Peut-on se passer de la perfusion des banques centrales ?

En quelques semaines, la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) ont émis en mars des avis sur la conjoncture qui laissent supposer que les politiques monétaires accommodantes vont rester en place encore très longtemps. Pourra-t-on sortir un jour de l’ère des marchés financiers administrés ?
 
Tout en se montrant relativement optimiste sur la poursuite du cycle d’expansion qui a débuté en 2009, le président de la Fed, Jerome Powell, a souligné, le 11 mars, que le contexte international pouvait générer des vents contraires. « Il y a des choses comme le Brexit et le ralentissement en Chine et en Europe qui peuvent nous freiner. Nous avons dit que nous allions attendre de voir comment les conditions évoluent avant de toucher aux taux d’intérêt. Cela signifie qu’il faudra se montrer patient. »
 
Comment dire plus clairement que la visibilité est très faible ? La Fed a donc décidé de faire une pause dans sa politique de hausse des taux et a même indiqué qu’elle pourrait suspendre les mesures de réduction de son bilan. Jerome Powell a-t-il cédé aux pressions du président Donald Trump qui dénonce depuis plusieurs mois la politique monétaire restrictive ou cherche-t-il à soutenir la croissance alors que l’économie ralentit ? 
 
Car si la Maison Blanche a retenu une prévision de 3,2% dans son projet de budget 2019, la Fed a abaissé la sienne à 2,3% et nombre d’économistes pensent qu’on sera autour de 2,3%-2,4% et certains anticipent un passage sous les 2% cette année et une récession en 2020.
 
David F. Lafferty, Chief Market Strategist chez Natixis Investment Managers, estime que la Fed se soucie beaucoup de la confiance du consommateur américain, qui dépend pour partie de la bonne tenue des marchés boursiers, et donc de la transmission de « l’effet richesse », qui est plus important qu’en Europe. « Si la consommateur américain n’avait pas confiance, on pourrait entrer en récession dès cette année », a-t-il dit récemment à Paris.
 
De fait, si des investisseurs regrettent le changement de pied de la banque centrale américaine, force est de constater qu’après le trou d’air de l’automne dernier, les principaux indices boursiers américains ont repris leur tendance haussière, avec une hausse de 10% pour le Dow Jones depuis le début de l’année, de 15% pour le Nasdaq et de 12% pour le S&P 500.
 
Dans la zone euro, la situation semble plus compliquée. Les prévisions de croissance ont été révisées à la baisse à 1,1 % en 2019 et 1,6 % en 2020, avec une inflation à respectivement 1,2% et 1,5%. Comme le fait remarquer Bastien Drut, stratégiste chez CPR AM, « la BCE a perdu confiance dans les perspectives d’inflation », sachant que son mandat, unique, est de tout faire pour la stabilité des prix.
 
De telles données incitent la BCE à ne pas relever ses taux d’intérêt au moins jusqu’à la fin de cette année, voire au-delà. La banque centrale va dans le même temps prolonger les mesures exceptionnelles de refinancement de type TLTRO (Targeted Long-Term Refinancing Operation) afin de s’assurer que les conditions de crédit demeurent favorables.
 
Les nuages s’accumulent sur l’Europe. Personne ne sait comment se passera le Brexit, les dirigeants politiques britanniques faisant preuve d’un amateurisme déconcertant. L’Italie est en récession technique et aura du mal à résoudre son équation budgétaire. Enfin, l’Allemagne est impactée par le ralentissement du commerce mondial et se retrouve en première ligne face aux menaces de Donald Trump de taxer l’automobile européenne.
 
Comme les gouvernements sont incapables de prendre des initiatives susceptibles de soutenir l’activité, les banques centrales n’ont pas d’autre choix que de s’impliquer, ancrant davantage le monde dans un capitalisme financier administré. Peut-on sortir de ces politiques accommodantes qui agissent comme une drogue ? C’est peu probable. La Fed et la BCE ont pris un tel poids depuis la fin de la crise de 2008 qu’on ne voit pas comment elles pourraient faire à court et moyen terme pour prendre du recul.
 
Il faudra sans doute attendre la prochaine récession – que certains prédisent pour 2020 aux Etats-Unis alors que le ralentissement est aussi très marqué en Chine – pour redistribuer les cartes. Mais cela ne se fera pas sans douleur.