Pentification de la courbe des taux aux Etats-Unis : soutien ou frein à la reprise ?

par Hélène Baudchon, économiste au Crédit Agricole

• La forte remontée des taux longs américains n’est pas forcément inquiétante.
• Certes, pour l’aspect négatif, elle est la conséquence du gonflement de l’offre de titres publics.
• Mais elle est aussi le fruit de la dissipation de l’aversion pour le risque.
• Autre aspect positif : elle contribue à la pentification de la courbe des taux, usuellement un signal avancé de reprise aux Etats-Unis.

La pentification de la courbe des taux est engagée depuis début 2008 et s’est faite en deux étapes : par la baisse agressive des taux courts tout au long de l’année 2008, par la remontée des taux longs depuis. 

Une combinaison d’inquiétudes et d’espoirs croissants

La hausse rapide des taux longs depuis le début de l’année est assez largement entraînée par l’augmentation de l’offre de titres publics nécessaire pour financer les plans de relance économique et de soutien au secteur bancaire. S’y ajoute le risque perçu d’un dérapage de l’inflation alimenté par la politique monétaire hyper-expansionniste menée par la Fed, en particulier le gonflement de son bilan et son financement par de la création monétaire. Des facteurs techniques ont pu aussi temporairement accélérer la hausse des taux longs. Et des perspectives de croissance et d’inflation à terme plus incertaines et volatiles sont de nature à pousser à la hausse la prime de risque pour détenir des actifs longs, et donc leurs rendements. En période d’aversion au risque élevée, l’incertitude alimente une fuite vers la qualité et joue à la baisse des taux longs. Lorsque l’appétit pour le risque revient, l’incertitude redevient un facteur négatif.

On ne peut nier les pressions haussières exercées sur les taux longs par la détérioration des finances publiques américaines. D’ailleurs, la remontée des taux longs vient essentiellement de la remontée de la composante inflation et non de celle des taux longs réels. La hausse attendue des ratios de dette publique sur PIB à l’horizon des prochaines années pourrait ajouter à elle seule entre 1,5 et 2,4 points de pourcentage aux taux longs(1).

En revanche, l’inflation n’est pas un risque, ni à court terme, ni à moyen terme compte tenu de l’importance des ressources inemployées, capital comme travail. De plus, la Fed a les outils, le temps et la crédibilité nécessaire pour drainer l’excès de liquidité sans compromettre ses objectifs de croissance et d’inflation.

Et la remontée des taux longs est aussi le fruit de perspectives économiques en voie d’amélioration, de l’atténuation de l’aversion pour le risque et du retour des investisseurs sur des classes d’actifs risqués. On se souviendra que c’était l’objectif recherché par la politique d’assouplissement du crédit de la Fed.

Son succès a un prix : des taux longs plus élevés en accompagnement du rebond des marchés actions et crédit. Et encore, à 4 % environ aujourd’hui, ils ne sont pas si élevés que ça, probablement en partie grâce à la politique d’assouplissement quantitatif de la Fed. De plus, les taux longs partaient de très bas : fin 2008, ils étaient à seulement 2 %, un niveau historiquement et excessivement bas. Ce que l’on observe est donc de l’ordre de la normalisation, la correction d’une sur-évaluation. Ce faisant, les taux sont revenus plus ou moins sur des niveaux « justes ».

Le signal de la courbe des taux

A ce jour, la remontée des taux longs ne met pas en danger la croissance. Ce serait le cas si elle entraînait in fine un nouveau durcissement de l’ensemble des conditions monétaires et financières, si elle faisait rechuter les marchés actions et de crédit. Le risque n’est pas nul mais le scénario de sortie de récession, tel que usuellement signalé par la pentification de la courbe des taux, nous paraît plus probable.

C’est vrai que nous ne sommes pas en des temps normaux, qu’il ne s’agit pas d’une récession cyclique classique, qu’un changement de régime de croissance semble se dessiner, contraignant le schéma de la reprise cyclique classique vigoureuse.

La portée du signal de la courbe est peut-être moindre voire non pertinente. Mais jusqu’à preuve du contraire, nous ne sommes pas d’accord pour enterrer ainsi l’analyse cyclique. Elle a le mérite d’être éprouvée et elle a prouvé sa fiabilité en pointant quelques mois à l’avance la récession actuellement en cours.

De plus, il faut tirer les leçons de ses erreurs. Ainsi, l’inversion de la courbe des taux de 2006 à 2007 avait été initialement interprétée comme un faux signal. Il y avait de bonnes raisons de penser cela au moins jusqu’à la mi-2007. Jusqu’à cette date, les conditions annonciatrices de la récession n’étaient en effet pas réunies : la politique monétaire n’était pas particulièrement restrictive, il n’y avait aucun signe de restriction de l’offre de crédit, l’ensemble des conditions monétaires et financières étaient favorables à la croissance, et l’optimisme dominait. La crise financière a radicalement changé la donne. L’envolée de l’aversion pour le risque, l’écroulement de la confiance, l’extrême durcissement des conditions monétaires et financières sont venus s’ajouter aux effets retardés de la flambée du pétrole et de la récession immobilière engagée depuis la fin 2005, pour précipiter l’économie en récession fin 2007.

Aujourd’hui, la politique monétaire est ultra-accomodante : les effets positifs de ce stimulus monétaire sont devant nous. La confiance revient. Le credit crunch perd en intensité. Les conditions monétaires et financières sont moins tendues : on ne peut pas dire qu’elles sont favorables à la croissance mais elles lui sont moins défavorables. Les conditions de la reprise semblent se mettre en place. La reprise n’est pas encore là : elle ne fait que se rapprocher. La pentification de la courbe des taux ne dit rien de plus.

NOTES

(1) Cf. Barclays Capital, Global Economics Weekly, 22 mai 2009, “No free lunches”.

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