France : Victoire des Bleus… Coup franc pour la croissance ?

par Véronique Janod, avec la contribution d’Emilie Da Silva, économistes chez Natixis

La victoire des Bleus dimanche dernier a mis la France en liesse. L’euphorie passée, chacun continue d’y penser et de rêver…et pourrait même être tenté d’y déceler un présage positif, et d’extrapoler que la victoire de la coupe pourrait venir soutenir la croissance en boostant la consommation. Voilà qui serait d’autant plus bienvenu que, contrairement aux drapeaux français agités fièrement dans les rues, la consommation des ménages est restée en berne en ce début d’année.

Malheureusement, l’effet sur l’économie française a toutes les chances de s’avérer très limité. Il y a en effet peu d’espoir que le bonheur partagé à la suite de la victoire des Bleus parvienne à rendre aux ménages le pouvoir d’achat qu’ils ont perdu au premier trimestre. Dès lors, il y a fort à parier que les dépenses suscitées en France lors des matchs et des festivités ne feront que se substituer à d’autres. In fine le jeu devrait être à somme nulle, certains secteurs ayant profité des changements temporaires des modes de consommation au détriment des autres (bières et /ou rosé pizza s’en sortant bien).

Il est toutefois possible qu’à défaut de dynamiser directement la croissance française, la victoire de la Coupe du monde parvienne au moins temporairement à booster le bonheur national brut en restaurant la confiance des ménages comme la cote de popularité d’Emmanuel Macron. Au-delà de ces gains éphémères, la capacité démontrée de la France à organiser spontanément des rassemblements sportifs et festifs sur tout le territoire dans une ambiance euphorique s’avère, elle, de bon augure à l’approche des jeux olympiques que Paris accueillera en 2024, notamment pour finir de convaincre les investisseurs étrangers qui auraient été encore frileux. Les vrais vainqueurs à court terme comme à long terme sont bien les joueurs eux-mêmes : au vu de leur talent, ceux-ci sont désormais promis à un bel avenir.

Au final, cette victoire fait du bien, rien que par la joie et le sentiment de cohésion qu’elle diffuse. Ses retombées macroéconomiques pourraient bien, elles, rester anecdotiques même si elle contribue à améliorer l’image de marque de l’Hexagone après les épisodes de grève du printemps.

Si la victoire des Bleus a mis la France en liesse, l’impact sur l’économie française pourrait bien n’être qu’anecdotique.

Comme avant chaque grand évènement sportif, le mondial s’est traduit ex-ante par des achats en biens d’équipement. La consommation de biens durables a ainsi rebondi en mai, en raison notamment d’achats de téléviseurs selon l’Insee.

Il est naturellement tentant d’y déceler un présage positif pour la consommation des ménages et par conséquent pour la croissance française. D’autant que celle-ci, après un premier trimestre décevant, aurait bien besoin d’un coup de pouce. Loin d’être à la fête, la consommation des ménages est restée en berne au début de l’année. Ce ralentissement est à mettre en lien avec la forte remontée de l’inflation (imputable à la hausse des prix du pétrole associée à celle de diverses taxes) mais également avec le calendrier de mise en place par étapes des allégements des charges sociales salariales1 retenu par le gouvernement. Ces deux éléments ont contribué à l’érosion du pouvoir d’achat des ménages (- 0,6% T/T) au premier trimestre. En conséquence les festivités sportives se déroulent à une période où le pouvoir d’achat des ménages n’a pas le vent en poupe. Or il n’y a aucune raison de penser que le bonheur partagé à la suite de la victoire des Bleus puisse y remédier.

Le pouvoir d’achat des ménages n’étant pas extensible, il y a fort à parier que les dépenses suscitées lors des matchs (en termes de restaurations notamment) et des festivités associées qui se déroulèrent en France ne feront que se substituer à d’autres. Comme sur le terrain, il y a eu des secteurs gagnants (restaurations rapides, ventes de produits dérivés), qui ont pleinement profité du changement temporaire des comportements de consommation des ménages aux détriments des autres, les perdants (à l’instar des autres loisirs tel que le cinéma ou le théâtre). In fine le jeu devrait être à somme nulle.

Et quand bien même ce jeu de substitution ne serait pas parfait, l’impact sur la consommation devrait rester dérisoire. En effet l’étude réalisée par le CDES2 sur l’impact économique et social de l’Euro 2016 chiffrait, à titre de comparaison, à 108 euros la dépense moyenne journalière par spectateurs se rendant dans les fan zones. Les spectateurs étrangers étaient à cet égard plus dépensiers (150 euros) que les français (80 euros). Les retombées économiques des festivités de ces derniers jours devraient donc être peu importantes et bien inférieures au chiffrage de 1,3 Mrds d’euros (soit 0,06% du PIB3) disponible pour 2016 où la France avait été le pays organisateur. Et ce d’autant plus que les dépenses effectuées par les supporters français en Russie sont autant de manque à gagner pour l’économie tricolore. Si les dégâts occasionnés en marge des rassemblements sont à l’inverse favorables à la croissance, ils ont été trop limités pour pouvoir avoir un impact significatif au niveau macroéconomique.

A défaut de dynamiser directement la croissance française, la victoire de la Coupe du monde boostera-t- elle le Bonheur national brut4, en restaurant la confiance, comme l’espère le ministre de l’Economie et des finances5 ? Un tel effet serait bénéfique car la confiance des ménages qui avait, sans surprise, été largement boostée par les élections présidentielles de 2017 est depuis janvier repartie nettement à la baisse. L’indice de confiance a rejoint en juin son plus bas niveau depuis août 2016, repassant ainsi pour le second mois consécutif sous sa moyenne de long terme. Si les ménages français perdent confiance c’est notamment parce qu’ils sont préoccupés par l’évolution de leur pouvoir d’achat. En effet, le solde d’opinion sur leur capacité d’épargne future a perdu 6 points en juin, tandis que celui relatif à leur niveau de vie futur s’est lui dégradé de 5 points.

Cette victoire sera-t-elle suffisante pour réduire les inquiétudes ? En 1998, tandis que la France s’imposait à domicile face au Brésil en finale de la Coupe du Monde, l’indicateur de confiance des ménages avait enregistré un bond de 3 points en pourcentage, principalement en raison de l’amélioration de leur perception de leur niveau de vie future. Cependant le parallèle avec 1998 ne doit pas être dressé trop hâtivement. Le contexte de 2018 est en effet différent de celui de 1998, où la France n’avait pas seulement gagné la compétition, mais elle l’avait aussi organisée. De surcroît l’économie était à l’époque en phase ascendante alors que le retournement des indicateurs avancés actuels laisse présager que le cycle économique a atteint son pic l’an dernier et que désormais la croissance ralentit. Il y a donc fort à craindre que l’euphorie de la victoire ne se traduise pas par une augmentation de la confiance des ménages aussi forte que celle observée en 1998.

A l’heure où la cote de popularité du Président de la République était en train de décrocher, cette victoire tombe à pic. En 1998, Jacques Chirac dont la cote de confiance était en perte de vitesse en juin, perdant 7 points, en avait reconquis le double dès août suite à la victoire des Bleus, conservant ensuite cet acquis jusqu’en octobre. François Hollande à l’été 2016 avait également profité d’un regain de popularité de 5 points, qui fut néanmoins plus éphémère. Emmanuel Macron, qui n’a pas hésité à mouiller sa chemise avec le sourire sur le terrain, pourrait donc lui aussi bénéficier, au moins temporairement, d’une amélioration de sa cote et regagner une partie des 6 points perdus en juillet.

Au-delà de ces gains éphémères, les festivités de ces derniers jours ont montré la capacité de la France à organiser spontanément des rassemblements sportifs et festifs sur tout le territoire dans une ambiance euphorique. Voilà qui est de bon augure à l’approche des jeux olympiques que Paris accueillera en 2024. On ne pouvait espérer mieux pour finir de convaincre les investisseurs étrangers qui auraient été encore frileux.

A court comme à long terme, les vrais vainqueurs sont bien les joueurs eux-mêmes. En décrochant la coupe, les Bleus ont certes permis à la Fédération Française de Football de remporter la somme de 32,5 millions d’euros de la part de la FIFA. Mais 30% de cette somme seront reversés aux joueurs eux-mêmes, soit près de 424 000 € chacun. Il s’agit d’une somme appréciable mais néanmoins modeste au regard de leurs salaires en club. Au vu de leur talent, ceux-ci sont promis à un bel avenir d’autant que pour certains cette reconnaissance arrive alors qu’ils sont jeunes et au début de leur carrière. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler la courbe exponentielle que suit depuis 1950 le rapport, au salaire minimum, du salaire du footballeur le mieux payé de son époque6.

Au final, cette victoire fait du bien, rien que par la joie et le sentiment de cohésion qu’elle diffuse. Ses retombées macroéconomiques pourraient bien, elles, rester anecdotiques même si la victoire des Bleus contribue à améliorer l’image de marque de l’Hexagone après les épisodes de grève du printemps.

NOTES

  1. La loi de finances pour 2018 a acté la hausse d’1,7 point du taux de la contribution sociale généralisée (CSG) en janvier 2018 couplée à la suppression progressive des cotisations salariales maladie (0,75%) et chômage (2,4%), via une première baisse de -2,2 points en janvier 2018 suivie d’une seconde baisse de -0,95 point en octobre des cotisations chômage restantes. La baisse des cotisations concerne uniquement les actifs salariés tandis que la hausse de la CSG concerne l’ensemble des personnes résidant en France percevant des revenus (d’activité, de retraite, de remplacement…). Enfin la baisse des cotisations d’assurance chômage s’applique à hauteur d’une assiette plafonnée à 4 fois le plafond de la Sécurité Sociale (soit 13 076 euros de revenus mensuels).
  2. Voir l’étude réalisée en novembre 2014 par le Centre de Droit et d’Economie du Sport (CDES) sur l’impact économique et social de l’Euro 2016.

  3. Selon l’étude de 2014 du CDES, les retombées économiques de l’organisation en France de la coupe d’Europe 2016 auraient été (évaluation ex ante) de 1,26 Mrds d’euros. Une somme relativement modeste une fois mise en relation avec le PIB de 2016, (2 198 Mrds d’euros), soit 0,06% du PIB. Cette évaluation tient uniquement compte des apports financiers en provenance des acteurs étrangers qui étaient venus en France pour suivre l’Euro 2016.
  4. Voir P. Dolan, G. Kavetsos, C. Krekel, D. Mavridis, R. Metcalfe, C. Senik, S. Szymanski et N. R. Ziebarth, « The Host with the Most ? The Effects of the Olympic Games on Happiness », 2016.

  5. Intervention de Bruno Le Maire sur France 2, mercredi 11 juillet
  6. Voir L. Arrondel et R. Duhautois (2018) « L’argent du football », les éditions du Cepremap.

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