Quelle stratégie adopter après un trimestre si positif ?

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Le premier trimestre 2019 s’achève sur des performances boursières très impressionnantes qui contrastent avec la chute de la fin d’année 2018. Ceci a surpris bon nombre d’investisseurs. Ce revirement s’explique : les principaux doutes qui avaient affecté les marchés l’année dernière se sont dissipés. Mais que faire désormais ? Si le consensus global redevient positif, il nous semble préférable de prendre quelques bénéfices sur les actions et de privilégier des stratégies de portage sur les obligations.

Les marchés ont fortement rebondi depuis le début de l’année, ce qui a surpris un bon nombre d’investisseurs qui avaient adopté des stratégies plutôt prudentes après le « sell off (1) » de la fin de l’année dernière. Celui-ci avait en effet alimenté un sentiment d’aversion au risque quasi généralisé, dans un contexte de ralentissement économique et de troubles politiques.

Nous avions conseillé à cette époque, lors de notre publication de décembre, de recommencer à investir sur les actifs risqués (actions, « High Yield » et dette émergente notamment). Depuis, le parcours réalisé par ces actifs est spectaculaire, ce qui nous a incité à conseiller désormais d’adopter des stratégies plus prudentes et de prendre une partie des bénéfices acquis, dans le doute, et en attendant un meilleur éclairage sur la situation d’ensemble.

Cela dit, le monde a changé et ce revirement spectaculaire s’explique. En fait, trois des principaux facteurs de doute qui avaient pesé sur les marchés fin 2018 se sont dissipés rapidement !

La première bonne nouvelle est venue de la Réserve fédérale américaine

Guidée par l’idée que la déflation et le ralentissement de l’économie sont plus graves que la possibilité d’une reprise de l’inflation (qui tarde à se manifester d’ailleurs alors que le pays est en plein emploi), la Réserve fédérale américaine a mis fin à son processus de remontée graduelle des taux directeurs. Les marchés ont donc compris que le niveau des Fed Funds allait se stabiliser à son niveau actuel de 2,25 % pour longtemps. Les marchés anticipent même désormais des baisses de taux pour 2020 : la courbe à terme indique ainsi un niveau des taux directeurs à 1,9 % dans un an, avec une probabilité de 75 %. Ceci s’est naturellement propagé sur toute la courbe des taux américaine, qui est plate, voire légèrement inversée ponctuellement. Le taux à 10 ans a donc reflué de près de 50 points de base et devrait se stabiliser autour de 2,50 % au cours des prochains mois. La Banque Centrale Européenne n’avait pour sa part pas commencé à « normaliser » les taux d’intérêt, qui restent négatifs à court terme. Mais vu le contexte de ralentisse- ment macroéconomique et, surtout, dans le sillage de son homologue américaine, elle n’a pas eu d’autre choix que de donner des gages sur une politique monétaire globale qui restera accommodante, avec l’utilisation potentielle d’armes non conventionnelles comme la reconduction d’une politique de prêts aux banques et éventuellement le retour d’achats de titres sur le marché (les fameux « Quantitative Easing »(2)). La Fed a également laissé entendre qu’elle pourrait y avoir recours le cas échéant. C’est donc le grand retour des « puts Banques Centrales »(3), et évidemment les marchés en ont pris acte très rapidement.

La deuxième hypothèque levée concerne la croissance mondiale

Après une chute brutale de plusieurs indicateurs avancés au cours du dernier trimestre 2018, particulièrement en zone Euro, il semble que l’on ait atteint une sorte de plancher et que la dynamique de détérioration s’estompe. Cela s’explique en partie par des politiques budgétaires un peu plus expansionnistes en dépit de niveaux d’endettement qui restent très élevés. Mais la dette n’est plus le problème aujourd’hui compte tenu du soutien des Banques Centrales, et les politiques d’austérité pour revenir à des ratios de dettes plus conformes trouvent peu d’écho actuellement. C’est vrai aux États-Unis avec le plan de baisse des impôts et de relance d’investissements en infrastructures qui a été décidé, c’est vraisemblable en Allemagne avec les hausses de salaires constatées et des plans d’investissements en infrastructures également, et c’est donc le cas en Europe du Sud sous la contrainte des opinions publiques, des mouvements sociaux et populistes. Par ailleurs, la détente des taux d’intérêt, la baisse du pétrole et la relative résilience de la consommation aux États-Unis et dans la majorité des pays développés contribuent nettement à freiner la détérioration. Les doutes qui subsistent concernent surtout l’investissement des entreprises. Mais l’apaisement constaté des tensions entre les États-Unis et la Chine sur le sujet de la « guerre commerciale » pourrait restaurer une certaine confiance.

Dans ces conditions, les hypothèses de croissance mondiale ne se sont pas détériorées récemment et il y a même quelques signes d’amélioration dans de nombreux pays. La croissance mondiale devrait donc se situer autour de 3,3 % cette an- née, avec près de 2,5 % aux États-Unis et seulement un peu plus que 1,0 % en zone Euro. Le cas de la Chine, qui suscitait de nombreuses interrogations, semble également en voie d’amélioration. On ne parle plus de « deleveraging » dans le pays, l’heure est aux actions de soutien par des mesures favorables au secteur bancaire et des baisses d’impôts. Les dernières statistiques montrent que ces dispositions commencent à produire de l’effet et le scénario d’une croissance chinoise légèrement supérieure à 6,0 % redevient crédible.

Enfin, la « prime de risque » politique a baissé

Sur le plan de la « guerre commerciale », le consensus est maintenant clairement en faveur d’un apaisement entre les États-Unis et la Chine. Les investisseurs ont compris que les deux pays avaient intérêt à négocier car les impacts psychologiques d’un tel conflit sont potentiellement très néfastes sur l’investissement des entreprises et sur la Bourse, indicateur que suit très attentivement Donald Trump dans sa quête d’un deuxième mandat. Un accord sera donc trouvé à terme (il n’y a pas de limite de date fixée actuellement) et la Chine devrait s’ouvrir plus largement aux produits américains, avec une hausse des achats de denrées agricoles et la baisse de taxes sur certains produits manufacturés américains, comme les voitures par exemple. L’Europe pourrait de fait être le perdant de ces négociations, car la promesse de renforcer les achats aux États-Unis pour réduire le déficit bilatéral se fera au détriment des achats à l’Europe.

Le scénario du Brexit, autre facteur de risque politique, devient très compliqué à comprendre. Les marchés prêtent peu d’attention à ce processus actuellement et les cours, particulièrement la Livre sterling, montrent que les investisseurs ne croient finalement pas à une sortie brutale, ce qui créera de fait un choc si c’est le cas. Les élections européennes ne devraient pas modifier énormément les grands équilibres du Parlement actuel au vu des sondages récents.

Reste l’épisode qui sera peut-être le plus important cette année : qui sera le successeur de Mario Draghi à la présidence de la BCE ? Ce sujet commencera vraiment à retenir l’attention des marchés à partir du mois de juin, c’est-à-dire après les élections européennes. Un changement radical de point de vue sur la conduite de la politique monétaire européenne serait très problématique…

Taux d’intérêt : le point bas du « momentum » négatif sur la croissance peut-il remettre en cause le scénario de stabilisation des taux ?

Nous ne le pensons pas. Les marchés ont peut-être un peu exagéré les dernières impulsions données par les Banques Centrales, mais les taux d’intérêt resteront encore très bas cette année. Il n’y a pas de reprise de l’inflation, qui reste en deçà des objectifs de 2,0 % données par les Banques Centrales américaines et européennes : les prévisions d’in- flation se situent actuellement à 1,9 % aux États-Unis et 1,2 % en zone Euro. Par ailleurs, les niveaux d’endettement sont tellement élevés qu’une hausse des taux significative serait très problématique pour les États, et les Banques Centrales interviendraient alors à nouveau.

Nous pensons donc que les taux longs américains se stabiliseront entre 2,50 % et 2,75 % sur le 10 ans et que le rendement du Bund allemand oscillera entre 0,00 % et 0,25 % au cours des prochains mois. Dans ces conditions, les investisseurs vont continuer leur quête de rendement et se tourner vers le segment du crédit. Les « spreads(4) » se sont rapidement resserrés cette année, de près de 25 points de base sur les obligations « Investment Grade » et de l’ordre de 100 points de base sur les obligations « High Yield ». Ces obligations restent intéressantes désormais davantage pour le surplus de rendement qu’elles offrent que pour le potentiel de réduction supplémentaire de l’écart de taux.

De même, et après leur excellent parcours de ces derniers mois, nous pensons que les obligations émergentes en devises locales, que nous avions vivement recommandées ces derniers mois, restent attractives pour le « portage » autour de 7 % car il y a désormais moins de potentiel de revalorisation des devises sous-jacentes.

Les obligations convertibles européennes sont également un peu plus chères : leur « delta(5) » a monté (autour de 31 % en Europe) parallèlement à la hausse des marchés et la volatilité implicite(6) a également progressé, passant de 29 à 31 ces dernières semaines. Elles restent encore attractives néanmoins, notamment et peut-être surtout pour leur profil convexe.

Actions : les révisions à la baisse des bénéfices ne pèsent pas pour l’instant

La détente des taux d’intérêt a eu un impact très rapide sur le cours des actions, et particulièrement sur les valeurs de croissance qui obtiennent les meilleures performances cette année alors que les valeurs plus cycliques ou financières sont en retard. Un début de rotation sectorielle semble néanmoins s’amorcer, mais timidement. Les valorisations d’ensemble ont bien remonté ces dernières semaines.

Sur les actions américaines, le PER(7) estimé 2019 était tombé à 14,5 en début d’année, il se situe désormais à près de 17 sous un double effet : la progression des cours et les bénéfices qui sont révisés à la baisse. D’après Bloomberg, 40 % des entreprises de l’indice S&P 500 anticipent une baisse de leur profit cette année. Le consensus table désormais sur 167 USD de bénéfice par unité d’indice S&P 500 contre une estimation de près de 178 USD en septembre dernier, et près de 161 USD l’année dernière. Par ailleurs, on note un mouvement d’érosion des marges des entreprises.

La situation est similaire en Europe. Le PER 2019 de l’indice Eurostoxx a remonté, dans de moindres proportions toute- fois, passant de près de 12 à presque 14 aujourd’hui, et avec aussi un mouvement de révision à la baisse des bénéfices : le consensus attend désormais 27,0 EUR de bénéfice par unité d’indice, contre une estimation de 29,3 EUR en septembre dernier, et 25,0 EUR l’année dernière. Le rendement du dividende du marché a également baissé, mais à 3,6 %, il reste très attractif en comparaison des marchés obligataires.

Le spectaculaire rebond des actions chinoises cotées localement se poursuit (près de 30 % cette année) et nous réitérons notre vue positive. Elles nous paraissent encore sous-valorisées et restent très peu présentes dans les portefeuilles internationaux à l’heure où MSCI va progressivement les intégrer dans les indices, à commencer par l’indice des actions émergentes dans lequel elles ne figuraient pas.

Notre scénario central

Les marchés se sont ajustés très rapidement à « la nouvelle donne » sur les taux d’intérêt et à une certaine accalmie sur les tensions politiques et géopolitiques. Désormais, notre scénario central est celui d’une relative stabilité des marchés au cours des prochains mois : les marchés actions sont capés à la hausse par le momentum négatif des bénéfices, et à la baisse par la faiblesse persistante des taux d’intérêt.

Dans ce contexte, il nous semble raisonnable de réduire un peu la voilure sur les actions, de privilégier des stratégies de portage, notamment sur les obligations « High Yield » et émergentes.

NOTES

  1. Sell off : ventes ayant entraîné une baisse significative du marché
  2. Quantitative Easing : rachats massifs de titres de dettes par une Banque Centrale
  3. Puts Banques Centrales : les marchés ont dans l’idée que les Banques Centrales interviendront, quoi qu’il arrive, en cas de détérioration de la conjoncture. Les chiffres des performances citées ont trait aux années écoulées. Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures.
  4. Spread : écart de taux
  5. Le delta : sensibilité du prix de l’Obligation Convertible à l’évolution de la valeur de l’action sous-jacente
  6. Volatilité implicite : elle traduit les anticipations des acteurs du marché sur les amplitudes de variations à venir
  7. PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net.
Les chiffres des performances citées ont trait aux années écoulées. Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures.