Sommes-nous trop optimistes au sujet de la croissance mondiale ?

par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank

Les quatre questions principales de l’année 2018 : La croissance économique est-elle solide ? L’inflation reviendra-t-elle un jour ? Devrions-nous craindre une hausse des taux obligataires ? Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?

La croissance économique est-elle solide ?

Nous avons une vision contrariante de la croissance mondiale en 2018 et considérons que le consensus est un peu trop optimiste. Nous prévoyons un ralentissement de la croissance du PIB au deuxième trimestre 2018 en raison du « Credit Impulse » en Chine. Comme mentionné par le FMI, la Chine représente encore 1/3 de l'impulsion de croissance mondiale. Au deuxième trimestre 2017, notre indicateur « Credit Impulse » pour la Chine est en baisse de 25% en glissement annuel, atteignant ainsi un nouveau creux d’après-crise. Comme il s’agit d’un indicateur avancé qui permet d’anticiper l’évolution de l’économie réelle 9 à 12 mois à l’avance, nous nous attendons à des statistiques encore plus mauvaises l'année prochaine pour la Chine mais aussi pour l'économie mondiale.

La situation économique mondiale s'est améliorée au cours des dernières années. Le commerce mondial mais aussi l’investissement (hors constructions) dans les pays occidentaux renouent avec la tendance de long terme d’avant-crise.

Cependant, la croissance n'est pas aussi solide que la plupart des gens croient et pourrait déraper du fait des obstacles suivants :

– Ce que nous appelons la croissance est une reprise tirée par la dette et la bulle immobilière. Nous exprimons une forte inquiétude quant à l'augmentation de la dette des entreprises au niveau global qui représente 93,5% du PIB mondial contre 84,5% en 2008. En raison de l'argent bon marché, de nombreuses entreprises ont augmenté leur endettement, parfois imprudemment. Aux États-Unis, la dette des entreprises est à son plus haut niveau par rapport au PIB américain depuis la crise financière (45,2%) mais, parallèlement, le spread sur les obligations d'entreprises américaines est historiquement au plus bas, autour de 1%. C'est clairement une anomalie de marché qui pourrait être l'un des déclencheurs de la prochaine crise. De plus, l'impulsion du crédit conduit à une impulsion de croissance plus faible qu'avant 2008. Sur la base des données de la BRI, avant la crise, la zone euro avait besoin en moyenne de 0,9 unité de crédit pour créer une unité de PIB. Après la crise, 1,06 unité de crédit est nécessaire pour créer une unité de PIB. Cette évolution est encore plus inquiétante en Chine : avant la crise, une unité de crédit était nécessaire pour créer une unité de PIB contre 2,5 unités de crédit depuis la crise. Le monde est assis sur une montagne de dette, mais ne génère pas suffisamment de croissance pour la gérer.

– Le resserrement post-Congrès de la Chine signifie une croissance mondiale plus faible. Le virage vers la restriction de crédit a commencé à partir de la deuxième partie de 2016, mais devrait être accentué par les autorités maintenant que le Congrès du PC est terminé. Il a d’ailleurs déjà commencé. À titre d'exemple, le rendement des obligations de la Chine à 7 ans est supérieur à 4% contre 3% au début de l'année. Nous prévoyons également que le taux repo à 7 jours, qui est un indicateur de liquidité pertinent pour le pays, continuera d'augmenter en 2018 dans le but de réduire le shadow banking et l'excès de liquidité. Pour le reste du monde, le resserrement des conditions de crédit en Chine et la baisse de la croissance ne sont certainement pas de bonnes nouvelles. Comme par le passé, il est probable que le ralentissement de la Chine aura un impact sur la croissance mondiale à travers le commerce et la monnaie.

– L'économie américaine est également confrontée à une année plus difficile qu'en 2017. La récession n'est pas encore un scénario crédible. Depuis peu, le marché s'inquiète de l'aplatissement de la courbe des taux, mais comme rappelé dans le graphique ci-dessous, les cinq dernières récessions américaines ont toutes été précédées d'une courbe de rendement négative. Cela signifie que nous devons surveiller cet indicateur avancé, mais il est trop tôt pour parler de récession prochaine. Jusqu'à présent, ce que le marché nous indique, c’est qu’il n’y a aucune raison de s’attendre à davantage d’inflation et de croissance en 2018-19 aux États-Unis. Sur la base de nos modèles, en 2017, la croissance résulte de flux de crédit positifs, ce qui confirme notre vision, à savoir que nous nous trouvons dans une situation de reprise stimulée par la dette. Les attentes concernant la réforme fiscale de Trump restent élevées, mais il n’est pas encore 100% certain que le processus législatif soit finalisé avant Noël. Si ce n’est pas le cas, le risque est élevé que les Démocrates et les Républicains modifient le projet au T1 2018 du fait de l’approche des midterms afin qu’il soit plus favorable aux contribuables et moins aux entreprises. Si cela se produit, la dynamique positive créée par la réforme pourrait disparaitre et l’espoir de prolonger le cycle économique pourrait également s’évanouir.

– Il y a de nombreuses raisons d'être optimiste pour la zone euro mais cela ne veut pas dire que tout va désormais bien. La croissance économique dans la zone euro est synchronisée entre les pays membres mais la destruction de richesse à la suite de la grande récession explique pourquoi les PIIGS sont toujours à la traîne et restent très fragiles face à tout choc externe (tel qu'un ralentissement mondial). À l'exception de l'Irlande, le PIB à prix constants reste inférieur à celui de 2008 en Italie, Espagne, Grèce et Portugal. Par conséquent, il serait donc plus correct de parler de reprise économique partielle dans la zone euro.

L’inflation reviendra-t-elle un jour ?

La faible inflation a été l'un des principaux problèmes macroéconomiques des dernières années et devrait rester une source d'inquiétude pour les banquiers centraux sur une période plus longue. Depuis septembre 2016, la Chine, qui a été le principal exportateur de déflation, a commencé à exporter de l'inflation. En parallèle, le prix mondial des matières premières a continué de progresser (+3% en octobre 2017 en glissement annuel, sur la base des données de la Banque mondiale). Néanmoins, l’inflation mondiale reste encore faible.

Les banquiers centraux, en particulier Mario Draghi, considèrent qu'une inflation faible n'est qu'un phénomène transitoire lié à l'hystérésis et au sous-emploi. Ces éléments jouent certainement un rôle à court et moyen terme mais, comme le souligne Benoit Coeuré, le problème est que la courbe de Phillips est « plate et non linéaire ». Nous ne prévoyons pas que l'inflation reprenne de manière significative l'année prochaine puisque, de notre point de vue ; la basse inflation est avant tout un phénomène structurel. De plus en plus d'économistes commencent à être d'accord avec cela, y compris Janet Yellen qui a récemment confirmé que nous ne comprenons pas correctement les dynamiques de l'inflation.

Les monétaristes expliquent la faiblesse de l'inflation par le faible taux de croissance de la monnaie au sens large depuis la grande récession. Cela pourrait faire partie du problème, mais ce n'est pas tout à fait convaincant puisque le stock de monnaie n'a jamais été constant et a commencé à diminuer depuis 1997 aux États-Unis.

C'est certainement une combinaison de facteurs, incluant la démographie, la révolution technologique et la dette qui expliquent le mieux la tendance actuelle. Tout, même les cryptomonnaies (comme le Bitcoin), est déflationniste et, si notre analyse est correcte, la politique monétaire a peu de capacité à influencer durablement l’inflation.

Devrions-nous craindre une hausse des taux obligataires ?

Depuis que la FED a mentionné son intention d’aller vers une politique monétaire plus restrictive, le marché craint des taux de rendement sur le marché obligataire beaucoup plus élevés. Pourtant, les conditions de marché au niveau mondial demeurent toujours très accommodantes. Le taux de rendement moyen des obligations souveraines mondiales (toutes échéances confondues) s'est stabilisé dans une fourchette comprise entre 1,1% et 1,4% en 2017 après avoir chuté à un point bas historique de 0,65% en juillet 2016.

Contrairement à la croyance commune, la sortie d’une politique monétaire laxiste ne signifie pas la fin des anomalies de marché sur le segment obligataire. L'événement financier le plus frappant de la fin de l'année, bien qu’il soit l'un des moins commentés, est que la multinationale française Veolia, pourtant notée BBB, ait été payée par les investisseurs pour emprunter. Ce n'est absolument pas une condition normale de marché. Nous sommes à « La La Land ». Le resserrement des conditions monétaires ne devrait pas modifier beaucoup cette situation puisque les banques centrales ne sont pas le principal moteur des taux bas.

Trois facteurs sont très significatifs pour expliquer ce phénomène : la baisse des attentes d’inflation, le vieillissement et Bâle III. De notre point de vue, le vieillissement est une tendance structurelle clé à long terme qui pousse les rendements à la baisse sur la durée. Dans la plupart des pays développés, la plus grande cohorte de population est associée aux baby-boomers (épargnants nets) tandis que les cohortes plus jeunes sont relativement plus petites que par le passé (emprunteurs nets essentiellement). La conséquence est que les épargnants ont moins de possibilités de déployer leurs abondantes économies. Les emprunteurs détiennent les cartes sur le marché du crédit d'aujourd'hui. Ainsi, le coût du capital ne peut rester que faible pour encourager davantage d'emprunts. Cette tendance est particulièrement perceptible dans les pays en phase de déclin démographique avancé tels que le Japon mais aussi certains pays d'Europe Centrale et Orientale. Si, comme nous le supposons, l'explication du vieillissement est correcte, la crainte d’une crise mondiale sur le marché obligataire est exagérée. Les faibles rendements sont là pour rester.

Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?

Le risque géopolitique reste sur les radars en 2018 en raison des prochaines élections en Italie et aux Etats-Unis, du processus compliqué du Brexit et des tensions persistantes au Moyen-Orient et dans la péninsule coréenne. Cependant, depuis l'élection présidentielle française, le risque géopolitique s'est estompé et nous nous attendons à ce que cette tendance se poursuive l'année prochaine. Il provoque généralement beaucoup d’agitation sur le marché, mais a un impact modéré sur le moyen terme, comme prouvé cette année encore par l'effet négatif limité du référendum catalan sur l'IBEX. Ce dernier a récupéré ses pertes en seulement 10 jours. En fait, le risque géopolitique devrait être considéré par les investisseurs comme une opportunité d'acheter à la baisse afin de profiter de l'inévitable rebond des prix. Notre indice de risque géopolitique, basé sur le travail de Caldara et Iacoviello (2017), n'indique aucune tension significative à court terme et reste bien en dessous de son plus haut niveau atteint en mars 2003 à 450 points du fait de la guerre en Irak. En réalité, ce qui peut entraîner une consolidation du marché c’est ce qui n’est pas encore « pricé », comme l'incertitude entourant la stratégie régionale de l’Arabie Saoudite, les tensions politiques croissantes entre l'Europe de l'Ouest et l’Europe de l'Est à propos de l'adhésion de l'Autriche au groupe de Visegrad et, enfin, les midterms aux Etats-Unis. Historiquement, concernant ce dernier point, il existe une forte relation entre la popularité du président et les élections de mi-mandat. Considérant que la popularité de Trump n'est pas exactement stellaire (sa cote d'approbation est passée de 45% en janvier à 37%), le risque est grand qu'il doive jongler, jusqu’à la fin de son mandat, avec un parti démocrate revigoré et un parti républicain qui l’accuse d'être responsable de son échec électoral. Dans ce contexte politique délicat, il est presque certain que Trump ne sera pas capable de tenir ses promesses.

Nous sommes dans un monde d'excès de liquidité conduisant à la création de bulles. C'est le risque financier et macroéconomique le plus dangereux pour la reprise impulsée par la dette. Un marché est en situation de bulle lorsque les prix deviennent super-exponentiels, ce qui se passe actuellement sur de nombreux marchés à travers le monde : marché immobilier, monnaie virtuelle, FANG (Facebook, Amazone, Netflix et Google), ainsi que la part à rendement négatif du marché obligataire qui représente environ 8 milliards USD. La technologie derrière le Bitcoin est indéniablement prometteuse, mais l'intérêt pour celui-ci est principalement motivé par l'excès de liquidité. C'est un non-sens économique que la capitalisation boursière du Bitcoin soit juste au-dessus de celle de General Electric, l'une des plus grandes sociétés au monde avec plus de 123 milliards de dollars US de revenus.

Dans un contexte de resserrement de la politique monétaire, les investisseurs vont être à l’avenir beaucoup plus réticents à investir dans cet actif qui présente toutes les caractéristiques d'une bulle spéculative. Cependant, l'éclatement de la bulle du Bitcoin, qui pourrait être déclenchée par la sortie d'une politique monétaire accommodante, ne devrait pas avoir de conséquences financières significatives. Les bulles les plus dangereuses sont en fait celles que nous avons connues dans le passé, en particulier sur le marché de l'immobilier. Les bulles sur les actifs financiers sont inquiétantes mais touchent une plus petite partie de la population que les bulles sur le marché de l'immobilier. A cet égard, les marchés les plus risqués que nous avons identifiés sont l'Australie, Londres et Hong Kong, mais les tendances en Suède et en Norvège sont également extrêmement préoccupantes. Depuis 2007, l'indice des prix des logements a augmenté de 90% en Suède et de 70% en Norvège.

Nous entrons lentement dans une période très risquée où les bulles continuent de croître pendant que l'impulsion du crédit est négative et que les banques centrales reviennent à une politique monétaire plus orthodoxe. Nous savons très bien comment fonctionnent les bulles. Ce qui ressemble à première vue à un non-événement peut souvent provoquer une explosion. Par conséquent, il est impossible de prédire correctement l'éclatement des bulles. Ce que nous disons c’est que l'année 2018 est certainement l’année la plus propice à un éclatement de bulle et ce, depuis 2007. La fin de l'année est particulièrement risquée car la Fed aura des taux considérablement plus élevés et la BCE cessera l'injection de liquidités par le biais du QE, ce qui va conduire à un coût plus élevé du capital et à une réévaluation du risque sur le marché.