Changement de régime pour le rendement des actions

par Christophe Donay, Responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macroéconomique chez Pictet Wealth Management

Même si la croissance des bénéfices devait se maintenir autour de 10% aux Etats-Unis, les valorisations ne supporteraient pas la déception.

Alors que les sources d’incertitude politique et géopolitique se multi- plient, la volatilité des marchés actions est restée historiquement basse. Entre le début de l’année et le 15 septembre, le S&P500 n’a connu que quatre séances de baisse supérieure à 1%.

Mais ce calme apparent cache un scepticisme croissant de la part des investisseurs, visible à la manière dont les indices boursiers se comportent. L’élection d’un nouveau président faisant miroiter allègements fiscaux, déréglementation et investissements de grande ampleur dans les infrastructures, les valeurs américaines avaient bondi début 2017. En Europe, c’est la croissance à deux chiffres des bénéfices (qui partaient, certes, d’un niveau très bas) qui a soutenu le cours des actions. Mais l’état d’esprit a changé ces six derniers mois. La vie politique amé- ricaine montrant des signes inquiétants de dysfonctionnement, le «Trump trade» a pris l’eau. Conséquence: la progression du rendement annualisé du S&P500 entre le 1er mars et le 15 septembre a été de l’ordre de 7,5% en dollars, bien loin des quelque 50% affichés entre l’élection de Donald Trump en novembre dernier et n février de cette année. Un déclin de cette amplitude peut légitimement être qualifié de changement de régime.

Mais même sans la relance promise par Donald Trump, le contexte économique semble relativement favorable pour le reste de l’année et le premier semestre 2018. En revanche, nous anticipons un essoufflement de la croissance américaine au second semestre 2018 (qui passerait d’environ 2,2% à 1,7% en rythme annualisé). Cette situation freinera d’elle-même la croissance potentielle des bénéfices, qui devrait rester aux alentours de 10% outre-Atlantique. Si cette hausse devait suffire pour que les valorisations actuelles restent supérieures à la moyenne, la marge de progression s’avérerait beaucoup plus limitée. A contrario, les résultats européens ne devraient pas réussir à reproduire les plus de 20% de croissance enregistrés cette année.

Surprises politiques

Des surprises (bonnes comme mauvaises) restent bien sûr possibles, et l’actualité politique américaine est capable des deux. En l’état actuel des choses, nous ne pensons pas que l’administration Trump réussira à obtenir le consensus politique nécessaire pour faire voter les allègements fiscaux et les réformes de fond qui assureraient un avenir «radieux» aux entreprises américaines. Nous doutons également de la mise en place d’une véritable relance par l’offre dans les prochains mois. Plus inquiétant encore, toute tentative de destitution du président Trump (dont l’administration semble d’ores et déjà vacillante) pourrait sérieuse- ment déstabiliser les marchés financiers. Même si, jusqu’à présent, elles ont été étayées par la croissance des bénéfices, les valorisations atteignent des niveaux élevés, ce qui ne laisse aucune marge de manœuvre en cas d’in- quiétudes économiques, politiques ou géopolitiques.

Nous en concluons que le rende- ment des bons du Trésor américain à 10 ans montera à environ 2,5% d’ici à la fin de l’année. Mais, dans un contexte de dégradation de la dynamique économique et d’inflation durablement faible, il lui sera difficile d’aller plus loin d’ici à la n 2018. Nous continuons de penser que le monde restera aux prises avec des taux faibles, les taux d’intérêt nominaux butant contre la barre des 3,5% des deux côtés de l’Atlantique. Les rendements devraient être moins élevés que par le passé, mais les obligations souveraines continueront de constituer une protection importante pour les portefeuilles, notamment dans un contexte politique et géopolitique tendu.

La vigueur du dollar, autre thème au long cours, paraît toucher à sa n. Si le billet vert a récemment semblé survendu, rendant probable un rebond à court terme, un déclin progressif (mais pas une crise en bonne et due forme) de la devise américaine pourrait profiter aux actifs émergents.