Le commerce mondial, en marche arrière ?

par Marie-Hélène Duprat, Economiste chez Société Générale

La mondialisation est le fait dominant du monde de l’après-Guerre froide: elle a rendu les économies plus interconnectées et plus interdépendantes que jamais. La vague actuelle de mondialisation est la deuxième en l’espace de deux siècles. La première a commencé dans la première moitié du XIX siècle sous l’effet combiné de percées technologiques et de politiques commerciales libérales en Europe continentale. Elle s’est effondrée lorsque la Grande Dépression des années 1930 a fait le lit du protectionnisme.

La présente vague de mondialisation a été impulsée par trois facteurs principaux : 1) la libéralisation commerciale la plus importante de l’histoire, 2) des progrès technologiques continus dans les transports et communications, 3) l’émergence d’une spécialisation verticale massive. Mais aujourd’hui, la mondialisation semble vulnérable. Alors qu’elle tend à accroître la richesse globale, le problème est que les gains qui en découlent sont de plus en plus inégalement répartis au sein des pays. Les cols bleus de la « ceinture de rouille » qui ont voté pour M. Trump ou les retraités britanniques qui ont soutenu le Brexit ne croient plus que la mondialisation leur profite.

La montée du sentiment anti-globaliste, le vote en faveur du Brexit et la victoire de Donald Trump font aujourd’hui craindre que la deuxième vague de mondialisation ne se termine comme la première. L’histoire pourrait-elle se répéter ? La réponse à cette question dépend de la réponse qui sera apportée à une question plus étroite : les dirigeants politiques sont-ils prêts à garantir une répartition plus égalitaire (via des taxes, transferts, etc.) des gains issus du commerce, notamment dans les économies à revenu élevé ?

• Le rejet de la mondialisation est-il préoccupant ? Oui. L’ère de la mondialisation a vu un recul significatif de la pauvreté de masse et des inégalités entre les pays. En outre, du fait de l’imbrication des échanges commerciaux le long des chaînes de valeur régionales et internationales, une forte hausse des barrières tarifaires pénaliserait directement les économies nationales, avec des retombées très néfastes sur les entreprises et l’emploi.

Le protectionnisme pèse comme une épée de Damoclès sur le commerce international. Le Royaume- Uni – historiquement, la nation du libre-échange par excellence – a voté l’année dernière pour sa sortie de l’Union européenne – la première puissance économique mondiale et le premier exportateur et importateur du monde. Pour autant, la rhétorique autour du Brexit n’était pas explicitement protectionniste mais plutôt dominée par la peur de l’immigration. En ce qui concerne le commerce, les partisans du Leave arguaient que le Royaume-Uni serait mieux loti s’il pouvait s’affranchir du tarif douanier commun de l’Union européenne afin d’être libre de négocier des accords de libre-échange avec le monde. Par contraste, Donald Trump a fait campagne contre le libre-échange, dans le cadre d’une stratégie économique axée sur le thème de « L’Amérique d’abord » (America first). En France, deux des candidats à l’élection présidentielle, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, voyaient dans l’introduction de mesures protectionnistes le remède aux difficultés économiques du pays.

Donald Trump été propulsé à la présidence des Etats- Unis grâce, largement, aux États qui ont vu un grand nombre d'emplois manufacturiers disparaître – en particulier les emplois à 30 dollars de l’heure. Il a exploité la colère de nombreux électeurs convaincus que la mondialisation leur a coûté leur emploi, une colère qui balaie aujourd’hui le monde occidental – colère contre la perte d'emplois et l'érosion des salaires, colère contre les élites et la poussée des inégalités. À l’évidence, d'importants segments de la population occidentale ne croient plus aujourd’hui qu’ils tirent avantage de l'intégration commerciale. La montée du sentiment anti-mondialiste, le vote pour le «Brexit» et la victoire de Donald Trump ont fait craindre que la seconde vague de mondialisation qui a commencé après la Seconde Guerre mondiale puisse prendre fin, tout comme la première vague qui s'est effondrée après la Première Guerre mondiale (voir encadré 1). Sommes-nous sur le point d'assister à une perturbation des flux mondiaux des échanges commerciaux semblable à celle dont le monde a été témoin pendant l'entre-deux-guerres? Il est encore trop tôt pour le dire mais la possibilité est réelle. L'effondrement de la première vague de mondialisation durant l'entre-deux- guerres a en effet amplement démontré que les forces de la mondialisation ne sont pas irréversibles.

Dans cet article, nous commencerons par examiner les principaux moteurs de la seconde vague de mondialisation, qui s'étend de 1944 jusqu'à l'éclatement de la crise financière mondiale en 2008. Ensuite, nous documenterons et évaluerons les principales causes du ralentissement spectaculaire du commerce mondial intervenu dans le sillage de la crise financière mondiale. Enfin, nous aborderons la question de l'avenir du commerce mondial. Une tendance frappante de ces dernières décennies est l'accroissement des inégalités de revenus au sein des pays, notamment des pays riches – une tendance qui est à l'origine du rejet croissant de la mondialisation. La hausse des inégalités est, selon nous, une menace majeure pour la mondialisation, dont la poursuite dépend des décisions des pays en matière de politique commerciale. Pour que la mondialisation survive, la majorité, dans les démocraties occidentales, doit être convaincue qu'elle tire profit de la mondialisation. Et cela ne saurait se produire sans un renforcement considérable des mesures visant à combattre les effets négatifs de la mondialisation (via des dispositifs de protection sociale, de reclassement professionnel, etc.). À défaut, les gouvernements pourraient céder aux sirènes du populisme et du protectionnisme, ce qui pourrait faire des ravages dans l'économie la plus mondialisée de l'histoire.

La mondialisation des échanges a atteint des niveaux sans précédent

– Les Etats-Unis se sont faits les champions de la libéralisation du commerce après la Seconde guerre mondiale

Le repli protectionniste généralisé pendant l’entre-deux- guerres a été perçu – à tort ou à raison – comme la principale cause de la Grande Dépression des années 1930 et de la guerre qui s’en est ensuivie. Déterminés à ne pas revivre une telle expérience et convaincus que la libéralisation commerciale constituait le fondement de la prospérité (voir encadré2), les États-Unis se sont appuyés sur leur position hégémonique pour être, après la Seconde Guerre mondiale, le fer de lance de la libéralisation des échanges commerciaux. La politique menée après-guerre par l’Amérique peut être largement considérée comme une réaction aux traumatismes de l’entre-deux-guerres, théâtre de la Grande Dépression et de la montée du fascisme.

Une nouvelle approche de la coopération économique internationale a vu le jour, avec l’introduction de réglementations et la création d’organisations internationales destinées à soutenir l’intégration économique mondiale. Tandis que les Accords de Bretton Woods de 1944 entérinaient la coopération économique, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade – GATT) est devenu l’organisation internationale sous l’égide de laquelle s’est opérée, en plusieurs étapes, la libéralisation des échanges, notamment par des abaissements successifs des tarifs douaniers dans le secteur industriel. Signé par 23 nations en octobre 1947, le GATT est entré en vigueur en janvier 1948. Le 1er janvier 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a remplacé le GATT avec pour mission de superviser le système commercial multilatéral. À cette date, la plupart des pays y avaient adhéré. Depuis 2012, date de l’accession de la Russie, l’OMC réunit la quasi-totalité des grandes économies du monde.

L’OMC compte aujourd’hui 164 pays membres qui échangent des préférences tarifaires dans le respect de la « clause de la nation la plus favorisée » – clause par laquelle chaque État signataire s’engage à accorder à la totalité des membres de l’OMC, sans discrimination, tout avantage qu’il accorderait à un État tiers – et créent un système intégré unique de règles commerciales internationales. Les principes de réciprocité (visant à la conclusion « d’arrangements réciproques et mutuellement avantageux en vue de réduire substantiellement les droits de douane et les autres obstacles au commerce ») et de non-discrimination (garantissant «l’élimination des discriminations dans les relations commerciales internationales ») constituent les fondements du système GATT/OMC. La réciprocité, qui impose à chaque pays de démontrer que ses propres « concessions » sont en adéquation avec celles de ses partenaires commerciaux, a joué un rôle clé dans la promotion de la libéralisation des échanges commerciaux.

– La deuxième vague de mondialisation

De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au déclenchement de la crise financière internationale en 2008, la mondialisation a progressé à un rythme inédit. Le commerce international a crû de seulement 5 % du PIB mondial en 1948 à plus de 25 % en 2008, portant l’intégration mondiale à un niveau historiquement sans précédent. Au cours des années 1980, 1990 et jusqu’à l’éclatement de la crise financière mondiale en 2007- 2008, le commerce a progressé nettement plus rapidement que la croissance économique, de sorte que la plupart des pays ont affiché une progression de la part de leurs exportations et de leurs importations dans le PIB. L’intégration de l’économie mondiale qui en a résulté a permis d’accroître le niveau de vie dans le monde et d’améliorer les conditions de vie des populations les plus pauvres (on estime que grâce au commerce international un milliard de personnes ont pu s’affranchir de la pauvreté).

Trois facteurs principaux ont sous-tendu l’expansion sans précédent du commerce mondial d’après-guerre :

  1. La réduction et la levée des barrières commerciales négociées sous les auspices du GATT/de l’OMC
  2. Des progrès technologiques constants dans les domaines des transports et des communications
  3. L’émergence d’une spécialisation verticale massive.

*) La libéralisation des échanges la plus importante de l’histoire

Le GATT/l'OMC ont présidé à la libéralisation du commerce la plus importante et la plus durable de l’histoire (voir encadré 3). Les droits de douane ont été fortement réduits, passant de plus de 30 % à moins de 3 % (moyenne mondiale). Cette libéralisation s’est opérée en deux vagues principales. La première vague – largement terminée en 1980 – a concerné les pays développés. La seconde vague a touché les pays en développement et émergents. L’intégration de la Chine dans l’économie mondiale, qui a abouti à l’accession du pays à l’OMC, et la réintégration de l’Europe centrale et orientale dans l’Europe occidentale après la chute du mur de Berlin ont été des étapes cruciales dans ce processus. Les échanges ont connu un essor extraordinaire dans les années 1990 avec l’entrée de la Chine sur l’échiquier commercial mondial.

*) Baisse des coûts de transport et révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC)

Parallèlement à la libéralisation des échanges, les progrès techniques ont constitué un puissant vecteur de la deuxième vague de mondialisation en entraînant une chute considérable des coûts de transport et de communication. Après-guerre, les flux commerciaux ont été dopés par les progrès dans le domaine du transport par conteneurs qui se sont traduits par une baisse drastique des coûts du fret maritime et aérien. Depuis les années 1970, les avancées technologiques ont fortement réduit les coûts de traitement, de stockage et de transfert des données, multipliant de façon exponentielle les possibilités d’échanges internationaux. La révolution numérique a fait entrer le monde dans une nouvelle ère de mondialisation en permettant aux entreprises, quelle que soit leur taille, de rivaliser plus facilement sur les marchés internationaux. En permettant les transactions électroniques et en fournissant une plate-forme où les entreprises qui sont à des milliers de kilomètres de distance peuvent communiquer et échanger des informations, Internet a révolutionné le monde des affaires.

*) Spécialisation verticale et chaînes de valeur mondiales (CVM)

La baisse des coûts de transport et de communication a à son tour alimenté le troisième moteur décisif de l'expansion considérable du commerce depuis les années 1980 : la forte progression de la «spécialisation 
verticale» 6, à savoir l’utilisation d’intrants importés dans la production de biens qui seront par la suite exportés7. Le commerce a connu une accélération record entre le milieu des années 1980 et 2008, ce que les réductions tarifaires ne peuvent expliquer, celles-ci ayant été beaucoup moins importantes au cours de cette période.

C’est la forte progression de la spécialisation verticale qui rend largement compte de cet essor historique des échanges. La baisse considérable des coûts de transport et de communication a facilité la dispersion du processus de production à travers les pays, ce qui a entraîné une modification radicale de la nature des échanges : une part de plus en plus importante de l'activité de production s’est en effet trouvée fortement affectée par le commerce.

Il y a spécialisation verticale lorsque les pays se spécialisent uniquement dans certaines étapes du processus de production d’un bien donné. L’exacerbation de la concurrence internationale ayant poussé les producteurs à tirer parti des différences de coûts au-delà de leurs propres frontières, les étapes de production physiquement dissociables – conception, production et assemblage final – ont été localisées dans différents pays. Dans le même temps, l’ouverture des pays émergents a fait apparaître de nouvelles possibilités de réduction du coût du travail. En outre, la libéralisation financière a encouragé les investissements directs étrangers (IDE), permettant aux entreprises d'établir des usines de production offshore dans des pays disposant en abondance de travailleurs peu qualifiés pour effectuer les étapes de production à forte intensité de main-d'œuvre non qualifiée. En vertu de ces dispositifs, les sociétés mères fournissent des intrants intermédiaires à leurs filiales à l’étranger, lesquelles procèdent à l’assemblage final puis réexportent par la suite les produits finaux vers les marchés locaux d’origine.

De nombreuses multinationales ont ainsi eu simultanément davantage recours à la sous-traitance internationale (développement des liens de production inter-entreprises transfrontaliers) et à une plus grande division internationale intra-entreprise du processus de production (développement des liens intra-entreprises au-delà des frontières), de sorte que les biens (ou les biens en cours de transformation) ont traversé de nombreuses frontières internationales au cours du processus de production, donnant lieu à des échanges commerciaux à chaque passage frontalier. Cela a conduit à une forte hausse des échanges de biens intermédiaires qui s’est traduite par une plus grande sensibilité du commerce mondial au PIB mondial (ce que l’on appelle l’« élasticité-revenu » du commerce8). Constantinescu et al. (2014) ont montré qu’entre 1986 et 2000, le commerce mondial avait progressé plus de deux fois plus vite que l’économie mondiale réelle (l’élasticité à long terme du commerce atteignant un sommet à 2,2 %), tandis qu’il n’avait crû que 1,3 fois plus rapidement que le PIB réel entre 1970 et 19859.

Les entreprises modernes et leur stratégie mondiale ont ainsi profondément modifié la structure et la dynamique de l'économie mondiale. La dispersion des processus de production à travers le monde a fait émerger des systèmes de chaînes d'approvisionnement générant un ajout de valeur d’une étape à l’autre avant chaque nouveau franchissement de frontières – ce qu’on appelle les chaînes de valeur mondiales (CVM). Les économies développées dominent les tâches situées en amont des chaînes d'approvisionnement, tandis que les économies émergentes restent largement positionnées en aval des CVM, dans des tâches telles que l'assemblage. Deux pays, à savoir la Chine et les États- Unis, ont joué un rôle prépondérant dans l’expansion rapide de la fragmentation internationale de la production dans les années 1990.

Trois centres régionaux – les États-Unis, l'Allemagne et la Chine – sont devenus l'épicentre d'un réseau dense de transferts de valeur ajoutée, principalement au sein d’économies régionales engagées dans la fragmentation internationale de la production, avec la Chine au centre des chaînes de valeur mondiales du 
secteur manufacturier10. L'industrie manufacturière chinoise a rapidement remonté la chaîne de valeur, notamment depuis l’accession du pays à l’OMC en 2001, délaissant les produits à faible valeur ajoutée et à forte teneur en facteur travail (textile, jouets, etc.), pour se réorienter vers des biens à plus forte valeur ajoutée, tels que les ordinateurs et l’électronique. Depuis la fin des années1980, le développement rapide des CVM mises en œuvre par les entreprises modernes a porté l’intégration économique entre les pays à des niveaux historiquement sans précédent. Les CVM sont devenues la clé de voûte de l’économie mondiale et une caractéristique dominante du commerce mondial.

La crise financière a porté un coup d’arrêt à la mondialisation

– Le ralentissement du commerce mondial

Entre 1950 et 2008, les échanges mondiaux ont été multipliés par 27, soit trois fois plus que la croissance de l’économie mondiale. Si bien que le commerce international exprimé en pourcentage du PIB est passé de 25 % dans les années 1960 à 61 % en 2008. Mais l'éclatement de la crise financière mondiale en 2007- 2008 a déclenché un effondrement du commerce mondial en 2009 : celui-ci a chuté non seulement en pourcentage du PIB mondial, mais également en valeur absolue, ce qui est un phénomène tout à fait exceptionnel. Après avoir atteint un plancher historique au cours de la Grande Récession, le commerce mondial en pourcentage du PIB a rebondi en 2010, mais a essentiellement stagné depuis lors. Sur la période 2008-2016, la croissance du commerce mondial a ralenti à un rythme moyen de 3% (soit moitié moins que les 6 % enregistrés de 1980 à 2016), signant la plus longue période de stagnation commerciale depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le ralentissement du commerce mondial a reflété l’atonie de la demande globale depuis la crise financière mondiale, mais il a également été le symptôme de tendances plus structurelles pesant sur l'économie mondiale, comme le ralentissement de la fragmentation des chaînes d'approvisionnement et la transition chinoise vers un modèle économique tiré, non plus par la demande extérieure, mais par la consommation intérieure11.

– Les causes du ralentissement

*) Faiblesse de la demande globale et de l’investissement

Il y a un large consensus sur le fait que la forte contraction de la demande globale qui a suivi la crise financière mondiale a été la principale cause de l'effondrement des échanges en 2009 (les exportations et les importations étant dépendantes de la demande) et que la débâcle des marchés financiers a amplifié le marasme économique. Depuis lors, l'une des principales raisons de la faiblesse du commerce a été l’atonie persistante de la demande globale, reflet, très largement, de la nécessité d’assainir les bilans et de réduire les déficits ainsi que la dette du secteur public. C'est particulièrement le cas de la zone euro, qui représentait environ 30% du commerce mondial avant la crise de la dette souveraine européenne. Facteur aggravant : le volume de crédits en dollars octroyés par les banques internationales (rouages du commerce international, ces financements proviennent principalement des établissements européens) a reculé depuis la crise financière, grippant les relations commerciales mondiales.

Il est également généralement admis que l’évolution des composantes du PIB dans le sillage de la crise inancière, avec la chute brutale des dépenses d’investissement, a joué un rôle très important dans la faiblesse de l’élasticité du commerce observée depuis 2008. En effet, les biens durables et les biens d’investissement dépendent beaucoup plus fortement des échanges commerciaux que les biens de consommation, en particulier les biens et les services achetés par l’État. Et, depuis l’éclatement de la crise financière, l'investissement a bien plus chuté que la consommation et les dépenses publiques. Ce recul de l'investissement a reflété à la fois des facteurs conjoncturels, notamment la faiblesse de la demande globale, une incertitude accrue et le resserrement des conditions financières, et des facteurs structurels, tels que le vieillissement de la population. Une faible croissance de la productivité a pu, en outre, peser durablement sur le ratio investissement/production.

Le Fonds monétaire international (2016) estime que la faiblesse de l’activité économique, en particulier de l’investissement, explique près des trois quarts du ralentissement du commerce depuis 201212 . Une partie au moins du ralentissement des échanges lié à ces facteurs plus cycliques devrait être temporaire et potentiellement réversible.

*) Le rééquilibrage de l’économie chinoise

Un autre facteur a également joué un rôle important dans le ralentissement du commerce international : la fin de l'intégration de la Chine dans le système commercial mondial. L’entrée du pays dans l’économie mondiale a insufflé un nouvel élan aux échanges commerciaux internationaux. Entre 1995 et 2010, la part de marché de la Chine dans les échanges internationaux a plus que triplé, hissant le pays au rang de plaque tournante du commerce mondial aux côtés de l’Allemagne et des États-Unis. Le graphique 6 ci- dessous montre la trajectoire de croissance spectaculaire des exportations chinoises depuis le début des années2000 jusqu’à2014. Le boom des exportations chinoises a reflété un modèle de croissance extraverti, porté par une stratégie de développement axée sur le secteur manufacturier, dans lequel la Chine jouait le rôle d'« usine du monde ». L'industrialisation rapide du pays s'est accompagnée d'une hausse phénoménale des investissements entraînant l’envolée des importations de pétrole, d’acier, de minerai de fer et d’autres métaux de base. La montée en puissance de la Chine dans le commerce international a, de fait, changé la donne mondiale.

Pour autant, les formidables taux de croissance du commerce international impulsés par l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale ne pouvaient bien sûr durer indéfiniment. Avant la crise financière mondiale, et pendant près de 30 ans, le PIB réel de la Chine a affiché une croissance annuelle moyenne d’environ 10 % – un taux remarquable qui a ouvert la voie à d’importantes avancées en termes de hausse des salaires et de réduction de la pauvreté absolue. Mais il y a eu un revers à cette médaille : ces taux de croissance prodigieux n’ont pu être enregistrés qu’au prix d’inégalités croissantes et aux dépens de l’environnement chinois. Ces « dommages collatéraux » ont, en 2014, poussé la Chine à se fixer l’objectif d’une croissance moins forte, mais de qualité, intégrant la question du développement durable en termes de distribution sociale et d’impact environnemental. La Chine est ainsi entrée dans une ère de « nouvelle normalité ».

Cette nouvelle normalité vise une croissance annuelle moyenne du PIB de l’ordre de 6-7 %, dopée par la consommation plutôt que par les exportations et l’investissement. En conséquence, l’économie chinoise est actuellement en pleine mutation : d’une croissance soutenue par les exportations, l’investissement et le secteur industriel, elle s’oriente vers une croissance plus durable, reposant principalement sur la consommation, les services et les innovations. Ce rééquilibrage a naturellement pesé sur les exportations chinoises, qui sont passées de 36 % du PIB en 2006 à 20 % du PIB en 2016, tandis que le commerce (importations + exportations) en pourcentage du PIB chinois a reculé de 64 % à 37 % sur la même période. Le secteur secondaire de la Chine (industrie manufacturière et construction) est passé de 47% en 2007 à 40% en 2017, tandis que la part du secteur tertiaire (services) est passée de 45% à 54% sur la même période. Sachant que la consommation intérieure et le secteur des services sont moins intensifs en importations que l'investissement et le secteur manufacturier, la croissance du volume des échanges chinois a naturellement ralenti, entraînant une baisse du taux de croissance du commerce mondial13.

Bien sûr, pour le reste du monde, une croissance économique chinoise de l’ordre de 6-7 % emmenée par la consommation est très différente de celle à 10 % et plus, dopée par les exportations et l’investissement, que la Chine avait l’habitude d’afficher. Compte tenu de la taille de l’économie chinoise (à la 2 place après les États-Unis avec 15 % du PIB mondial) et de son poids dans le commerce mondial (16% des exportations mondiales, 12 % des importations), la nouvelle normalité de la Chine est, de fait, la nouvelle normalité du monde. La transformation économique de la Chine est en train de bouleverser le paysage des affaires du pays, avec une incidence directe sur les stratégies mondiales des entreprises et sur leur positionnement dans les CVM.

*) Le ralentissement de la spécialisation verticale

Au-delà du rééquilibrage de l’économie chinoise, le ralentissement du commerce mondial semble également refléter la décélération14 du rythme d’expansion de la spécialisation verticale internationale, notamment en Chine et aux États-Unis [voir, par example, Constantinescu et al. (2014, 2015, 2017), Hoekman (2015), Crozet et al. (2015), Al-Haschimi et al. (2016)]15.

Constantinescu et al. (2015) ont montré qu’en Chine (où de nombreux composants et pièces sont importés en vue de leur transformation, puis réexportés vers les États-Unis ou d’autres pays), la part des importations de composants et de pièces dans les exportations totales s’était effondrée, passant de 60 % au milieu des années 1990 à environ 35 % en 2012, reflétant, dans une large mesure, la substitution de la production nationale aux biens intermédiaires importés. Kee et Tang (2016) ont également documenté l’augmentation du contenu national des exportations chinoises au cours des deux dernières décennies, et ce malgré le 
fort engagement du pays dans les CVM16. Ils ont montré que c’était sous l’impulsion de la libéralisation des IDE et du commerce de la Chine mise en œuvre au début des années 2000 que les entreprises chinoises avaient progressivement remplacé les intrants importés par des composants locaux. Miroir de cette évolution : les États-Unis (principal moteur du boom des importations chinoises et d’autres économies émergentes de composants et de pièces et première destination pour leurs exportations de biens assemblés) ont vu la part des composants et des pièces dans leurs importations totales de marchandises fortement décliner à partir de l’année 2000.

Constantinescu et al. (2014 et 2015) ont mis en évidence le repli de l’élasticité du commerce mondial au PIB depuis le début des années 2000, qu'ils attribuent principalement au recul des chaînes de valeur 
mondiales17. Ils ont calculé que l’élasticité à long terme du commerce mondial avait culminé à 2,2 au cours de la période 1986-2000 (contre 1,3 en 1970-1985), avant d’amorcer un déclin à1,5 en 2001-2007, puis de continuer sa chute à 0,7 sur 2008-2013. D’après leurs calculs, tant les États-Unis que la Chine ont enregistré de fortes baisses de l’élasticité du commerce (elle est passée de 3,7 sur la période 1986-2000 à 1,8 sur 2001- 2013 pour les États-Unis et de 1,5 à 1,1 pour la Chine sur les mêmes périodes). En revanche, elle n’a quasiment pas évolué en Europe (2,9 sur la période 1986-2000, contre3,0 sur 2001-2013), ce que ces auteurs attribuent à la poursuite probable de l’expansion des chaînes d’approvisionnement vers l’Europe centrale et orientale, notamment depuis l’Allemagne. Constantinescu et al. avancent qu’une inflexion dans le développement de la fragmentation internationale, notamment en Chine et aux États-Unis, a joué un rôle important dans le ralentissement du commerce mondial au cours de la dernière décennie.

Par ailleurs, plusieurs articles de presse ainsi que des données provenant d'observations sur le terrain donnent également à penser que l’« onshoring »18 intensifié dans un certain nombre de secteurs, en particulier aux États-Unis19. Cela pourrait suggérer que le développement des CVM est aujourd’hui confronté à des rendements décroissants, les fruits les plus juteux en la matière ayant probablement déjà été récoltés.

Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer le ralentissement présumé dans le processus de relocalisation de la production des pays à revenu élevé vers les pays à faible revenu. Premièrement, et de façon cruciale, la structure des coûts qui a sous- tendu la localisation des chaînes de valeur depuis les années 1980 est en train de changer radicalement. Un changement fondamental à l’œuvre depuis une quinzaine d’années est la forte progression des salaires en Chine et dans d’autres pays émergents traditionnellement à bas salaires, tandis que les salaires dans les pays développés ont à peine augmenté. D’où un resserrement de l’écart salarial entre les États-Unis (en particulier) et la Chine ainsi que les autres pays émergents, qui a probablement conduit un certain nombre d'entreprises, notamment sur le sol américain, à reconsidérer les avantages et les coûts associés à la fragmentation internationale de leur chaîne de valeur. Pour certaines d’entre elles, la donne économique a probablement atteint un point critique – c'est-à-dire que l’érosion progressive des économies sur le coût du travail, qui les avait incitées à fragmenter et à délocaliser certaines parties de leur processus de production, les a probablement conduites à repenser la localisation de leurs sites de production et leur chaîne d’approvisionnement pour les biens destinés au marché intérieur.

Deuxièmement, un certain nombre de facteurs, tels que la complexité organisationnelle et de gestion de l’offshoring, la faible qualité des contrôles dans certaines usines étrangères, les avantages conférés par la proximité avec les consommateurs, le siège et les centres de R&D de l’entreprise et la mise en œuvre de réglementations (assouplissement du droit du travail, par exemple) par les gouvernements occidentaux visant à encourager les relocalisations, ont pu encourager un sous-ensemble d’entreprises à redécouvrir les vertus de la production locale et, donc, de l’onshoring. Troisièmement, les progrès technologiques entraînent une réduction considérable des coûts de production tout en faisant émerger des processus moins gourmands en facteur travail. Des robots moins chers et à la convivialité croissante deviennent progressivement la nouvelle norme mondiale, érodant la place centrale jusqu’alors occupée par le coût du travail et comprimant sa part dans les coûts totaux. Cela tend également à réduire l’avantage comparatif tiré du commerce transfrontalier. Mais bien sûr, les phénomènes d’expansion des délocalisations et de relocalisation peuvent survenir de façon concomitante.

*) La résurgence du protectionnisme

Lorsque la crise financière mondiale a éclaté en 2008, le spectre du protectionnisme des années1930 a resurgi. Le protectionnisme effréné de l’époque n’a finalement pas (encore?) refait surface, mais la paralysie des négociations commerciales multilatérales, conjuguée à la multiplication des barrières non tarifaires, notamment depuis 2014, a probablement contribué à la récente décélération du commerce mondial. L’hostilité croissante envers la globalisation qui a contribué à (et est nourrie par) la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine a conduit de nombreux observateurs à prédire la fin de la mondialisation. Des parallèles ont souvent été tirés avec l’essor et le déclin de la mondialisation observés au siècle dernier. Aujourd’hui, alors que la politique et les politiques deviennent de moins en moins favorables à la libéralisation des échanges commerciaux, le processus de réduction des droits de douane et d'élimination des obstacles au commerce international amorcé après-guerre semble plus incertain qu’il ne l’a été depuis des décennies.

Quel avenir pour la mondialisation ?

– Un ralentissement du commerce mondial est probablement inévitable

D’aucuns arguent que le fait que le commerce mondial n'a, depuis la crise financière internationale, progressé que légèrement plus vite que le PIB est de mauvais augure. Pourtant, rien ne saurait justifier que le commerce doive augmenter plus rapidement que l’économie ad vitam aeternam. En fait, il est tout à fait possible que certains des moteurs de la vague de mondialisation à l’œuvre au XX siècle n’aient été que des événements ponctuels, impliquant des taux élevés de croissance des échanges commerciaux qui ne pouvaient s’inscrire dans la durée. Le cas échéant, il faut s’attendre à ce que la part du commerce dans le PIB se stabilise, ou plus vraisemblablement décline, plutôt que de continuer d’augmenter indéfiniment.

Il y a au moins quatre forces clés qui ont sous-tendu la croissance des échanges mondiaux au cours des dernières décennies et qui semblent aujourd’hui être arrivées à leur terme :

* L’intégration de la Chine et la réintégration des pays d’Europe centrale et orientale dans l’économie mondiale – des processus par nature transitoires – sont désormais achevées. Avant la crise financière mondiale, la croissance des investissements en Chine était exceptionnellement élevée, de sorte que le ralentissement ultérieur de l’investissement chinois a inévitablement entraîné une diminution de la demande d’importations pour de nombreuses matières premières.

* Après une vingtaine d'années d'expansion rapide des CVM, les incitations des entreprises (ou leur capacité) à s'engager dans une politique de fragmentation internationale de leur production ont probablement atteint leurs limites. En partie, cela résulte de l'érosion constante de l'attrait principal de la délocalisation – c.-à-d. les coûts de production moins élevés en Chine. En outre, on peut défendre l’argument selon lequel la capacité des économies émergentes ne figurant pas jusqu’ici sur la carte des CVM à absorber toute délocalisation supplémentaire est susceptible d’être fortement limitée compte tenu de leurs carences en matière d'éducation et de qualifications professionnelles.

* Les droits de douane sur les produits industriels étant déjà considérablement réduits, les bénéfices à attendre d’une poursuite de la libéralisation ne peuvent qu’être de plus en plus modestes – les estimations des gains à attendre d’un surcroît de libéralisation du commerce des marchandises ne dépassent généralement pas quelques points de pourcentage du PIB mondial20.

À l’avenir, il faudra aussi compter avec l’utilisation croissante des nouvelles technologies avancées de production (les robots, l’Internet des objets, l’impression 
3D21, etc.), laquelle sera appelée à contribuer à la décélération du commerce en pourcentage du PIB en intensifiant la tendance à la relocalisation : en effet, les avantages en termes de proximité avec la clientèle et de faibles coûts de transport devraient l'emporter sur des différences de moins en moins substantielles entre 
les coûts salariaux22. De la même façon, l’importance croissante des services dans l’économie mondiale contribuera à la persistance probable du ralentissement des échanges. La progression du secteur tertiaire reflète, en partie, l’évolution des modes de consommation dans les économies développées, où les populations aisées consacrent une part croissante de leur salaire aux services (immobiliers, de santé, etc.), qui sont soit non échangeables (c'est-à-dire non exportables), soit moins échangeables que les biens manufacturés. Au cours des dernières décennies, l’effet de l’importance croissante du secteur des biens non échangeables sur le commerce international a été compensé par l’essor de l’intensité commerciale (c’est à dire la part de la production mondiale qui se déverse sur le marché international) des biens manufacturés du fait de l’expansion rapide des CVM. Mais avec le ralentissement du processus de fragmentation des chaînes mondiales d’approvisionnement, l’effet de l’évolution vers la consommation de biens non- échangeables pourrait dominer et, donc, entraîner une contraction du commerce international en pourcentage du PIB.

Au total, il est peu probable que le commerce mondial retrouve son niveau de croissance d’avant-crise, qui reflétait un certain nombre de facteurs exceptionnels. Plusieurs analystes ont fait valoir que la récente faiblesse de la croissance des échanges mondiaux pourrait en réalité être révélatrice de la «nouvelle normalité » du commerce à laquelle l’économie mondiale est aujourd’hui confrontée23. Est-ce un problème pour la croissance ? Pas en soi24. Il n’existe en effet aucune théorie qui dise que l'augmentation de la productivité exige un commerce de marchandises toujours plus important.

– La globalisation a peut-être atteint ses limites

Le sentiment selon lequel la mondialisation pourrait avoir atteint ses limites est de plus en plus répandu, comme en témoignent le Brexit, l’élection de Donald Trump et, plus généralement, la montée des nationalismes dans les pays riches. Cette perception repose sur deux problématiques principales : la dégradation de l’environnement et la répartition très inégale des bénéfices de la mondialisation25.

*) Les coûts environnementaux

La mondialisation conduit à la spécialisation qui, à son tour, conduit à des mouvements de marchandises plus fréquents dans le monde, et les transports, rouages des échanges transfrontaliers, sont souvent cités comme une source des dommages environnementaux. Cela est dû à une externalité négative: les coûts environnementaux résultant de facteurs tels que les émissions de CO2 rejetées par les transports, la pollution maritime en cas de naufrage et la destruction de la biosphère pour la construction de routes ne sont pas pris en compte dans le prix final des produits26
. En conséquence, le coût privé de la pollution est inférieur à son coût social, ce qui conduit à un niveau de pollution supérieur au niveau socialement optimal27. Si les pouvoirs publics n’engagent pas de mesures pour corriger les effets des externalités négatives de la pollution, alors des dommages écologiques en résultent, car il y a une surproduction de biens ayant un impact néfaste sur l’environnement et une surexploitation des ressources naturelles28.

*) L’inégalité de la répartition des bénéfices et des coûts de la mondialisation

Une autre limite à la mondialisation réside dans la répartition très inégale de ses avantages et de ses coûts. Nous savons depuis l'analyse de Stolper et Samuelson (1941) que le libre échange crée, dans les pays, des perdants (les détenteurs des facteurs de production relativement rares) et des gagnants (les détenteurs des facteurs de production relativement abondants)29. Cette situation peut être corrigée par la mise en œuvre de politiques nationales de redistribution (c'est-à-dire des politiques qui organisent un transfert de richesse des gagnants vers les perdants). Mais cela n’est pas chose aisée. Une tendance frappante de ces dernières décennies est l'augmentation des inégalités de revenus au sein des pays, notamment des pays riches, une tendance qui s’est cependant accompagnée d’un recul des inégalités – toujours considérables – entre les pays [voir Milanovic (2016) et Bourguignon (2015) 30].

Branko Milanovic – l’un des économistes les plus éminents sur la question des inégalités – s’est rendu célèbre par un graphique montrant la croissance des revenus disponibles réels (mesurés en dollars constants ou en parité de pouvoir d’achat – PPA) enregistrée entre 1988 et 2008 (c’est à dire durant la période où la globalisation a réellement décollé) par les ménages dans le monde, classée par centiles de la répartition mondiale du revenu (par opposition à la répartition nationale)31
. Selon ce graphique, les personnes situées autour de la médiane de la distribution mondiale (point A) et celles figurant dans le 1 % de la population la plus aisée (point C) se sont fortement enrichies à la faveur de la mondialisation. Les personnes faisant partie du tiers inférieur de la distribution mondiale (à l’exception des 10 % les plus pauvres) ont également enregistré des gains significatifs entre 1988 et 2008, nombre d’entre elles ayant pu sortir de la pauvreté absolue. En revanche, deux groupes sont relativement mal lotis : les 10 % inférieurs, c'est-à-dire la population la plus pauvre du monde, et les personnes situées entre les points A et C, 
au point B (les ménages entre le 75 et le 85 centile de la distribution), dont les revenus réels ont stagné au cours de ces deux décennies.

Les personnes positionnées autour de la médiane font partie, pour l’essentiel, des classes moyennes des économies émergentes, en particulier de Chine et d’Inde. Leur pouvoir d’achat a bondi de 60 à 80 % entre 1988 et 2008. Au cours de cette même période, ceux qui font partie du 1 % de la population la plus aisée de la planète, qui se composent majoritairement des « super-riches » des économies à revenu élevé, ont vu leur revenu réel augmenter de plus de 60 %. Ce sont les grands gagnants de la mondialisation. Les 
individus situés entre les 45 et 65 centiles (soit près de 20 % de la population mondiale) ont, eux aussi, largement profité des bienfaits de la mondialisation, car leur revenu réel a quasiment doublé sur la même période. Les grands perdants de la mondialisation (outre les 10 % les plus pauvres, majoritairement en Afrique) – ou du moins ceux qui n’ont rien gagné ou pas grand chose – sont les personnes situées au point B. Elles appartiennent pour la plupart aux classes moyennes inférieures des économies à revenu élevé – le « décile de l’insatisfaction » (decile of discontent). Nombre d’entre elles travaillent dans des secteurs d’activité comparativement défavorisés et peu qualifiés qui font face à la concurrence des produits importés ou à la perspective de voir leur employeur délocaliser leur activité à l’étranger. Case et Deaton (2015, 2017) ont documenté la détresse et les souffrances de la classe ouvrière blanche qui ont entraîné une baisse de l’espérance de vie de certains segments de la population blanche américaine32.

Il est important de noter que, de manière tout à fait remarquable, les économistes ont eu tendance à minimiser les larges effets de redistribution des richesses générés par les modèles standard des échanges internationaux. En 1997, cependant, un ouvrage publié par l’économiste de Harvard Dani 
Rodrik a jeté un pavé dans la mare33. Il lançait un avertissement : la mondialisation était peut-être allée trop loin. Pour lui, il existait un « fossé béant » entre les promesses éclatantes des partisans de la mondialisation et « l’instinct de nombre de profanes ». Il soulignait l’échec de la classe politique à garantir une réelle redistribution des revenus des gagnants du commerce vers les perdants ce qui, selon lui, allait exposer les dirigeants politiques à un inévitable retour de bâton – un avertissement qui s'est avéré prémonitoire. En 2008, Dani Rodrik a déclaré que le consensus sur la mondialisation était « mort » 34. Il est un fait que le consensus sur les vertus soi-disant absolues de la mondialisation qui a sous-tendu la politique économique dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale s’est considérablement affaibli au cours de ces dernières années, surtout depuis l’éclatement de la crise financière mondiale.

Les deux dernières décennies ont vu un développement important de la littérature théorique et empirique sur les effets du commerce international sur les marchés du travail américains [voir, par exemple, 
Feenstra (2010) 35]. Historiquement, les importations américaines de produits manufacturés en provenance des pays à bas salaires ont été faibles. Les études empiriques datant des années 1990 n'ont trouvé que des effets de distribution modestes aux États-Unis. Mais la situation a radicalement changé avec, notamment, l'ascension commerciale spectaculaire de la Chine. Depuis le début des années 1990, les importations de produits manufacturés en provenance des économies émergentes ont affiché une croissance soutenue. Fait frappant : les importations américaines de produits manufacturés en provenance des pays à forte intensité de main-d’œuvre peu qualifiée ont, au cours des quinze dernières années environ, dépassé les importations américaines de produits manufacturés en provenance d'autres pays développés. Cela a conduit un nombre croissant d'économistes orthodoxes à soutenir que les gains que la Chine tirait de la mondialisation pourraient bien s’opérer au détriment 
des États-Unis36. Pour citer Paul Krugman, le plus éminent théoricien du commerce international d’aujourd’hui : « Il est difficile d’éviter la conclusion selon laquelle l’intensification des échanges commerciaux américains avec les pays du tiers monde réduit les salaires réels de nombre, et peut-être de la plupart des travailleurs de ce pays. Et cette réalité rend la politique commerciale très difficile. (…) Le commerce entre pays à revenu élevé tend à produire des gains modestes pour toutes, ou quasiment toutes les parties concernées. (…) En revanche, le commerce entre des pays présentant des niveaux de développement très différents tend à produire de larges classes de perdants et de gagnants. » 37

*) Globalisation, technologie et inégalité

La question centrale, bien sûr, est de déterminer le degré de causalité entre la mondialisation et l’évolution régressive de la distribution des revenus aux États-Unis et dans de nombreux autres pays à revenu élevé. Pratiquement tous les économistes s'accordent à dire que la mondialisation a contribué à accroître les inégalités au sein des pays à revenu élevé – comme le prédit le théorème de Stolper-Samuelson. Mais tous sont également d’accord pour dire que le commerce ne porte pas la responsabilité exclusive de l'accroissement des inégalités. Pour le FMI (2017), les progrès technologiques (notamment ceux jouant contre les moins qualifiés) qui ont facilité l’automatisation de tâches répétitives, plutôt que la mondialisation, expliquent en grande partie pourquoi les travailleurs des pays développés n'ont pas bénéficié pleinement de 
la croissance économique passée38.

Dans le mêmeordre d’idées, Roberto Azevêdo, directeur général de l’OMC, affirme que les avancées technologiques sont responsables de 80 % des destructions d’emplois dans les pays à revenu élevé : pour lui, le changement technologique constitue le principal vecteur du 
creusement des inégalités39. Parmi les autres « coupables » potentiels de la hausse des inégalités figurent en bonne place la perte d’influence des syndicats (elle-même largement imputable à la mondialisation) et l’affaiblissement des politiques de redistribution (réduction du taux d’imposition des tranches supérieures dans l’impôt sur le revenu, moindre imposition du capital, fragilisation des systèmes de sécurité sociale, etc.).

Il est à noter cependant que le tableau des inégalités varie fortement d’un pays à l’autre et qu’il y a souvent un décalage entre le niveau d’inégalité perçu par la population et le niveau d’inégalité réel. Par exemple, les Américains ont tendance à substantiellement sous- estimer l’ampleur des inégalités dans leur pays, tandis que les Français et les Allemands tendent plutôt à la surestimer40. En politique cependant, la perception peut importer autant que la réalité (et peut-être même plus). Au final, peu importe la cause principale du creusement des inégalités nationales et peu importe aussi le fait que l’ère de la mondialisation ait vu une réduction substantielle de la pauvreté de masse ainsi qu’une baisse des inégalités entre les pays, ce qui importe, c’est le contraste sans équivoque entre les gains saisissants de certains et la perte relative des autres qui, combiné à la perception que le commerce est une source majeure, voire la seule source du problème, nourrit une réaction anti-mondialisation croissante, laquelle agite le spectre du protectionnisme.

– L’orientation des politiques occidentales détient la clé de l’avenir de la mondialisation

La mondialisation a probablement atteint son apogée. Mais peut-elle s’inverser ? Oui, assurément. Comme l’effondrement de la première vague de mondialisation l’a amplement démontré, la libéralisation du commerce est un choix que font les pays et les gouvernements peuvent succomber à des pressions protectionnistes. Les choix politiques ont mis fin à la première vague de mondialisation et ils pourraient également mettre un terme à la seconde. Quelles sont les chances d’une inversion de la mondialisation ? Un argument clé jouant en faveur de la survie de la mondialisation est l'existence de chaînes d'approvisionnement mondiales à la fois complexes et interconnectées. Mais l'absence d'une puissance dominatrice mondiale pourrait jouer contre la poursuite de la mondialisation telle que nous l’avons connue au cours des dernières décennies. Tout aussi inquiétante pour l’avenir de la mondialisation est la contestation populaire grandissante contre le libre- échange.

Une spirale protectionniste du type années 1930 trébucherait aujourd’hui sur les chaînes de valeur mondiales. Lorsqu'il a pris ses fonctions en janvier dernier, Donald Trump semblait prêt à précipiter une guerre commerciale soit en relevant les barrières tarifaires, soit en introduisant une taxe aux frontières visant à pénaliser les importations, ou encore en désavouant les accords de libre-échange tels que l’ALÉNA et le TPP. Donald Trump a entamé sa présidence en signant le retrait des États-Unis du TPP. Mais jusqu'à présent, ni les droits de douane prohibitifs de 45% sur les importations chinoises ni la fameuse taxe aux frontières ne se sont matérialisés. Quant au retrait de l’ALÉNA – l’une de ses promesses de campagne –, il s’est transformé en une renégociation du traité visant à le « moderniser ». Prenant finalement conscience qu’une large part des importations américaines en provenance du Mexique avait un contenu américain substantiel, l'administration Trump a dû reconsidérer son plan de retrait de l’ALÉNA. Rompre les liens noués par l’ALÉNA entre les économies américaine, canadienne et mexicaine eût en effet été extrêmement dommageable pour les industriels américains, en particulier les constructeurs automobiles.

Beaucoup d'incertitudes demeurent sur les intentions du président américain, mais une chose est tout à fait claire : le commerce est aujourd’hui profondément enchâssé dans l’économie, si bien que l’introduction de barrières tarifaires élevées pénaliserait directement les entreprises américaines, avec des retombées très néfastes pour l’emploi et la collectivité. En outre, si le président Trump devait finalement décider d’exécuter ses menaces de hausse des tarifs douaniers, les États- Unis auraient inévitablement à faire face à de fortes mesures de rétorsion de la part des autres pays. Or, la Chine et l’UE sont des poids lourds du commerce mondial. Une guerre commerciale nuirait certes aux exportateurs chinois, allemands ou mexicains, mais elle créerait aussi un choc économique majeur pour les industriels et les travailleurs américains. En fin de compte, l’interconnexion transfrontalière des chaînes d’approvisionnement rend aujourd’hui le protectionnisme très coûteux pour l’ensemble des économies nationales. Pour Gawande et al. (2014), c’est l’existence des chaînes de valeur mondiales, avant tout, qui a empêché les pays de relever leurs barrières commerciales dans le sillage de la crise 
financière internationale41. Et la raison principale pour laquelle nous n'avons pas encore vu de politiques de protection commerciale trop zélées en Amérique du Nord réside probablement dans la forte implication des États-Unis dans ces chaînes de valeur. Il n’empêche, aussi coûteuse soit-elle, le président Trump reste susceptible de précipiter une guerre commerciale.

*) Et si les États-Unis ne voulaient plus jouer le rôle de puissance hégémonique mondiale ?

Pour certains, la mondialisation requiert un « patronage politique », c'est-à-dire le soutien d'États extrêmement puissants ou de puissances hégémoniques mondiales. Selon ce point de vue, les vagues de mondialisation sont essentiellement le miroir de l’essor et du déclin de puissances hégémoniques mondiales. Du milieu des années 1800 jusqu'à 1914, cette puissance hégémonique a été la Grande-Bretagne. Mais lorsque la Grande Dépression a commencé, la Grande- Bretagne n’était plus la puissance mondiale d’autrefois.

En 1945, l'Amérique a pris le leadership dans la promotion du libre-échange. Mais aujourd'hui, les États- Unis ne veulent plus jouer ce rôle. La prochaine grande puissance mondiale pourrait être la Chine, dont le PIB exprimé en PP A a dépassé celui des États-Unis en 2014, mais la Chine n'est pas prête à reprendre le flambeau. Ainsi, si les États-Unis devaient effectivement abandonner leur rôle de puissance hégémonique mondiale, alors un démentèlement de la libéralisation mondiale serait un risque réel.

*) Pour que la mondialisation survive, les perdants de la globalisation doivent rester une minorité

Le Brexit et la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine ont mis en lumière la fragilité croissante du soutien à l’ouverture commerciale dans les pays les plus puissants du monde. Le rejet grandissant de la mondialisation est-il une source de préoccupation? Oui, certainement. L'ère de la mondialisation a vu une réduction substantielle de la pauvreté de masse et une baisse des inégalités entre les pays. Dans l’intérêt de l’ensemble des nations, il est essentiel de maintenir les marchés mondiaux relativement ouverts – même si une libéralisation commerciale accrue ne peut avoir qu’une importance de moins en moins grande pour la croissance économique. De plus, dans le monde d’aujourd’hui de la fragmentation des chaînes de valeur mondiales et régionales, introduire des barrières tarifaires élevées se révélerait fortement dommageable pour les économies nationales. La triste ironie, c’est que les populations défavorisées et les classes moyennes inférieures des pays à revenu élevé pourraient être les premières victimes des programmes populistes et protectionnistes. Le défi, aujourd'hui, est de savoir comment prévenir un « détricotage » de la libéralisation du commerce dans un contexte de défiance accrue envers la mondialisation observée dans nombre de pays. L’approfondissement du marché unique – l’un des principaux vecteurs de la mondialisation – est également un enjeu crucial pour l’avenir de l’Europe et du monde.

Pour que la mondialisation survive, les électeurs des démocraties occidentales doivent estimer en majorité qu’ils sont les gagnants de la mondialisation. La cause de l’ouverture commerciale ne triomphera que si la mondialisation est plus juste et plus viable. Cela nécessite un changement des règles du jeu42. Au minimum, les politiques publiques devraient activement 1)répondre aux inquiétudes des industriels et des travailleurs qui font face à une dislocation du tissu social et à des coûts d’ajustement à court terme, 2) engager des mesures pour faciliter la transition et 3) garantir la redistribution d’une partie des gains issus du commerce de façon à ce que les perdants de la globalisation se muent en gagnants (grâce notamment à des dispositifs de protection sociale et à des mesures relatives à l’emploi comme le reclassement professionnel et le développement des compétences). Repenser les règles de la mondialisation est aujourd’hui nécessaire pour éviter la dé-mondialisation. Dans le même temps, la classe dirigeante ne doit pas ignorer le fait que des politiques sociales mal conçues pourraient placer les pays en situation de désavantage concurrentiel significatif, avec pour conséquence une croissance structurellement faible.

ENCADRÉ

1 – L’HISTOIRE NOUS ENSEIGNE QUE LES FORCES DE LA MONDIALISATION NE SONT PAS IRRÉVERSIBLES

Du milieu du XIXe siècle à la grande récession de 2008-2009, la mondialisation des échanges commerciaux a suivi un schéma en forme de U.

La première vague de mondialisation (1870-1914)…

À partir de 1870, et pendant 45 ans environ, des percées technologiques se sont combinées à une politique commerciale libérale dans de nombreux pays d'Europe occidentale pour propulser la première vague de mondialisation.

L'expansion rapide des réseaux ferroviaires (1820-1850), l'utilisation généralisée des navires à vapeur (1840- 1870) et l'invention du télégraphe ont entraîné une chute des coûts des transports et des communications, multipliant les possibilités d’échanges rentables sur de longues distances.

Mais la technologie, seule, n'aurait pas pu impulser la vague de mondialisation du XIX siècle. La politique commerciale a joué un rôle clé.

Le tournant décisif fut l'abrogation, en 1846, des Corn Laws, qui protégeaient l'agriculture britannique des importations. Cela a amorcé un mouvement de libéralisation progressive des échanges commerciaux à travers toute l’Europe continentale. En 1860, la signature du Traité Cobden-Chevalier entre le Royaume-Uni et la France a réduit ou aboli la plupart des tarifs douaniers entre les deux pays, ouvrant la voie à une série de traités de libre-échange entre les nations européennes.

Sous l’effet de la levée des barrières tarifaires associée à la baisse des coûts de transport, le commerce international a affiché une expansion rapide, progressant de 4% par an entre 1870 et 1914, contre environ 1% par an entre 1500 et 1800.

… n’a pas survécu à la grande vague protectionniste des années 1930

La vague de mondialisation du XIX siècle a néanmoins été brutalement interrompue par l’éclatement de la Première Guerre mondiale qui a gravement perturbé les flux commerciaux. Puis le krach de 1929 a marqué le début de la Grande Dépression. Afin de protéger les entreprises nationales et les ouvriers américains de la concurrence internationale, les États-Unis ont, en juin 1930, promulgué le Smoot-Hawley Tariff Act, qui a porté près de 900 droits de douane à l’importation à des niveaux jamais atteints auparavant. L’adoption de cette loi a alors déclenché un cercle vicieux de mesures de rétorsion de la part des principales économies du monde, signant l’effondrement des échanges mondiaux. Le commerce a chuté en pourcentage du PIB entre 1914 et 1945 et a chuté en termes absolus entre 1929 et 1938. En 1945, le commerce était retombé à son niveau de 1870 environ.

L'effondrement de la première vague de mondialisation a livré au monde une importante leçon : la mondialisation – un phénomène technologique autant qu'un phénomène politique – peut être inversée.

ENCADRÉ 2

EN THÉORIE, LE LIBRE-ÉCHANGE PROFITE À TOUTES LES NATIONS

Les économistes savent depuis la publication, en 1776, de La richesse des nations d'Adam Smith que toutes les nations peuvent s’enrichir simultanément si elles pratiquent le libre-échange – une politique commerciale permettant aux économies d’échanger, d’importer et d’exporter des marchandises sans restrictions douanières ni quotas imposés par les gouvernements. Probablement aucune autre théorie n’est aussi universellement admise par la communauté des économistes.

La théorie des avantages absolus

Adam Smith, souvent décrit comme le père fondateur du capitalisme, a développé la théorie de l’avantage absolu dans les échanges internationaux. Celle-ci compare la productivité des différentes économies. Un pays dispose d'un avantage absolu pour la production d'un bien s'il peut produire ce bien à un coût inférieur à celui des autres pays. Pour Smith, les pays ont intérêt à se spécialiser dans la production des biens pour lesquels ils disposent des coûts de production les plus faibles, puis à échanger ces biens. L’ouverture aux échanges leur est ainsi mutuellement bénéfique.

Mais un pays ne disposant d’aucun avantage absolu doit-il pour autant être exclu des échanges internationaux ? C’est à cette question que s’est attelé David Ricardo lorsqu’il a développé, dans son célèbre ouvrage Des principes de l’économie politique et de l’impôt, la théorie de l’avantage comparatif. Cet ouvrage, publié en 1817, a jeté les bases de la science économique moderne.

La théorie des avantages comparatifs

Pour Ricardo, même un pays moins productif que ses partenaires sur tous ses produits a intérêt à échanger en se spécialisant dans la production du bien où l'écart de productivité en sa défaveur est le plus faible. Selon lui, chaque pays a intérêt à se spécialiser non seulement dans la production des biens pour lesquels il dispose d’un avantage absolu, mais aussi dans la production des biens pour laquelle sa productivité est la plus forte (ou la moins faible) par comparaison avec ses partenaires – pour laquelle, en d’autres termes, il dispose d’un avantage comparatif. En se spécialisant dans la production des biens pour lesquels ils disposent d’un avantage comparatif et en échangeant entre eux, les pays obtiennent un bien à un prix inférieur à leur propre coût d’opportunité de production de ce bien.

Ricardo montre que le libre-échange et la spécialisation basée sur l’avantage comparatif bénéficient à l’ensemble des partenaires commerciaux car ils favorisent les gains de productivité1 et, donc, la croissance et le niveau général de prospérité . Le modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson (HOS)

Le modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson (HOS) est une extension du modèle ricardien qui intègre les facteurs 
de production à l’analyse2
. L’idée-force est que les biens échangés sont fondamentalement des combinaisons de facteurs de production (terre, travail, capital et compétences). Le commerce est toujours expliqué grâce aux avantages comparatifs mais fondés sur les différences des dotations de facteurs de production et non pas sur les différences de technologies. Deux propositions importantes découlent de ce modèle.

1) Le théorème Heckscher-Ohlin

Les pays tendent 1) à se spécialiser dans la production des biens intensifs en facteurs dont ils disposent en abondance relative, 2) à exporter des biens intensifs en facteurs abondants nationalement et 3) à importer des biens intensifs en facteurs rares nationalement.

Les États-Unis, par exemple, où les facteurs capital et main-d’œuvre qualifiée sont relativement abondants par rapport aux pays en développement, se spécialiseront et exporteront des biens à forte intensité de capital et de main d’œuvre qualifiée, et importeront des biens à forte intensité de main-d’œuvre peu qualifiée des pays en développement, où ce facteur est relativement abondant.

Le théorème Heckscher-Ohlin montre que le libre-échange génère un gain net global pour les pays.

2) Le théorème Stolper-Samuelson

Une augmentation du prix relatif d’un bien accroît la rémunération réelle (ou le prix relatif) du facteur de production utilisé de manière intensive pour produire ce bien et réduit la rémunération réelle (ou le prix relatif) des autres facteurs de production. Ainsi, en modifiant le prix des biens et donc celui des facteurs de production, l’ouverture aux échanges internationaux entraîne une hausse de la rémunération réelle des détenteurs du facteur de production disponible en abandance et une baisse des revenus réels des individus qui détiennent le facteur rare.

Dans le cas des Etats-Unis, par exemple, la main-d’œuvre qualifiée et les détenteurs de capital tireront avantage de l’ouverture de leur pays aux échanges internationaux, tandis que les travailleurs peu qualifiés en pâtiront.

Le théorème Stolper-Samuelson montre que le commerce international affecte la distribution des revenus au sein des pays, créant des gagnants et des perdants.

Les Nouvelles Théories du Commerce International (NTCI)

Une théorie plus récente sur les moteurs du commerce international met en avant les économies d’échelle, l’interaction stratégique et la préférence des consommateurs pour la diversité.

Partant de l'observation empirique que depuis la Seconde Guerre mondiale le commerce entre les pays industrialisés (c'est-à-dire des pays ayant des caractéristiques similaires) avait connu une accélération rapide, ce qui ne pouvait être expliqué ni par les différences de technologies (Ricardo) ni par les différences de dotations en facteurs de production (Heckscher-Ohlin), Krugman (1979a, 1980) a développé une nouvelle 
théorie du commerce international (NTCI)3. Cet auteur a montré que les échanges entre pays présentant des caractéristiques similaires demeurent généralement bénéfiques car ils procurent aux consommateurs un plus grand choix de biens et permettent aux entreprises d'avoir accès à un marché international beaucoup plus vaste, avec à la clé des économies d’échelle plus importantes (c.-à-d. une diminution du coût unitaire de production) et, partant, une amélioration de la productivité et de la croissance. Le commerce qui en résulte est intra-industrie, c'est-à-dire un commerce dans lequel les exportations et les importations d'un même pays sont issues de la même industrie.

De nombreux auteurs ont suivi la voie ouverte par Krugman, montrant que les gains issus du commerce pouvaient provenir de divers facteurs tels qu’une efficacité accrue en raison des économies d’échelle, un plus grand choix de marques disponibles pour les consommateurs, une baisse des prix de vente du fait de l’accroissement de la concurrence entre les entreprises et une plus grande latitude pour « l’apprentissage par la pratique » (c.-à-d. pour que les entreprises gagnent en efficacité avec l’expérience) et pour la diffusion des connaissances et des technologies.

De nombreux observateurs ont également mis en avant le fait que le libre-échange pouvait aussi favoriser la paix en transformant de potentiels ennemis en clients. Réduire le risque de guerre est une raison fondamentale ayant présidé à la création de la Communauté économique européenne – précurseur de l’Union européenne – après la Seconde Guerre mondiale.

ENCADRÉ 3

LES ACCORDS COMMERCIAUX RÉGIONAUX ONT PROGRESSIVEMENT PRIS LE PAS SUR LES ACCORDS MULTILATÉRAUX

Pour libéraliser leurs échanges, les gouvernements peuvent recourir soit à des accords multilatéraux soit à des accords régionaux s’appliquant à un sous-ensemble limité de partenaires. Chaque stratégie comporte des avantages et des inconvénients.

Régionalisme ou multilatéralisme ?

Historiquement, le multilatéralisme a constitué l'approche dominante, incarnée par le GATT/l’OMC. Le multilatéralisme est généralement considéré comme étant une approche supérieure à la libéralisation régionale en raison du grand nombre de marchés étrangers concernés et de la prévention des distorsions commerciales. Mais la taille également s'est avérée être l'une des principales faiblesses de l'OMC, étant donné que le grand nombre de membres rend difficile l'élaboration d'arrangements mutuellement acceptables.

La difficulté de parvenir à un consensus parmi les nombreux membres que compte l'OMC, associée à la volonté de passer outre les rivalités politiques ou de surmonter des objectifs économiques concurrents et souvent incompatibles, a été le moteur de la prolifération des accords commerciaux régionaux depuis les années 1990.

La question de savoir si les pactes commerciaux régionaux sont une bonne chose pour la libéralisation du commerce mondial reste un sujet de débat.

Les détracteurs des groupements régionaux affirment qu’ils peuvent conduire à un affaiblissement du soutien politique au multilatéralisme, en sapant l'autorité de l'OMC et la force des règles mondiales. Ils craignent également une fragmentation du système commercial mondial en blocs commerciaux concurrents, avec des règles différentes dans des domaines tels que les droits du travail, la protection de l'environnement et l'accès aux médicaments. Ils redoutent aussi l'apparition de distorsions économiques, les pays signataires de l’accord pouvant discriminer envers les pays tiers et favoriser les échanges avec leurs alliés au lieu d’acheter les biens les moins chers, quelque soit le pays de provenance. Enfin, les accords commerciaux préférentiels risquent, selon leurs détracteurs, de créer des distorsions dans les chaînes de production mondiales qui sont par nature complexes.

Les partisans des accords régionaux, quant à eux, soutiennent que les initiatives de libéralisation régionale peuvent servir de cadre à l‘élaboration consécutive d’accords multilatéraux. En outre, soulignent-ils, les traités régionaux ont souvent des agendas bien plus ambitieux que les traités multilatéraux. En particulier, nombre d'entre eux prévoient la création d’une zone de libre-échange totale, ce qui n'a jamais été dans le viseur des négociations multilatérales.

Pendant la plus grande partie de l'après-guerre, la libéralisation régionale et multilatérale s'est déroulée de concert.

Les grands accords commerciaux

En 1957, le traité de Rome a institué la Communauté économique européenne (CEE) ou marché commun européen, alors même que le GATT continuaient de réduire les droits de douane. Signé en 1986, l’Acte unique européen (AUE) a fixé une date butoir pour la réalisation du marché intérieur (au plus tard le31décembre1992). S’entend par marché intérieur une zone exempte de frontières ou d’obstacles réglementaires garantissant la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes.

Les années 1990 voient naître le Marché commun du Sud (Mercosur, en 1991) 4
, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN,en1992)5 et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA,en1994).

À l’origine, le Mercosur devait établir un marché unique latino-américain, sur le modèle de l’Union européenne (UE), mais des dissensions internes ont miné les négociations sur la levée des droits de douane et sur la libre circulation des personnes et des biens. Aujourd’hui, le Mercosur est une union douanière et une zone de libre-échange.

L’ASEAN a supprimé quasiment tous les droits de douane sur les produits échangés entre membres. Elle a également signé des accords avec plusieurs autres pays, dont la Chine.

L’ALÉNA institue une zone de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Au début des années 2000, la Chine est entrée à l’OMC (2001), l’UE a intégré les économies d’Europe de l’Est (2004) et le cycle de négociations commerciales multilatérales de Doha a été lancé (2001).

Mais le cycle de Doha s’est rapidement enfoncé dans une impasse, principalement en raison des intérêts divergents des pays développés et des pays émergents ainsi que de l’évolution du rapport de force dans l’économie mondiale. Si le monde émergent, dont la Chine, s’est hissé au rang de véritable puissance exportatrice mondiale, il a cependant continué de se considérer comme toujours trop « pauvre » pour renoncer à la protection dont ses industries bénéficient, refusant d’abaisser ses tarifs douaniers sur les produits industriels. Parallèlement, les pays développés, comme les États-Unis ou l’UE, ont formulé des exigences strictes sur l’ouverture des marchés des pays du Sud en contrepartie de baisses de leurs subventions agricoles.

Le cycle de Doha a finalement été officiellement suspendu en 2008. Les négociations se sont toutefois poursuivies artificiellement pendant encore sept ans, mais la frustration de nombreux gouvernements après des années d’impasse dans les négociations a été telle qu’elle les a poussés à conclure des accords bilatéraux et régionaux, alors considérés comme les instruments les plus efficaces pour libéraliser le commerce international.

Les plus importants de ces accords régionaux sont le Partenariat transpacifique (TPP), dont les pays signataires représentent40% du PIB mondial, et le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), concernant 45 % de l’économie mondiale.

Le TPP est un accord commercial négocié sous la présidence de Barack Obama et signé par douze pays de la région Asie-Pacifique, dont notamment le Japon, mais que le Congrès américain n’a jamais ratifié. Le chantier du TTIP a été lancé en 2013. Il s’agit d’un accord en cours de négociation entre l’UE et les États- Unis, la Chine étant le principal partenaire exclu de la table des négociations.

Le premier jour de sa présidence, Donald Trump a signé un décret de retrait de son pays du TPP. Depuis lors, les discussions autour du TTIP sont au point mort et la promesse électorale du candidat républicain de sortir de l’ALÉNA s’est transformée en une renégociation visant à « moderniser » le traité avec le Canada et le Mexique.

NOTES

  1. La théorie de David Ricardo repose sur plusieurs hypothèses qui pouvaient être légitimes à l’époque de l’économiste (début du XIX siècle), mais qui ne le sont plus dans l’environnement mondialisé d’aujourd’hui. En particulier, les facteurs de production sont supposés être immobiles au plan international afin que chaque pays puisse conserver son avantage comparatif. Si cette situation se vérifiait largement à l’époque de Ricardo en raison des coûts de transport et des droits de douane à l’importation élevés, elle n’est plus le reflet de la réalité du monde d’aujourd’hui, marqué par la grande mobilité du capital et l’extrême faiblesse des coûts d’acheminement des marchandises en vrac. Autre hypothèse cruciale de la théorie des avantages comparatifs : le plein-emploi prévaut dans chaque pays. Ricardo arguait en effet que dans chaque pays, le libre-échange entraînerait la reallocation des facteurs de production des secteurs économiques en situation de désavantage comparatif vers les secteurs économiques disposant d’un avantage comparatif. Mais lorsque le facteur travail n’est pas aisément mobile et qu’il ne passe pas d’une industrie en déclin à une industrie en plein essor en raison, par exemple, d’une inadéquation des compétences, le libre-échange doit conduire à une hausse du chômage. Plusieurs hypothèses clés de la théorie de Ricardo n’étant plus réalistes dans le monde d’aujourd’hui, l’ampleur des bénéfices attendus de l’avantage comparatif pourrait s’avérer moins importante qu’initialement escompté.
  2. Voir Ohlin, B. (1933), « Interregional and International Trade », Cambridge: Harvard University Press, et Stolper, Wolfgang, et Paul Samuelson (1941), « Protection and Real Wages », Review of Economic Studies, IX, novembre, pp. 58-67.
  3. Paul Krugman, (1979), « Increasing Returns, Monopolistic Competition and International Trade », Journal of International Economics 9, pp. 469-479 et Paul Krugman, (1980), « Scale Economies, Product Differentiation, and the Pattern of Trade », American Economic Review, 70(5): 950-959. Voir également Paul Krugman, (1981), « Intra-industry Specialisation and the Gains from Trade », Journal of Political Economy, Vol. 89, N. 5, pp. 959-973 ; Paul Kruman (1991), « Increasing Returns and Economic Geograph », Journal of Political Economy 99, 483-499 ; et Paul Krugman et Maurice Obstfeld, (2000), « International Economics – Theory and Policy », 5 édition publiée par Addison Wesley.
  4. Le Mercosur compte actuellement quatre membres permanents : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, après la suspension du Venezuela le 1 décembre 2016.
  5. Les membres fondateurs de l’ASEAN sont le Brunei, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande, rejoints par quatre autres pays : le Vietnam, le Laos, Myanmar et le Cambodge.
  6. De nombreux termes ont été utilisés dans la littérature académique pour décrire ce phénomène, dont « externalisation », « désintégration de la production », « fragmentation de la production », « délocalisation de la production » et « spécialisation intra-produit ».

  7. Voir notamment Kei-Mu Yi (2000), « Can Vertical Specialisation Explain the Growth of World Trade? », Federal Reserve Bank of New York Staff Report N°96, janvier ; Hummels, David, Jun Ishii et Kei-Mu Yi (2001), «The Nature and Growth of Vertical Specialisation in World Trade», Journal of International Economics, 54, 75–96 ; et Benjamin Bridgman (2010), « The Rise of Vertical Specialisation Trade », Bureau of Economic Analysis, mimeo, janvier. Pour Hummels et al. (2001), le boom de la spécialisation verticale explique 30% de la croissance des exportations dans dix pays de l’OCDE et dans quatre pays émergents entre 1970 et 1990.
  8. L’élasticité du commerce au revenu est le pourcentage d'augmentation du commerce mondial pour chaque pourcentage d'augmentation du PIB.
  9. Voir Constantinescu Cristina, Aaditaya Mattoo et Michele Ruta (2014), « Slow Trade », Finance & Development, Vol. 51, N°4, décembre.
  10. Voir, par exemple, Benno Ferrarini et David Hummels (2014), « Asia and Global Production Networks: Implications for Trade, Incomes and Economic Vulnerabilty», dans Asia and Global Production Networks, publié par Ferrarini et Hummels, Books from Edward Elgar Publishing, Asian Development Bank.
  11. Voir, notamment, FMI (2016), « Subdued Demand: Symptoms and Remedies », World Economic Outlook (WEO), chapitre 2, octobre ; OCDE (2016), « Cardiac Arrest of Diszy Spell: Why Is World Trade So Weak and What Can Policy Do About It? », OECD Working Party N°3, septembre ; Baldwin, Richard, éd. (2009), « The Great Trade Collapse: Causes, Consequences and Prospects », VoxEU.org (Centre for Economic Policy Research [CEPR]: London), 27 novembre ; Logan Lewis et Ryan Monarch (2016), « Causes of the Global Trade Slowdown », International Finance Discussion Paper Note, Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis, novembre.
  12. Voir FMI (2016), op.cit.
  13. Voir, par exemple, Kang, Joong Shik et Wei Liao (2016), «Chinese Imports: What’s Behind the Slowdown?», Working Paper du FMI, WP/16/106, mai.
  14. Certains analystes suggèrent même un renversement de tendance.
  15. Constantinescu Cristina, Aaditaya Mattoo et Michele Ruta (2014), « Slow Trade », Finance & Development, Vol. 51, N°4, décembre ; Constantinescu Cristina, Aaditaya Mattoo et Michele Ruta (2015), «The Global Trade Slowdown: Cyclical or Structural? », FMI, Working Paper, WP/15/6 ; Constantinescu Cristina, Aaditaya Mattoo et Michele Ruta (2017), «Trade Developments in 2016: Policy Uncertainty Weighs on World Trade », Global Trade Watch, Banque mondiale, Washington, D. C. ; Hoekman, Bernard, éd. (2015), « The Global Trade Slowdown: A New Normal? » eBook VoxEU.org, London : Centre for Economic Policy Research (CEPR), 24 juin ; Crozet Matthieu, Charlotte Emlinger et Sébastien Jean (2015), « On the Gravity of World Trade’s Slowdown », dans « The Global Trade Slowdown: A New Normal? » eBook VoxEU.org, Centre for Economic Policy Research (CEPR) ; Al-Haschimi, A., Gächter, M., Lodge, D. et Steingress, W. (2016), «The Great Normalisation of Global Trade», VoxEU, octobre. Voir également Baldwin, Richard (2016), The Great Convergence, Harvard University Press.
  16. Voir Kee, H. Looi et Heiwai Tang (2016), « Domestic Value Added in Exports: Theory and Firm Evidence from China», American Economic Review, 106(6) : 1402-1436. Voir également Kee, H. Looi (2015), « Local Intermediate Inputs and the Shared Supplier Spillovers of Foreign Direct Investment », Journal of Development Economics, 112, 56-71.
  17. Voir Constantinescu et al. (2014, 2015), op.cit. Voir également Escaith, Hubert, Nannette Lindenberg et Sébastien Miroudot (2010), «International Supply Chains and Trade Elasticity in Times of Global Crisis », WTO Staff Working Paper ERSD-2010- 08 (Genève : Organisation mondiale du commerce).
  18. L’« onshoring », également appelé « reshoring », est le processus qui consiste à relocaliser dans le pays d’origine une activité opérationnelle qui avait été délocalisée à l’étranger.
  19. Voir, par exemple, US Internal Trade Commission (2014), « Post-Recession Onshoring: An Examination of the US Computer and Electronic Sector », Office of Industries Working Paper, N°ID- 038, décembre, oo Simon Nixon (2016), « Risk of Deglobalisation Hangs over World Economy », Wall Street Journal, 5 octobre.
  20. Par exemple, une étude sur le TPP réalisée par le Peterson Institute for International Economics à Washington a estimé que la conclusion du TPP ferait progresser les revenus réels américains de moins de 0,4 % du revenu national. Voir Peter A. Petri et Michael G. Plummer (2016), « The Economic Effects of the Trans- Pacific Partnership: New Estimates», Peterson Institute for International Economics (PIIE), Working Paper Series, WP 16-2, janvier. Voir également Frank Ackerman et Kevin P. Gallagher (2008), « The Shrinking Gains from Global Trade Liberalisation in Computable General Equilibrium Models », International Journal of Political Economy, vol. 37, n°1, Spring, pp. 50–77.
  21. La technologie de l’impression 3D permet de fabriquer des objets par superposition de couches de matière à l’aide d’une imprimante. Selon de nombreux spécialistes de la chaîne d’approvisionnement, les technologies de l’« industrie 4.0 » (la « fabrication additive ») pourraient avoir une influence significative sur la compétitivité des pays, des secteurs et des entreprises. Ainsi, l’adoption de telles technologies devrait influer sur la localisation de la production de nombreux produits manufacturés et conduire certaines entreprises à rapatrier leurs activités de production précédemment délocalisées à l’étranger.
  22. Voir notamment Srinivasan, M., T. Stank, P. Dornier et K. Petersen (2014), « Global Supply Chains: Evaluating Regions on an EPIC Framework – Economy, Politics, Infrastructure, and Competence», New York: McGraw-Hill. Voir également Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee (2014), The Second Machine Age: Work, Progress, and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies, New York: W. W. Norton & Company.
  23. Voir par exemple, Banque centrale européenne (2016) « Understanding the Weakness in Global Trade. What is the New Normal?», Occasional Paper Series de la BCE N°178, septembre ; Hoekman, Bernard, éd. (2015), op. cit.
  24. Voir par exemple, Paul Krugman (2013), « Should Slowing Trade Growth Worry Us? », New York Times Blog, 30 septembre ; Adair Turner (2014), « Why Global Trade Might Become Less Important », Project Syndicate, 23 juillet.
  25. Voir, par exemple, Paul de Grauwe (2016), « How Far Should Push Globalisation? », Blog, 31 octobre.
  26. Les théories traditionnelles du commerce international ignorent les externalités, telles que l’utilisation gratuite des ressources de la planète, de sorte que le juste calcul des gains à attendre du commerce nécessite de soustraire des bénéfices escomptés par les théories traditionnelles les coûts environnementaux liés au transport transfrontalier des marchandises. Sur ces questions, voir, par exemple, Alison Butler (1992), «Environmental Protection and Free Trade: Are They Mutually Exclusive?», Federal Reserve Bank of St. Louis, Vol. 74, N°3.
  27. Pour déterminer le niveau de pollution socialement optimal, les coûts tant individuels qu’industriels doivent être pris en compte. La sagesse conventionnelle veut que les réglementations environnementales imposent des coûts supplémentaires aux entreprises, au prix d’une érosion de leur compétitivité. C'est pourquoi un niveau de pollution égal à zéro n'est généralement pas considéré comme socialement optimal : cela nécessiterait en effet soit un niveau de production extrêmement bas, soit un coût lié au contrôle de la pollution extrêmement élevé. Cependant, M. E. Porter et C. van der Linde (1995) font valoir que des politiques environnementales plus strictes peuvent stimuler les innovations et l'efficacité, entraînant des gains de compétitivité qui peuvent compenser les coûts de conformité à ces politiques – c'est ce qu'on appelle l’« hypothèse de Porter ». Voir M. E. Porter et C. van der Linde (1995), «Green and Competitive: Ending the Stalemate », Harvard Business Review, septembre-octobre : 120- 134.
  28. Il convient de noter qu’il existe une vaste littérature empirique traitant de l’impact du commerce sur l’environnement, mais que les études empiriques examinant l’impact des réglementations environnementales sur les flux commerciaux sont relativement rares et donnent des résultats contrastés.
  29. Wolfgang Stolper et Paul Samuelson (1941) (op.cit.).
  30. Voir Branko Milanovic (2016), «Global Inequality: A New Approach for the Age of Globalisation», Harvard University Press ; François Bourguignon (2015), « The Globalisation of Inequality », Princeton University Press. Sur ces questions, voir également C. Lakner et B. Milanovic (2015), « Global Income Distribution: From the Fall of the Berlin Wall to the Great Recession », World Bank Economic Review 30(2) : 203-232 ; B. Milanovic et J. Roemer (2016), «Interaction of Global and National Income Inequalities », Journal of Globalisation and Development, 7(1), 109-115; Branko Milanovic (2016), «The Greatest Reshuffle of Individual Incomes since the Industrial Revolution », Vox, policy portal CEPR, 1 juillet. Voir également FMI (2017), « World Economic Outlook, Gaining Momentum? », avril. Le FMI montre que la part du revenu national qui rémunère le travail décline dans la majorité des économies développées depuis le début des années 1990, tandis qu’une part croissante des gains de productivité est captée par les détenteurs du capital.
  31. Les résultats reposent sur des données recueillies dans le cadre de près de 600 enquêtes menées auprès des ménages dans environ 120 pays du monde, couvrant 90 % de la population mondiale et 95 % du PIB mondial.
  32. Voir Anne Case et Sir Angus Deaton (2015), « Rising Morbidity and Mortality in Midlife among White Non-Hispanic Americans in the 21st century », dans Proceedings of the National Academy of the Sciences of the United States of America, Vol. 112, N°49, décembre ; Anne Case et Sir Angus Deaton (2017), «Mortality and Morbidity in the 21st Century », Brookings Papers on Economic Activity, mars.
  33. Dani Rodrik (1997), « Has Globalisation Gone Too Far? » Washington, DC: Institute for International Economics, pp. 128. Voir également Dani Rodrik (2016), « Straight Talk on Trade », Project Syndicate, 15 novembre. Pour Dani Rodrik, la démocratie, la souveraineté nationale (État-nation) et l’« hypermondialisation » ne peuvent être présentes simultanément en raison des contrecoups politiques qui ne manqueraient pas de s’ensuivre (pp. 200–201). Les nations ne peuvent choisir que deux de ces trois possibilités. C’est ce que Dani Rodrik appelle le « trilemme de la mondialisation». Voir Dani Rodrik (2011), «The Globalisation Paradox. Democracy and the Future of the World Economy ». W.W. Norton & Company, pp. 288.
  34. Voir Dani Rodrik (2008), « The Death of the Globalisation Consensus », Project Syndicate, 11 juillet.
  35. Feenstra, Robert C. (2010), «Offshoring in the Global Economy: Microeconomic Structure and Macroeconomic Implications », Cambridge, MA: MIT Press.
  36. Voir, notamment, Paul Krugman (1995), «Growing World Trade: Causes and Consequences », BPEA, N°1 (été): 327—77 ; Paul Krugman (2000), « Technology, Trade and Factor Prices », Journal of International Economics 50 (1): 51-71 ; Paul Krugman (2008), « Trade and Wages, Reconsidered », Brookings Papers on Economic Activity, vol. 39, édition 1 (été), 103-154 ; Alan S. Blinder (2006), «Offshoring: The Next Industrial Revolution», Foreign Affairs 85, N°2: 113—28 ; Alan S. Blinder (2007), « Free Trade’s Great, but Offshoring Rattles Me », Washington Post, 6 mai ; Bivens, Josh (2007), « Globalization, America Wages, and Inequality: Past, Present and Future », EPI Working Paper 279, Washington: Economic Policy Institute ; et David H. Autor, David Dorn et Gordon H. Hanson (2013), « The China Syndrome: Local Labor Market Effects of Import Competition in the United States », American Economic Review, 103(6): 2121-2168. Autor et al. (2013) ont souligné les conséquences en termes de distribution de l’intensification des échanges commerciaux américains avec la Chine. Ils ont constaté que « les marchés de l’emploi locaux [américains] exposés à l’augmentation des importations des pays à faible revenu en raison de la compétitivité croissance de la Chine affichaient une hausse du chômage, une baisse de la participation de la main-d’œuvre, une hausse des prestations d’invalidité et d’autres prestations de transfert, ainsi qu’une baisse des salaires. »
  37. Paul Krugman (2007), « Trouble with Trade », New York Times Blog, 28 décembre.
  38. Voir FMI (2017), op.cit.
  39. Voir DG Trésor (2017), «Trade Openness, Growth and Inequalities », Les Entretiens du Trésor, 26 juin.
  40. Voir notamment Judith Niehues (2014), « Cross-country 
Differences in Perceptions of Inequality », Vox, 28 septembre, et Hauser Oliver P. et Michael I. Norton (2017), « (Mis)perceptions of Inequality », Current Opinion in Psychology, 18:21-25.
  41. Voir Gawande, K., B. Hoekman & Y. Cui (2014), «Global Supply Chains and Trade Policy Responses to the 2008 Crisis », World Bank Economic Review, 29(1), 102-128. Voir également Erken, H.P.G., P. Marey and M. Wijffelaars (2017), « Why Trump’s Protectionist Trade Agenda Fails », Rabobank, 4 juillet, et Erken, H.P.G., P. Marey et M. Wijffelaars (2017), « US Global Value Chain integration: A Major Impediment for Trump’s Protectionist Trade Agenda », Rabobank, 30 juin.
  42. Voir notamment Joseph E. Stiglitz (2015), « Rewriting the Rules of the American Economy: An Agenda for Growth and Shared Prosperity », novembre ; Joseph E. Stiglitz (2003), « Globalisation and Its Discontents», avril; et Joseph E. Stiglitz et Andrew Charlton (2006), « Fair Trade for All: How Trade Can Promote Development », New York: Oxford University Press.

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