Et si c’était la fin de la prédominance du dollar ?

par John Plassard, Spécialiste en investissement chez Mirabaud

La fin du dollar est-elle plausible ? Vers une devise électronique (Libra) ? La Chine a-t-elle les moyens de changer la donne ? Contre toute attente, le gouverneur de la Banque d'Angleterre a dénoncé vendredi le rôle « déstabilisateur » du dollar dans l'économie mondiale et déclaré que les banques centrales pourraient devoir s'unir pour créer leur propre monnaie de réserve de remplacement. Ces déclarations surprenantes remettent une nouvelle fois en question la prédominance du dollar. Que faut-il en penser ?

Retour sur les faits

Lors du symposium de Jackson Hole, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, a affirmé, dans un style qui n’est d’habitude pas le sien, que la domination du dollar sur le système financier mondial avait augmenté les risques de situation de trappe à liquidité avec des taux d'intérêt ultra-bas et une croissance faible.

Il a même suggéré que le billet vert pourrait être remplacé par une devise électronique, du style Libra (la devise électronique de Facebook) … Mark Carney affirme notamment que la domination du dollar sur le système financier mondial a augmenté les risques de situation de trappe à liquidité avec des taux d'intérêt ultra-bas et une croissance faible.

Enfin, il remarque que puisque la part occupée par les économies émergentes dans l'activité mondiale a augmenté (passant d'environ 45% avant la crise financière d'il y a dix ans, à 60%), le dollar reste aussi important qu'à l'effondrement de Bretton Woods. Qu’en est-il vraiment ?

Depuis quand le dollar domine-t-il les échanges internationaux ?

Le dollar américain règne sur les transactions de devises sans interruption depuis la Deuxième Guerre mondiale. La devise américaine s’est imposée comme la première monnaie de réserve et le premier choix des banques centrales.

Les réserves de change en dollars détenues par les banques centrales du monde entier représentaient 6’740 milliards de dollars au premier trimestre 2019, soit 61,8% du montant des réserves allouées (11'400 milliards de dollars).

Il s'agit d'actifs financiers libellés en dollars (titres du Trésor américain, obligations d'entreprises, etc.) que les banques centrales autres que la Fed (les avoirs propres de la Fed en actifs libellés en dollars, tels que les titres du Trésor et les Mortgage-Backed Securities (MBS) acquis dans le cadre de QE, ne sont pas inclus dans les « réserves de change ») détiennent dans leurs réserves en devises.

Toutefois, ces chiffres sont à relativiser très fortement dans la mesure où d’une part la Chine refuse de divulguer la répartition de ses réserves de change, et d’autre part les réserves non allouées sont en augmentation.

Quelles sont les raisons d’une telle dominance ?

Il y a quatre raisons principales à la prédominance du dollar dans les échanges internationaux.

  • La stabilité de l’économie américaine est la première raison d’investir et d’avoir confiance dans le dollar. Les États-Unis ont dernièrement montré que le pays avait les moyens de résister à un choc quelconque (hausse des prix des matières premières ou des biens manufacturés, crise du crédit, catastrophe naturelle, dérapage du commerce extérieur …)
  • Pour aider leurs exportations, les pays asiatiques (notamment) accumulent des dollars pour maintenir leurs propres devises à un taux de change bas (d’une façon générale, les économies asiatiques sont, à l’instar de l’économie japonaise, axées sur les exportations).
  • L’omniprésence du dollar dans les coffres mondiaux est aussi le résultat de l’émission surabondante de titres de dette américaine.
  • Pour ne pas se retrouver face à un endettement local incontrôlé en dollar comme en 1997 (dévaluation de la monnaie), certains pays (notamment asiatiques) tiennent compte du risque de change en achetant de la devise américaine.

Pendant combien de temps le dollar américain peut-il conserver son statut de monnaie de réserve mondiale ?

Il y a « récemment » eu deux éléments qui ont alimenté la thématique de la diversification du dollar dans les réserves mondiales :

L’Euro : La mise en place de la monnaie unique le 31 décembre 2001 a été le premier grand changement de ces 20 dernières années lorsqu’elle a remplacé les monnaies nationales des États membres de l'Union européenne (UE). Cette évolution s'est faite par étapes, la part du dollar passant de 71,5 % en 2001 à 66,5 % en 2002.

L'effort de consolidation de toutes les monnaies européennes en une seule grande monnaie avait été motivé par l'espoir de faire vaciller le dollar de son piédestal. À l'époque, il s'agissait de savoir comment l'euro parviendrait à terme à parité avec le dollar.

Mais la crise de la dette en Europe est apparue et la part de la monnaie unique dans les réserves de change est restée bloquée aux alentours de 20 %, mettant ainsi un frein aux espoirs les plus fous. Au premier trimestre, sa part est re tombée à 20,2%.

Le Renminbi : L’arrivée du renminbi en tant que devise officielle en octobre 2016 (c’est-à-dire inclus dans le panier de devises du FMI) est le deuxième grand bouleversement de ces dernières années. La monnaie chinoise est ainsi devenue une monnaie de réserve mondiale officielle.

Les attentes selon lesquelles le renminbi pourrait rapidement faire chuter le dollar de son perchoir ont également été douchés récemment par le ralentissement économique chinois et des tensions commerciales avec Washington.

Au premier trimestre 2019, avec une part de 1.95%, le renminbi se situait au cinquième rang des devises mondiales (ce qui représente cependant un record en soit).

On constate que si la domination du dollar ne fait aucun doute, cette part est en baisse constante sur les dernières décennies : elle s'élevait à 70 % au début du siècle et à plus de 80 % dans les années 1970.

1er trimestre 2019 (derniers chiffres disponibles)

– Dollar: 61.8%

– Euro: 20.2%

– Japanese yen: 5.2%, up from 3.6% in 2014.

– UK pound sterling, at 4.5%.

– Chinese renminbi: 1.95%

– Canadian Dollar: 1.92%

– Australian dollar: 1.7% x

– Swiss franc: 0.15%

– Other: 2.45%

La Chine a-t-elle les moyens de changer la donne ?

Aujourd’hui, on estime qu’environ 25% des exportations chinoises sont indiquées en yuan qui est même devenu la principale monnaie de règlement dans certaines régions. Le gouvernement chinois ne cache pas depuis des années que l’un de ses objectifs est que la devise chinoise devienne une des principales monnaies de réserve dans le monde d’ici à 2030. En 2014 déjà, Yi Gang, un député gouverneur à la Banque Centrale affirmait que « ce n’était plus dans l’intérêt de la Chine d’accumuler des réserves en devises étrangères ».

Cependant, une modification radicale des réserves de change du gouvernement chinois n’est pas d’actualité et cela prendre très longtemps avant que le Yuan arrive « simplement » au niveau de la livre sterling (4.5%) …

Synthèse

Si les attaques frontales à l’encontre du dollar se font de plus en plus précises et violentes (la Russie, l’Iran, l’Afghanistan ou encore le Venezuela notamment ont montré des volontés fortes de diversifier leurs moyens de paiement), il ne faut pas parier ces 10 prochaines années sur un changement radical de la tendance. Encore moins avec une cryptomonnaie dont le cadre juridique n’a toujours pas été fixé.