Les marchés sont compliqués …mais finalement « bull »

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

En bourse, le mois de septembre est statistiquement le moins bon de l’année. Il s’achève cette année sur une note très positive ! Les doutes que nous avions exprimés lors de notre comité d’allocation de rentrée ne se sont pas concrétisés. La tendance de fond reste positive en dépit d’une situation globale compliquée sur le plan géopolitique, avec des marchés administrés par des Banques Centrales et après un cycle très long. Comment analyser cette situation ? Quelle stratégie adopter en vue de la fin de l’année ?

La rentrée financière a été étonnamment positive

Pratiquement toutes les classes boursières clôturent le mois en hausse : 2 % pour l’indice S&P 500, près de 4 % pour les actions de la zone Euro (4,9 % pour le CAC 40) et 4,2 % pour les actions japonaises.

Au final, l’indice des actions internationales progresse de 2,2 % en monnaies locales. Depuis le début de l’année, les performances des actions sont ainsi nettement positives, avec 14 % pour les actions américaines (S&P 500 en USD) et 12 % pour les actions de la zone Euro (EuroStoxx).

Parallèlement, les rendements obligataires ont remonté en septembre, de 15 à 20 pb sur les taux à 10 ans de part et d’autre de l’Atlantique, ce qui est plutôt rassurant car il éloigne le spectre d’un retour vers la déflation…

Cette orientation positive s’accompagne de la persistance d’une volatilité très faible : le VIX(1), volatilité des actions américaines, est considéré comme un indicateur de perception du risque. Il se stabilise depuis plusieurs mois autour de 10, alors qu’il se situe plutôt entre 15 et 20 historiquement.

La tendance est donc clairement positive sur les marchés, notam- ment à Wall Street : il s’agit désormais du 2e plus long marché haus- sier de l’histoire financière américaine (après celui de 1987/2000)… Cette tendance positive s’appuie sur deux piliers majeurs :

1 – La croissance. La tendance est redevenue clairement positive (cf. graphe) et il n’y pas de signe d’essoufflement à ce stade.
Il n’y a ainsi pratiquement plus de pays en récession dans le monde. Les Etats-Unis avaient un peu déçu jusqu’à présent après les espoirs suscités par le scénario de reflation promis par Donald Trump et un début d’année aux statistiques difficiles à interpréter. La croissance se stabilise toutefois au-dessus de 2 %. Mais de nouveaux espoirs d’amélioration ont vu le jour très récemment avec la possibilité d’un accord entre le président et le Congrès sur la mise en place de réformes fiscales. Le projet prévoit une refondation des barèmes d’impôts sur le revenu (simplification et baisse du taux de la tranche supérieure). Mais, pour Wall Street, le point important concerne les entreprises. Ce volet traite surtout deux sujets : une taxe à taux réduit sur le rapatriement des capitaux des entreprises détenus à l’étranger (le montant est estimé près de 2 500 Mds$) et une baisse de l’impôt des sociétés de 35 à 20 %. D’après ce que nous avons pu recueillir comme informations, le cumul de ces deux mesures aurait un impact positif de près de 10 %, toute chose égale par ailleurs, sur la valorisation de l’indice S&P 500 (rachats d’actions + impact sur les bénéfices). Pour le reste, la zone Euro continue à accélérer, de manière synchronisée entre les pays. L’Eurozone est dans sa meilleure performance depuis 10 ans, avec un rythme de croissance qui a atteint 2,5 % en rythme annuel au T2. La croissance pourrait ainsi se situer autour de 2 % cette année. Le cas de la Chine devra être suivi avec attention (cf. ci-dessous). Saura-t-elle éviter un ralentissement inévitable ? Pour l’instant, la croissance se main- tient au-dessus de la cible gouvernementale de 6,5 %. Le reste du monde émergent accélère après quelques années difficiles et les flux d’investissement reviennent.

Au final, la croissance mondiale sera très probablement supérieure à 3,5 % cette année et l’année prochaine.

2 – Les bénéfices des entreprises. Le contexte macroéconomique positif se répercute naturellement sur les entreprises. Pour la première fois depuis plusieurs années, les prévisions de résultats des entre- prises réalisées en début d’année ont de fortes chances d’être atteintes, aux Etats-Unis comme en Europe. Les dernières publications et « guidances » des chefs d’entreprises sont rassurantes de ce point de vue. En zone Euro, les bénéfices vont progresser de près de 15 % en masse en 2017 et sont attendus à + 8 % en 2018. Aux Etats-Unis, la progression des bénéfices agrégés de l’indice S&P 500 sera de 11 % cette année et est attendue à + 10 % l’année prochaine et pourrait être revue à la hausse selon les mesures fiscales prises.

Ces deux facteurs sont très puissants. Historiquement, les phases de forte correction boursière aux États-Unis se produisent 9 fois sur 10 quand il y a une récession, ce qui ne sera sûrement pas le cas au cours des deux prochaines années. Le critère de valorisation, plutôt élevé, ne suffit pas à lui seul à provoquer un réel « bear market ». Il peut cependant y avoir des phases de correction plus modérées. Elles seraient provoquées à notre avis par trois risques potentiels :

1 – Une erreur de politique monétaire. Les Banques Centrales ont largement contribué à l’orientation des marchés financiers ces dernières années en portant les taux d’intérêt à des niveaux de faiblesse inédite et en intervenant directement sur les marchés. L’actualité est désormais à une certaine forme de normalisation. La voie choisie est celle d’une extrême prudence, à la fois dans le rythme, mais aussi dans la communication avec les investisseurs : les Banques Centrales s’évertuent ainsi à ne pas surprendre négativement les marchés. Le chemin est donc bien balisé, mais l’inflation pose question. Sa faiblesse constitue une sorte de mystère actuellement (selon les termes de Janet Yellen) pour les économistes. à ce stade du cycle, surtout aux Etats-Unis, elle devrait être plus élevée avec un taux de chômage à moins de 5 %. Elle devrait logiquement être alimentée par des tensions sur les salaires et dans le prix des services, d’autant plus que le dollar baisse désormais. Or, l’inflation « Core(2) » vient de baisser à près de 1,5 % et s’éloigne de fait de la cible de 2 % que s’est donnée la Reserve Fédérale. La cible n’a donc plus été atteinte depuis 2012 ! De même l’inflation sous-jacente reste basse en zone Euro, autour de 1,2 %, alors que les enquêtes auprès des entreprises laissent augurer d’une hausse des prix facturés. Par ailleurs, le prix des matières premières commence à remonter, notamment sur certains métaux. Cette fois-ci, est-ce vraiment différent ? La mondialisation des échanges et les gains de productivité liés à la technologie et à la robotisation ont-ils définitivement tué l’inflation ? Difficile à dire, mais il existe un risque de sous-évaluation de l’inflation par les marchés : la persistance d’une inflation durablement faible est ainsi devenue un « lieu commun » et l’expérience nous indique qu’il faut donc se méfier. Ceci conduirait à une normalisation plus rapide des politiques monétaires et donc à une tension plus importante des rendements obligataires.

2 – Une volatilité accrue sur le marché des changes, et surtout une poursuite de la baisse du dollar. Rappelons que les marchés n’aiment pas les périodes de taux de change trop volatiles, surtout quand cela concerne le dollar. Dans le cas présent cela pourrait, en outre, créer un décalage de communication entre la Fed et la BCE alors qu’elles étaient plutôt bien coordonnées ces derniers mois. Un dollar trop faible serait surtout pénalisant pour l’Europe : les entreprises européennes seraient ainsi moins compétitives sur le marché américain bien entendu, mais aussi sur les marchés internationaux… La zone de 1,23/1,26 sur la parité euro/dollar reste majeure : un franchissement de celle-ci pourrait créer une accélération vers le point de 1,40, ce qui modifierait sensiblement les prévisions de bénéfices des entreprises de la zone Euro. Nous ne pensons pas qu’un tel scénario se produira à court terme et gardons les vues exprimées dans notre publication du mois dernier. Ce mouvement étant devenu désormais très consensuel, nous anticipons plutôt un retour vers la zone de 1,15 à court terme, avant éventuellement un test de la résistance 1,23 /1,26 à moyen terme.

3 – Les risques géopolitiques. La situation entre la Corée du Nord et les Etats-Unis reste complexe et, surtout, potentiellement dangereuse car il semble difficile de cerner les personnalités et les buts des deux dirigeants. Il convient cependant de remarquer que ce sujet n’a pas vraiment impacté les marchés jusqu’à présent car la probabilité d’une escalade sérieuse est jugée faible. Nous n’avons pas d’avis éclairé sur ce sujet, qu’il conviendra de surveiller toute- fois. En zone Euro, la politique est revenue un peu sur le devant de la scène avec le résultat des élections allemandes (coalition difficile à trouver pour Angela Merkel, avec des conséquences potentielles sur la volonté de créer, ou non, une Europe plus intégrée) et avec la question de l’indépendance de la Catalogne. Il y a aussi les élections italiennes à venir… Rien de bien sérieux pour les marchés a priori. Ce qui nous paraît beaucoup plus important se passera en Chine. Le pays ne focalise pas l’attention des marchés, or c’est un sujet clé. Le pouvoir du Président Xi sera probablement conforté lors du remaniement du bureau central du Parti communiste qui aura lieu le 18 octobre. Une fois cette recomposition effectuée, les marchés suivront avec attention les nouvelles orientations données, avec quelques sujets majeurs : maîtrise de la bulle immobilière, réorientation de l’économie vers la consommation domestique et poursuite (ou non), de l’objectif de faire du RMB une monnaie internationale, librement convertible à terme. L’enjeu est la pour- suite de la croissance chinoise, essentielle à l’économie mondiale. Les moteurs historiques des exportations et de l’investissement touchent leurs limites et le pays devient mois compétitif alors que l’endettement global a explosé ces dernières années. Des réformes sont donc nécessaires et devront être pilotées par un président fort et éclairé : restructurations des SOE (entreprises d’état), investissement accru dans l’éducation et l’innovation, investissement en productivité (robotisation…). Par ailleurs, une adaptation de la fiscalité et un développement des institutions de prévoyance (santé, retraites…) seront nécessaires afin que le taux d’épargne se réduise et favorise la consommation. Bref, les enjeux sont énormes et une déception serait de nature à engendrer de sérieux doutes sur la croissance mondiale…

Au final – si ces risques existent – ils nous semblent soit de faible probabilité, soit de nature potentiellement plus lointaine et ne paraissent pas suffisamment importants pour entraver significativement la tendance positive de fond actuelle.

Les courbes des taux sont « administrées »

Avant la crise de 2008, les Banques Centrales pilotaient le niveau des taux d’intérêt à court terme. Avec la mise en place des poli- tiques de « Quantitative Easing », elles interviennent désormais sur toute la courbe des taux en faussant le jeu naturel de l’offre et de la demande. Ce faisant, et alors que les niveaux d’endettement montaient, les taux d’intérêt sont restés à de très faibles niveaux, si bien qu’il y a désormais une réelle rareté d’émissions obligataires face à la demande naturelle des investisseurs de long terme. L’amélioration conjoncturelle attendue va provoquer ainsi une baisse de près de 5 % du niveau de dette rapportée au PIB dans les pays de la zone Euro, passant de près de 90 à 85 % selon les prévisions. Une normalisation des politiques monétaires est attendue logiquement dans ce contexte et des annonces sur les réductions de programmes d’achat seront réalisées au cours des prochaines semaines. La communication sera délicate, comme on l’a vu, surtout que les objectifs d’inflation que les Banques Centrales se sont données ne sont pas atteints. Les marchés attendent une réduction de 20 Mds€ par mois du montant d’achat de dettes, et pas de modification à court terme des taux directeurs, ce qui est conforme à nos attentes. La Fed va réduire à partir d’octobre la taille de son bilan par le non réinvestissement d’une partie des obligations arrivant à maturité. Nous attendons un relèvement du niveau des Fed Funds de 25 pb en fin d’année, et deux, d’ampleur identique en 2018. Ces mouvements devraient donner une nouvelle marge de manœuvre pour agir à la fin de ce cycle, estimé mi-2019.

Nous conservons notre scénario de remontée très progressive des taux longs et avons pour objectifs, 0,75 % sur le Bund 10 ans et 2,50 % pour le T-Notes de même maturité.
Les obligations crédit restent chères et il y a peu de potentiel de réduction supplémentaire des spreads. Il vaut mieux quelquefois réduire les positions d’obligations crédit pour se repositionner sur un panel d’obligations gouvernementales de la zone Euro au rendement quasi équivalent et avec un risque différent. Le segment « Haut Rendement » ne nous semble également pas attractif : le rendement de l’ensemble du gisement européen hors financières est de 2,3 % et 51 % du marché affiche un rendement inférieur à 2 % contre 36 % en avril dernier et 11 % début 2016. à noter aussi que le rendement des obligations « High Yield » reste inférieur à celui des actions. Attention également en cas d’accélération des flux sortants car ce marché n’est pas toujours très liquide. Nous continuons à penser que les obligations indexées couvertes du risque de taux conservent de l’attrait à moyen terme et complètent un portefeuille obligataire. Les « Breakevens » inflation(3) à 10 ans se stabilisent autour de 1,2 % pour le Bund et 1,8 % aux Etats-Unis.

Nous aimons également les obligations émergentes même si elles ont déjà bien progressé. Une pause technique pourrait être observée, notamment sur les devises. Il pourrait y avoir de ce fait des points d’entrée intéressants dans les prochaines semaines, surtout que les rendements restent attractifs en relatif même s’ils ont baissé : près de 6 % pour l’indice de dettes locales et 5 % pour celui de dettes fortes. Nous aimons toujours les obligations convertibles, surtout européennes pour leur convexité intéressante aux niveaux actuels.

Une nouvelle vague de hausse démarre semble-t-il…

Les marchés ont stagné entre mai et septembre, ayant intégré globalement l’amélioration macroéconomique et les bonnes perspectives concernant les comptes des entreprises. Les espoirs de baisse de la fiscalité ont redonné de l’impulsion dans un contexte où les investisseurs étaient devenus un peu plus prudents. Le mouvement peut se poursuivre selon nous et nous avons un potentiel d’appréciation des actions européennes de l’ordre de 5 % d’ici la fin de l’année et comprises entre 5 et 10 % l’année prochaine. Ceci est non négligeable en comparaison des performances probablement légèrement négatives que nous anticipons sur les marchés obligataires. Par ailleurs, le rendement des dividendes supérieur à 3 % pour les actions de la zone Euro constitue un facteur de soutien et d’attrait non négligeable. Les actions américaines sont chères sur tous les critères en absolu au regard des normes historiques. Mais en relatif, la faiblesse des taux d’intérêt les rend plus attractives. Par ailleurs, les bénéfices des entreprises sont orientées à la hausse et les programmes de rapatrie- ment pourraient engendrer une vague de rachats d’actions, augmentant de fait le rendement des dividendes actuellement légèrement inférieur à 2 %. Nous pensons qu’elles disposent d’une marge de progression de l’ordre de 5 à 10 % d’ici la fin de l’année 2018, ce qui porterait l’indice S&P 500 autour de la zone de 2 750 points. En termes de secteurs et de style, nous conseillons de revenir plutôt vers des valeurs dites « value ».

Notre scénario central

Les « arbres ne montent pas au ciel », comme le dit le célèbre adage boursier. Et il est vrai que la spectaculaire hausse des actions des dernières années suscite le doute, notamment sur le plus grand marché du monde : Wall Street.

Les valorisations y sont élevées et il s’agit désormais du 2e plus long « Bull Market » de l’histoire.
Mais sur les marchés, il n’y a pas « d’obsolescence programmée ». Les tendances de fond macro et micro- économiques nous semblent suffisamment puissantes pour repasser positifs sur les actions à moyen terme.

NOTES

  1. VIX : indicateur de volatilité américain, calculé en faisant la moyenne des volatilités sur les options d’achat et les options de vente, sur l’indice S&P 500.
  2. L’inflation core est une inflation dont on a retiré certains éléments extrêmement fluctuants comme les matières premières, agricoles, énergétiques.
  3. Le « Breakeven » inflation représente la différence de rendement entre une obligation classique (taux nominal) et son équivalente indexée sur l’inflation (taux réel).