Bilan d’une année 2018 compliquée et perspectives 2019

par Jean-Marie Mercadal, directeur général délégué en charge des gestions chez OFI AM

L’année boursière s’achève
dans la douleur. Depuis le mois de septembre, la thématique
du ralentissement économique l’emporte, accentuée par une accumulation de nouvelles négatives, d’ordre politique principalement. Finalement,
la confiance des investisseurs
a fléchi et pratiquement toutes les classes d’actifs financiers affichent désormais des performances négatives en 2018. Les marchés ont-ils raison d’être aussi pessimistes ? Ce contexte crée-t-il des opportunités d’investissement ? Voici notre analyse et nos perspectives.

De mémoire de boursiers, nous n’avions jamais vu cela ! D’après une étude de Deutsche Bank, qui a recensé les performances des principales classes d’actifs financiers de toute nature depuis près d’un siècle, il n’y avait jamais eu aussi peu de performances positives (en dollar) sur une année calendaire. Les résultats de cette année 2018 sont effectivement éloquents : les actions baissent très sensiblement, de – 5,0 % pour les actions américaines à -10,0 %/-15,0 % pour les principaux indices européens. Les actions émergentes reculent de près de 15,0 % (-25,0 % pour les actions chinoises). Les performances obligataires sont également négatives, ce qui est toutefois moins surprenant vu le niveau de départ très faible des taux d’intérêt : -0,2 % pour l’indice des obligations de la zone Euro. Les obligations « crédit » ont été pénalisées par l’écartement des « spreads(1) » et affichent au final des performances de – 1,3 % pour celles les mieux notées (« Investment Grade ») et de l’ordre de -2,8 % pour celles de moindre qualité (« High Yield »). Même le soi-disant « taux sans risque » – l’Eonia, référence des placements monétaires – obtient une performance de -0,3 % sur l’année à ce jour. L’or, considéré souvent comme valeur refuge abandonne également près de 5,0 % et le Bitcoin, star de l’année 2017 et symbole des nouvelles crypto monnaies, perd 73,0 % ! Seul le dollar a progressé, contre pratiquement toutes les monnaies et particulièrement les monnaies émergentes (+5,9 % vis-à-vis de l’euro).

Bref, un environnement très difficile pour les gérants, qui ont en outre eu à subir de très fortes et soudaines dispersions sectorielles à l’intérieur même des indices actions. Nous l’avions évoqué dans notre précédente publication, les statistiques de performance des gérants ne se sont pas améliorées ces dernières semaines : à fin novembre, seuls 30,0 % des gérants actions Europe battent les indices, 25,0 % aux États- Unis. De même, la moyenne des fonds diversifiés d’allocation flexible affiche une performance très décevante de près de -7,0 % depuis le début de l’année.

Les marchés sont ainsi confrontés à une accumulation de facteurs négatifs depuis plusieurs mois, ce qui a fini par peser assez lourdement. Pour une fois, il n’y a pas de scénario consensuel. Plusieurs hypothèses sont possibles, avec une cristallisation autour de deux grandes visions : l’une franchement négative (qui semble un peu majoritaire) et l’autre plus constructive qui nous paraît plus probable, au moins à court terme.

Le scénario pessimiste est assez facile à décrire actuellement, et c’est celui qui domine depuis septembre. En toile de fond, c’est la thématique du ralentissement économique qui prend le pas, et elle est accentuée par une multitude de raisons plus ou moins solides ou avérées et qui relèvent parfois de la « psychologie » : parmi les sources de préoccupations les plus évoquées figurent le cycle américain, qui est déjà très long et qui s’approche « théoriquement » inexorablement de la fin, le contexte de guerre commerciale qui pèse sur la confiance des chefs d’entreprise et réduit la visibilité, les politiques très accommodantes des Banques Centrales qui s’achèvent, la zone Euro en prise à des problèmes de cohésion. Au final, les conditions financières globales se détériorent, avec la baisse des actions, le renchérissement du coût du capital et d’emprunt. Le tout dans un environnement où le stock de dettes est au plus haut historique, qu’elles soient gouvernementales ou privées. Bref, ces arguments paraissent solides et guident les marchés ces dernières semaines.

Mais il y a une dialectique positive, assez solide égale- ment. D’ailleurs, le camp des optimistes n’est pas constitué uniquement d’observateurs positifs béats. Le journal financier américain Barron’s vient de publier une étude réalisée auprès de 10 grands stratèges américains parmi les plus réputés. Tous ont pour 2019 des objectifs positifs sur l’indice S&P 500, avec une prévision moyenne de 2 975, ce qui donne une performance potentielle de près de 15 % par rapport aux niveaux actuels. Les prévisions s’étalent de 2 750 à 3 100 pour l’indice. Les arguments des « bulls » sont assez simples : nous sommes loin d’être en récession, les bénéfices des entreprises sont encore attendus en progression, de même que les chiffres d’affaires, et surtout, les deux grands « lubrifiants » de l’économie mondiale sont favorables : les taux d’intérêt sont bas de même que le prix du pétrole.

La grande question donc, c’est le niveau de la croissance

Les grands instituts de conjoncture internationaux ont révisé à la baisse les estimations pour l’année prochaine. Nous sommes désormais autour de 3,7 % pour la croissance mondiale. Cela paraît encore un peu élevé au vu des indicateurs avancés qui pointent actuellement vers le bas. Mais ils restent dans l’ensemble encore en zone d’expansion, si bien qu’un niveau de croissance mondiale pour 2019 autour de 3,3 %/3,5 % semble possible.

Aux États-Unis, les effets positifs du stimulus fiscal et des pro- messes budgétaires s’estompent et les chefs d’entreprises, comme les consommateurs, ne sont pas complètement insensibles à l’environnement international plus compliqué. Après un second trimestre à + 4,2 % et un troisième trimestre à + 3,4 %, le momentum ralentit logiquement et semble trouver une stabilisation autour de 2,5 %, ce qui est la croissance attendue en 2019 et qui semble tout-à fait crédible.

La Chine, l’autre grande économie mondiale, ralentit égale- ment et son rythme actuel semble se situer autour de 6 % l’an, ce qui est peut-être un peu décevant vu les mesures de soutien prises par le gouvernement. Mais avec la baisse des taux et la perspective de voir le taux d’impôt sur les entreprises baisser, il semble qu’un palier soit atteint. À plus long terme, le pays se situe dans une phase de transition intéressante du point de vue dialectique. Le pays commémore en effet les 40 ans de la rupture économique décidée par Deng Xiaoping, qui a mis un terme à la politique catastrophique de Mao. Depuis, la Chine est passée du Moyen Age à une économie qui riva- lise avec les États-Unis à bien des égards, et notamment sur le plan technologique. La posture un peu agressive vis-à-vis de l’extérieur du Président Xi Jinping est challengée, même en interne, car cela a mis en lumière le fait que le pays a largement bénéficié de la mondialisation, avec des règles de réciprocité discutables mises en évidence par le Président Donald Trump. Le pays doit donc se réformer et s’adapter (notamment réduire les excédents de capacité dans la « vieille économie » comme l’acier ou le charbon) et s’ouvrir, ce qui figure dans les plans de négociation avec les États-Unis. En interne, beaucoup regrettent que le Président Xi Jinping ait mis la lumière sur le pays. À suivre. Le reste des pays émergents ne pose pas trop de questions du point de vue de la croissance pour l’instant.

Le souci se situe en Europe, pour des raisons déjà largement évoquées dans nos dernières publications. La situation s’est clairement détériorée ces dernières semaines. Les dernières prévisions ont été largement révisées à la baisse et nous attendons désormais une croissance autour de 1,7 % l’année pro- chaine contre des estimations préalables comprises entre 2,0 % et 2,5 %. Les sujets d’incertitude ne manquent pas, et notamment sur le plan politique. Les élections du parlement auront lieu au mois de mai, ce qui va accentuer probablement les pressions populistes qui sont opposées à la discipline budgétaire de 3,0 % définie par les critères fondateurs de la monnaie commune, l’euro. Il risque donc d’y avoir beaucoup de volatilité sur les dettes gouvernementales de la zone, avec peut-être une fragilité nouvelle pour la dette française qui pourrait sortir de l’univers « Core » aux yeux des investisseurs internationaux.

Au final, nous assistons donc à un tassement global du taux de croissance de l’économie mondiale, les sujets d’incertitude ne manquent pas, mais nous ne sommes pas pour autant en situation de récession.

Taux d’intérêt : Une pause dans le durcissement des politiques monétaires est souhaitable… et probable

La Reserve Fédérale américaine semble avoir pris acte du ralentissement économique ambiant et a délivré deux messages très importants ces dernières semaines : elle a annoncé que le niveau des Fed Funds était proche d’un niveau « neutre », ce qui a mis fin à beaucoup de débats d’experts. D’autre part, elle a expliqué aux marchés qu’elle serait une fois de plus très pragmatique et « data » dépendant, c’est-à-dire qu’elle agi- rait en fonction des événements. En conséquence, il semble désormais acquis que la phase de remontée des taux d’intérêt s’approche de son terme. Une nouvelle hausse des taux en décembre semble acquise, mais après, il est possible d’assister à une pause avec des Fed Funds autour de 2,50 % durant la majeure partie de l’année 2019, pour finir éventuellement sur un niveau de 2,75 %/3,00 % durant l’année 2020. Cela signifie donc que les taux obligataires américains ont peu de chance de beaucoup varier, sauf à ce que les statistiques économiques soient bien meilleures qu’attendu.

Auquel cas, ce serait également une bonne nouvelle. Nous pensons donc que le rendement des T-Notes 10 ans devrait se stabiliser autour de 3,00 % l’année prochaine.

En zone Euro, l’un des derniers discours de Mario Draghi a été un peu ambigu. Il a parlé d’inflation alors que ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est la croissance. Il n’y a pas eu non plus de surprise majeure, les taux directeurs resteront à leurs niveaux actuels et la politique d’achat de titres obligataires sera arrêtée à la fin de l’année et limitée au renouvellement du stock. Les obligations d’État allemand ont été le réceptacle de toutes les mauvaises nouvelles récentes, lié à son statut de valeur refuge. Son processus de normalisation, avec une remontée logique du rendement vers la zone de 0,75 %, est donc stoppé pour l’instant, situation qui pourrait durer dans le contexte politique très délicat actuellement.

Les spreads se sont à nouveau écartés sur le crédit « Investment Grade » et nous semblent désormais intéressants en relatif. Une tension absolue supplémentaire des taux de l’ordre de 25 points de base rendrait ce segment attractif selon nous et attirerait beaucoup d’investisseurs institutionnels.

Concernant les obligations européennes « High Yield », nous conservons notre vue positive. Nous pouvons désormais construire des portefeuilles bien diversifiés sur ce segment avec un rendement de l’ordre de 6,0 % à horizon 4/5 ans alors que les taux de défaut restent très bas à moins de 2,0 %. Nous pensons qu’il convient de les acheter dans une optique « Buy and Hold(2) » car il peut y avoir des problèmes de liquidité. Dans un contexte accru de volatilité et alors que les banques ont réduit leurs activités de « market making(3) », les marchés peuvent être affectés ponctuellement par des « ventes forcées », notamment émanant des ETF(4).

De même, nous apprécions les obligations émergentes en devises locales où nous sommes également « rémunérés » pour le risque. Elles continuent à bien résister depuis plusieurs semaines, les principales devises s’étant stabilisées dans l’ensemble. Le rendement est élevé à près de 8,5 % sur un panier équilibré de dettes gouvernementales de près de 5 ans de maturité.

Actions : Les valorisations ont nettement baissé, il faut recommencer à investir progressivement

Nous sommes passés de positif à neutre en mai dernier sur les actions européennes. Depuis, les grands indices ont perdu près de 15 % alors que les prévisions de bénéfices n’ont été revues que modérément à la baisse.

Aux États-Unis, les profits des entreprises de l’indice S&P 500 vont progresser de près de 20 % cette année et sont attendus actuellement en hausse de près de 10 % pour l’année prochaine. En Europe, les bénéfices ont été un peu plus impactés par l’évolution de la conjoncture, mais ils progresseront de l’ordre de 5 % cette année et sont attendus de + 5 % à + 7 % l’année pro- chaine. Il peut y avoir encore quelques révisions à la baisse au vu du ralentissement économique en cours, les analystes « bottom up(5) » étant quelquefois en retard par rapport à l’évolution macroéconomique. Mais les marchés ont largement anticipé ce mouvement à notre avis.

Dans ces conditions, les valorisations d’ensemble ont nettement baissé. Aux États-Unis, le PER(6) 2019 de l’indice S&P 500 est revenu à 15, et tous les autres indicateurs de valorisation montrent que nous sommes revenus proches des normes historiques, y compris sur les valeurs technologiques. En Europe, le PER 2019 de l’indice Stoxx Europe 600 est désormais tombé à 12, avec un rendement des dividendes proche de 4 %. Ces niveaux permettent d’amortir un éventuel mouvement de révisions à la baisse plus important.

À l’intérieur des indices, ce sont juste- ment les valeurs les plus cycliques qui expliquent cette baisse des valorisations. La dispersion au sein des indices s’est exacerbée. Les secteurs qui bénéficient de taux bas se tiennent bien. Inversement, de nombreux secteurs ont été pénalisés et retrouvent des niveaux qui correspondent à la crise de 2011, voire de 2009. A priori, nous sommes loin d’être dans une situation similaire. Il y a donc un potentiel de reprise très important sur ces segments. Pour le reste, les valeurs de croissance traditionnelles semblent offrir moins de potentiel de revalorisation, mais elles devraient continuer à bénéficier d’un environne- ment de taux d’intérêt relativement bas.

Les actions émergentes ont bien résisté durant la dernière phase de correction, ce qui montre que les valorisations atteintes par rapport aux bénéfices attendus sont désormais assez basses. Nous aimons particulièrement les actions chinoises cotées localement.

Notre scénario central

Le contexte global est assez anxiogène, et c’est justement la raison pour laquelle les marchés sont agités. Les potentiels de performances dans un cycle ma- ture sont historiquement faibles, mais c’est sur les actions que ces potentiels nous semblent les plus importants car les taux vont rester globalement bas !

Nous pensons qu’il convient justement de commencer à investir durant cette phase de volatilité qui peut durer, quitte à renforcer les positions sur repli supplémentaire, en prévision d’un potentiel de 10 % à 15 % à moyen terme.

Nous pensons que les marchés se situent dans une phase de correction cyclique, et non systémique. Or, nous avons le sentiment qu’une partie de la cote (les valeurs les plus cycliques) anticipe une récession qui est loin d’être évidente au vu des perspectives macroéconomiques. Par ailleurs, nous conservons notre appréciation positive sur les obligations « High Yield » et émergentes en monnaies locales.

Bref, cette séquence boursière nous semble offrir quelques belles opportunités…

NOTES

  1. Spread : écart de taux
  2. Stratégie d’investissement passive dans laquelle un investisseur achète des obligations et les garde en portefeuille pour une longue période, quelles que soient les fluctuations du marché.
  3. Assurer la liquidité des titres (capacité du titre à être acheté ou vendu rapidement ou dans des conditions optimales) en proposant de façon régulière et continue des prix à l’achat et à la vente.
  4. Exchanged Traded Funds : fonds indiciels cotés en bourse qui répliquent la performance d’un indice.
  5. L’investisseur étudie en détail les qualités fondamentales des actifs, avant de retenir les titres les plus rentables.
  6. PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net.