

Les bonnes performances économiques actuelles rendent de nouvelles décisions de politique économique moins urgentes que dans d’autres pays, mais le gouvernement devra quand même apporter des réponses aux dé s de moyen terme. Ceux-ci sont nombreux: absence de réformes importantes depuis plusieurs années, nécessaire rééquilibrage d’une économie trop dépendante de la demande externe et problématique économico-sociales liées au vieillissement, à l’intégration de la récente vague d’immigration, voire à la montée des inégalités sociales. Au vu de la progression du parti protestataire AfD, la stabilité politique allemande, caractéristique essentielle des dernières décennies pour la stabilité de la construction européenne elle-même, paraît aujourd’hui un peu moins inébranlable.

Contexte, calendrier et système électoral

L’Allemagne est aujourd’hui dirigée par une coalition dominée par la CDU/CSU d’Angela Merkel (droite) associée au SPD (socialistes). Angela Merkel, Chancelière depuis 2005, effectue son 3e mandat. Elle avait déjà gouverné en coalition avec le SPD de 2005 à 2009, puis avec les libéraux du parti FDP de 2009 à 2013.

Le 24 septembre, les électeurs allemands renouvèleront le Bundestag, pour un mandat de 4 ans. En principe (d’après la Constitution) un gouvernement devra être formé un mois plus tard, étape suivie de la nomination du Chancelier.

Bien que complexe, le système électoral assure une représentation quasi- proportionnelle. Chaque électeur dispose de deux voix, l’une (« première voix ») pour voter pour un député de sa circonscription au scrutin uninominal majoritaire à un tour (299 députés), l’autre (« seconde voix ») pour voter pour une liste de candidats dans le cadre de son Land (299 députés également). Un système de « compensation » attribue des sièges supplémentaires (le total pouvant alors dépasser 598) pour assurer au total une représentation proportionnelle au nombre de « secondes voix » reçues par chaque parti ayant dépassé le seuil de 5 % au niveau national ou remporté 3 circonscriptions.

Cette proportionnalité rend les coalitions presque inévitables. Depuis la création de la République Fédérale d’Allemagne en 1949, il n’est arrivé qu’une seule fois (en 1957) qu’un parti obtienne une majorité absolue de députés.

La CDU/CSU dispose aujourd’hui de 41,5 % des sièges, le SPD de 25,7 %, Die Linke (extrême gauche) de 8,6 % et les Verts de 8,4 %. Les deux autres grands partis, le FDP (libéraux) et l’AfD (extrême-droite) ne sont pas représentés, n’ayant pas franchi le seuil des 5 % lors du scrutin de 2013.

– Victoire très probable de la CDU/CSU, mais plusieurs scénarios de coalitions gouvernementales sont possibles.

La CDU/CSU est très largement en tête avec 35 % à 40 % des intentions de vote. Le SPD est en deuxième position, très faible par rapport à sa représentation historique, avec environ 25 % (il a brièvement fait jeu égal avec la CDU/CSU en début d’année, mais a fléchi depuis). Les partis FDP (libéraux), Die Linke (extrême gauche) et AfD (extrême-droite) sont légèrement en dessous de 10 % chacun, les Verts entre 7 % et 9 %. Le débat du 3 septembre (seul débat télévisé entre A. Merkel et M. Schulz, leader du SPD) semble n’avoir été bénéfique ni à l’un ni à à l’autre des deux grands partis.

L’arrivée en tête de la CDU/CSU est donc très probable, conférant un 4e mandat de chancelière à A. Merkel. Il y a, en revanche, une incertitude concernant le ou les parti(s) qui la rejoindra (ont) pour former une coalition gouvernementale:

  • Le scénario le plus plausible, au vu des sondages, est un renouvellement de la coalition de la CDU/CSU avec le SPD. Cependant, en cas de très mauvais score, le SPD pourrait être réticent à participer de nouveau au gouvernement avant d’avoir mené une réflexion de refondation. Rappelons également que, gage de continuité politique, une telle « grande » coalition est parfois perçue comme faisant aussi le jeu des extrêmes, qui peuvent facilement arguer de la collusion des deux grands partis sur les principaux sujets.
  • Cependant, si la CDU/CSU et le FDP obtenaient ensemble une majorité (soit un peu plus que ce qu’annoncent les sondages), alors une coalition gouvernementale les réunissant deviendrait le scénario le plus probable. S’il est vrai le FDP n’a pas gardé un bon souvenir de sa dernière coalition avec la CDU/CSU, les programmes économiques des deux partis sont assez proches.
  • Une majorité pour la CDU/CSU et les Verts rendrait également possible une coalition constituée de ces deux partis, combinaison inédite au niveau fédéral, mais déjà expérimentée au niveau des Länder.
  • Une majorité à trois regroupant CDU/CSU, FDP et Verts fait également partie des scénarios à envisager. Déjà mathématiquement viable au vu des sondages, elle serait cependant difficile à construire, en raison des nombreuses divergences de programmes entre FDP et Verts.
  • En revanche, une coalition dominée par le SPD (allié à l’extrême-gauche, aux Verts, au FDP et/ou à une CDU/CSU qui serait alors un partenaire « junior ») est très peu probable d’après les sondages.
  • Enfin, tous les grands partis « classiques » rejettent aujourd’hui le principe d’une coalition incluant l’AfD. Le seul cas où l’AfD pourrait peser directement sur les décisions politiques serait celui (improbable) d’un gouvernement CDU/ CSU minoritaire.

– CDU/CSU, SPD, Verts et FDP : des points communs mais aussi d’importantes divergences sur l’Europe et la politique économique.

D’une façon générale, les programmes économiques des partis susceptibles de jouer les rôles principaux au sein du futur gouvernement (CDU/CSU, SPD, Verts, FDP) font plus de place aux thèmes budgétaires qu’aux réformes structurelles visant une amélioration de la compétitivité. Ce dernier sujet est en effet jugé moins prioritaire en Allemagne, au vu des performances économiques récentes du pays, qu’en France, en Espagne et en Italie. 
Chacun de ces 4 partis prévoit des baisses d’impôts de façon agrégée, mais avec des différences concernant les montants et les populations ciblées: baisses plus importantes et réparties sur tous les contribuables pour la CDU/CSU et, surtout, le FDP, alors que SPD et Verts veulent concentrer l’effort sur les bas revenus tout en augmentant l’imposition des plus aisés. 
Chacun de ces 4 partis prévoit également des hausses de dépenses, avec, là aussi, des différences de priorités (infrastructures pour le SPD, le FDP et les Verts, défense pour la CDU/CSU et le FDP, dépenses sociales pour le SPD les Verts, et, dans une moindre mesure, la CDU/CSU). Les montants ne sont pas, en général, annoncés précisément (voir encadré) De façon notable, pour développer les investissements en infrastructure, la CDU/CSU entend davantage réduire les obstacles administratifs qu’utiliser le levier de la dépense fédérale (rappelons qu’une grande partie de ces décisions sont prises au niveau des Länder).

Vis-à-vis de l’Europe, les quatre partis susceptibles de participer
 au gouvernement affirment leur attachement à la construction européenne, mais avec des divergences sur les modalités acceptables du renforcement de la solidarité entre États membres.

  • Il y a, dans l’ensemble, un consensus unissant CDU/CSU, SPD, FDP et Verts pour renforcer la politique européenne de défense et adopter une attitude ferme vis-à-vis du Brexit. Le principe d’une solidarité limitée entre États est également accepté, pour autant qu’il ne génère pas d’« aléa moral » et de transfert permanent de l’Allemagne vers les autres pays.
  • CDU/CSU, SPD et Verts sont ouverts à l’idée d’un renforcement du MES pour en faire un fonds monétaire européen, sans toujours donner beaucoup de précisions sur les modifications que cela impliquerait.
  • SPD et Verts sont également ouverts à l’idée d’un budget européen (au moins pour développer l’investissement en infrastructure et certaines dépenses contracyliques), alors que ce sujet n’est abordé que de façon très prudente par la CDU/CSU
  • Le FDP, en revanche, est réticent vis-à-vis de telles évolutions et, surtout, souhaite la création d’une procédure permettant à certains pays de sortir de la zone euro tout en restant dans l’UE.

Qu’attendre après les élections ? Avancées toujours prudentes dans la construction européenne, léger stimulus budgétaire, nécessité de répondre à d’importants enjeux structurels.

Au vu des scénarios de loin les plus probables (ceux où la CDU/CSU reste la principale force de la coalition gouvernementale), il y a peu de raisons d’attendre des changements majeurs dans l’attitude vis-à-vis de l’Europe. L’Allemagne continuera d’avancer très prudemment en privilégiant 1/l’augmentation des ressources disponibles pour certains programmes de coopération (défense, infrastructure) 2/une attitude un peu moins rigoureuse en matière budgétaire concernant les pays du Sud, évolution aidée par la reprise de l’ensemble de la région qui facilite la réduction des déficits 3/le renforcement de certaines institutions européennes, pour autant que l’Allemagne conserve un droit de veto de fait pour toute décision impliquant une mutualisation des risques.

L’Allemagne pourrait ainsi accepter de s’engager dans certaines des directions proposées par la France (budget et ministère des finances de la zone euro), mais en leur donnant une interprétation très limitative, en termes de montants, de sources de financement et de prérogatives. Elle restera, surtout, très attentive aux problématiques d’aléa moral et d’incitations, ces institutions devant promouvoir réformes et discipline budgétaire au lieu de faciliter la tâche aux États cherchant à y déroger. De plus le renforcement de certaines institutions pourrait se faire aux dépens d’autres: ainsi, la volonté de transformer le MES en fonds monétaire européen peut impliquer la reprise par cette institution des missions de surveillance budgétaire de la Commission, jugée trop politique. De même, sur le sujet de l’Union bancaire, il est peu probable de voir l’Allemagne accepter le principe d’une garantie commune des dépôts sans solides limitations de la capacité des banques d’investir dans les titres de leurs propres gouvernements.

Dans tous les cas, l’attitude de la France (la conduite des réformes promises par le gouvernement français et le respect par la France de ses engagements budgétaires) restera un facteur déterminant pour inciter l’Allemagne à franchir de nouvelles étapes. 
Notons toutefois que, dans le cas d’une coalition unissant CDU et FDP, on ne peut exclure que la volonté allemande de maintenir coûte que coûte l’intégrité de la zone euro dans ces frontière actuelles soit un peu moins affirmée (ou du moins, perçue comme telle par les marchés) si survenait une nouvelle crise analogue à l’épisode grec de l’été 2015. Ce risque, cependant, ne doit pas être exagéré, quand bien même le FDP persisterait à souhaiter officiellement la création d’un parcours de sortie de la zone euro pour certains pays. Ce parti ne serait en effet que le partenaire « junior » d’une coalition solidement dominée par la CDU. 
Concernant l’économie allemande elle-même, l’application du programme de la CDU/ CSU (éventuellement légèrement modifié pour tenir compte de certaines demandes du SPD, du FDP ou des Verts, suivant la coalition qui sera formée) produira un léger 
 stimulus budgétaire (environ 0,3 % de PIB sur 2 ans pour une vingtaine de milliards d’euro de baisses d’impôts, auquel il faut ajouter les dépenses d’infrastructures dont le multiplicateur est plus élevé mais le montant très incertain). En prenant en compte le fait qu’un stimulus budgétaire est déjà à l’œuvre depuis 2016 en raison des dépenses rendues indispensables par l’afflux de réfugiés, il n’est pas certain que ce stimulus donne un vrai coup d’accélérateur à la croissance. Dans le scénario, très peu probable, d’une coalition dominée par le SPD, il faudrait s’attendre à un stimulus budgétaire plus important côté dépenses (peut-être mitigé par des effets de confiance négative).

Au vu des bons chiffres réalisés au S1 2017, nous venons de relever notre prévision de croissance 2017 à 2 %. Pour 2018, nous attendons une légère décélération à 1,7 %, soit tout de même une expansion robuste, reposant sur une bonne tenue de la consommation publique et privée, de l’investissement et de la construction (1,7 % correspond en fait au niveau de la croissance potentielle, vers laquelle l’économie devrait converger dans un contexte de plein-emploi et d’output gap pratiquement fermé).

Il y a, par rapport à ces prévisions, des risques haussiers non négligeables (si le chômage très bas finissait en n par déboucher sur des hausses de salaires, qui entraineraient également une réduction du très important surplus courant, identifié comme un déséquilibre macroéconomique par la Commission européenne). Les principaux risques baissiers pourraient venir d’une hausse trop rapide de l’euro, ou d’un accident de croissance dans le reste du monde, pour ne mentionner que les risques de nature économique.

Enfin, à long terme, rappelons que les principaux enjeux domestiques à traiter par le prochain gouvernement seront probablement: 1/l’absence de véritables réformes structurelles visant à augmenter la productivité depuis la n de la dernière décennie, alors que les 3 autres grands pays de la zone euro, France, Italie, et Espagne ont réalisé certaines avancées et pourraient continuer. La thématique du « repos sur les lauriers » et d’un pouvoir politique qui s’est surtout focalisé sur la gestion de l’urgence (crise de la zone euro, crise des réfugiés) semble en effet préoccuper de plus en plus d’économistes allemands. Les organisations internationales, pour leur part, appellent notamment l’Allemagne à accroître la concurrence sur le marché des services (voir encadré ci dessous). 2/La question du renforcement de la demande interne alors que le pays apparaît aujourd’hui trop dépendant du commerce extérieur, thème qui renvoie à celui du surplus courant et des efforts à faire pour favoriser des hausses de salaires et le développement des infrastructures. 3/les problématiques économico-sociales, portant sur le vieillissement, l’intégration de la récente vague d’immigration, mais aussi peut-être la question, souvent évoquée, de la montée des inégalités et du nombre des « travailleurs pauvres », même si l’importance de ce dernier phénomène ne fait pas consensus, et que le SPD semble avoir échoué à en faire un thème de campagne porteur.

À bien des égards, les problèmes économiques allemands restent moins urgents à résoudre que ceux de la France ou de l’Italie. Cependant la progression du courant protestataire incarné par le parti AfD, vient montrer que la stabilité politique allemande, pièce essentielle, depuis des années, de la solidité de la construction européenne tout entière, est peut-être devenue aujourd’hui un peu moins inébranlable. Si les déterminants de cette montée du mécontentement sont assurément multiples et complexes, ils appellent, parmi d’autres types de réponse, de nouvelles décisions économiques.