Prudence maintenue après un été assez « nerveux »…

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Guerre commerciale, guerre des monnaies, Hong Kong, inversion de la courbe des taux américains, nouveaux records de faiblesse sur les taux obligataires souverains, Argentine… L’été a été riche en événements peu engageants, ce qui a créé une certaine nervosité sur les marchés. Dans ce contexte globalement risqué et peu lisible, nous conservons la vue prudente que nous avions adoptée en juin dernier.

Les investisseurs semblent actuellement un peu déboussolés par des niveaux de taux d’intérêt inédits, qui reflètent une grande aversion au risque et qui sont également la résultante de politiques particulièrement accommodantes et inédites des Banques Centrales.

Au fur et à mesure, de plus en plus d’interrogations surviennent sur le bien-fondé de ces politiques monétaires, dont la résultante est d’avoir des taux d’intérêt proches de 0, alors que le cycle de croissance est mature, surtout aux États-Unis. Par ailleurs, cela a contribué naturellement à gonfler le prix des actifs (financiers et immobiliers surtout), créant potentiellement des bulles ainsi qu’une aggravation des inégalités sociales au sein de nos sociétés, avec les troubles et risques de déstabilisation qui en découlent. À ce constat critique s’ajoute le fait que la croissance potentielle semble s’affaiblir dans presque tous les grands pays alors que les niveaux de dettes sont bien plus élevés en absolu et en relatif des PIB qu’avant la crise de 2008. Nous atteignons ainsi près de 90 % du PIB en zone Euro et près de 100 % aux États-Unis. Les repères sont ainsi faussés et il est difficile dans ces conditions d’investir dans « une optique d’attente » sur les obligations, bien que les performances obligataires soient encore très positives cette année, avec une progression de l’ordre de 8 % sur les indices « global aggregate » qui mêlent obligations d’entreprises et gouvernementales.

Comment sortir de cette spirale et quelles nouvelles mesures pourraient donc prendre les Banques Centrales en cas de retournement de la conjoncture ? Ces derniers mois ont été riches en propositions, émanant des politiques comme de nombreux économistes. Les dernières idées tournent autour de nouveaux plans de relance pour soutenir la croissance. Cette thématique est même évoquée en Allemagne où le pays est confronté à un ralentissement sérieux, son économie étant très sensible aux échanges internationaux. De plus, avec de tels niveaux de taux, les dettes peuvent être « rollées(1) » éternellement… et tant pis pour les déficits qui sont de ce fait plus facile à financer !

Par ailleurs, un groupe de 5 experts de Blackrock (économistes 
et anciens banquiers centraux) a publié cet été une réflexion 
sur des pistes innovantes en matière de politique monétaire,
de façon à être préparé en cas de rechute économique. Ils
 suggèrent de remettre une idée qui avait été imaginée en son 
temps par Milton Friedman, à savoir une sorte « d’helicopter
 money » : très schématiquement, ils suggèrent de confier aux Banques Centrales la gestion d’un « compte spécial » de dépenses qui serait activé tant qu’un certain niveau d’inflation cible ne serait pas atteint. Pour la zone Euro, concrètement et pour rester en conformité avec les statuts juridiques, cela consisterait à offrir des prêts à taux 0 perpétuels aux citoyens. Cette issue interpelle, mais elle semble possible et les dettes publiques risquent de ce fait de ne jamais être remboursées. À suivre.

Pas étonnant de voir l’or monter dans ces conditions. Nous l’avions recommandé lors de notre publication de mai. L’once d’or a été l’un des « tubes de l’été » avec une progression de près de 22 % depuis les plus bas de mai. Nous comprenons aisément que la recherche d’actifs tangibles continue dans ce contexte monétaire. Nous pensons qu’il peut y avoir une correction ponctuelle à court terme autour de 1 450 dollars l’once, ce qui donnera des points d’entrée car les objectifs suivants, qui nous semblent atteignables, devraient se situer autour de la zone des 1 650.

Beaucoup de littérature économique a également été déployée cet été au sujet de l’inversion de la courbe des taux américains : les rendements à 10 ans sont passés sous ceux à 2 ans à plusieurs reprises. Cela s’explique logiquement par le fait que les investisseurs de long terme anticipent une baisse des taux monétaires qui se répercutera sur la partie courte de la courbe des taux, ce qui lui redonnera une forme « normale ». Le fait est que, historiquement depuis 50 ans, une inversion – dans la majorité des cas – est suivie par une récession avec un délai compris entre 6 et 18 mois. Le dernier exemple frappant qui est dans toutes les têtes est l’inversion survenue en 2006 et 2007, qui a précédé la catastrophe de 2008. Beaucoup d’économistes programment donc la fin du très long cycle actuel de l’économie américaine autour de la fin de l’année 2020. Pour Donald Trump, qui a l’échéance des élections présidentielles en novembre 2020, cela risque d’être juste, car nous savons que la santé de l’économie est un prérequis dans les chances d’être réélu, pour un Président aux États-Unis. Il risque donc de faire tout ce qui est en son pouvoir pour prolonger le cycle. De nouvelles baisses d’impôts sont évoquées, de même que la réactivation de plans de relance d’investissement.

Concrètement, les risques de ralentissement de l’économie mondiale se multiplient et nous flirtons avec le seuil très critique de 3 % : au niveau mondial, nous considérons qu’il marque en effet la différence entre l’expansion et la récession. L’économie était déjà en ralentissement et les grands organismes internationaux (FMI, OCDE…) avaient déjà révisé leurs estimations à la baisse. Nous en étions à des attentes autour de 3,2 % / 3,3 %.

Mais le climat de guerre commerciale entre la Chine et les États- Unis, qui s’est intensifié cet été, a sérieusement contribué à faire baisser la confiance des chefs d’entreprises et des marchés. D’ailleurs, la baisse du commerce mondial s’est accélérée récemment. Sur le fond, rien de bien nouveau par rapport à nos analyses précédentes. Il y a une certaine légitimité à demander une plus grande ouverture à la Chine car le pays a bénéficié de la mondialisation ces deux dernières décennies. Il y a de vrais enjeux de long terme entre les deux pays pour des questions de suprématie sur des sujets de normes techno- logiques, monétaires, de propriété intellectuelle, d’influence… À court terme, les deux Présidents souhaitent probablement montrer une certaine fermeté pour des questions d’image intérieure, mais personne n’a intérêt à ce que les choses ne s’enveniment vraiment : Donald Trump pour l’élection présidentielle, Xi Jinping alors que les festivités du 70e anniversaire de la Chine populaire se profilent, que son image est écornée avec Hong Kong et que l’économie ralentit. Mais force est de constater que ce raisonnement rationnel a des limites : la communication « dérape » souvent, avec des annonces intempestives sur les droits de douane qui engendrent une sorte d’escalade dans les rapports.

Ceci a déclenché cet été une « mini guerre » des changes : le RMB a perdu soudainement en août près de 2 % contre le dollar, passant au-dessus de la borne de 7 RMB pour 1 USD. Quasi simultanément, la majorité des devises émergentes ont reperdu du terrain contre le dollar. Ceci illustre bien que les investisseurs deviennent averses au risque sur ces sujets.

Les dernières statistiques chiffrées donnent une croissance estimée de 2,3 % cette année aux États-Unis, de 1,1 % en zone Euro et de 6,2 % en Chine, avec des indicateurs avancés orientés à la baisse dans l’ensemble, ce qui laisse entrevoir de nouvelles révisions à la baisse.

Taux d’intérêt : quelle limite à la baisse des taux ?

Les marchés obligataires actuels sont définitivement hors normes, ce qui rend l’exercice d’allocation d’actifs très compliqué : qui aurait pu imaginer par exemple que la meilleure performance de l’année jusqu’à présent au sein de ce segment allait être l’obligation de l’État autrichien à 100 ans, avec une performance de près de 65 % ? L’Autriche avait émis des obligations à 100 ans en 2017 avec un rendement de 2,1 %, ce qui paraissait déjà très bas. Aujourd’hui, le rendement est proche de 0,75 % !

La borne psychologique du 0 % a été franchie à la baisse sur de nombreux titres, il n’y a donc plus de limites. La courbe des taux allemands, référence pour la zone Euro, offre des rendements négatifs sur toutes les maturités, avec – 0,70 % pour les titres à 10 ans. L’OAT française correspondante est à – 0,35 %, et ce mouvement s’est répercuté naturellement sur tous les pays et également sur les segments des obligations d’entreprise. Près de 2/3 du gisement de dettes gouvernementales de la zone Euro est ainsi en rendement négatif. Difficile donc de trouver de la valeur aujourd’hui dans les investissements obligataires.

Dans ce contexte inédit et compliqué, nous ne voyons que très peu de risque de remontée des taux d’intérêt. Aux États-Unis, la Fed est engagée dans un processus de détente des taux directeurs. La question est de savoir quelle en sera l’ampleur. D’après son dernier discours prononcé à Jackson Hole, le Président de la Fed sera attentif à trois grands paramètres, qu’il conviendra donc de surveiller : le ralentissement de la croissance mondiale, les incertitudes sur les relations commerciales (petite pierre dans le jardin de Donald Trump) et le niveau d’inflation. De ce fait, il est clair que, en l’état actuel des choses, les taux directeurs vont baisser et il est fort probable de voir les Fed Funds autour de 1,00 % / 1,25 % d’ici la fin de 2020, soit 3 à 4 baisses supplémentaires de 25 pb.

Dans ces conditions, les taux longs à 10 ans américains devraient se stabiliser entre 1,50 % et 2,00 % en rythme de croisière, sauf événement inattendu de remontée de l’inflation, mais qui semble peu probable. En zone Euro, le Brexit complique la lecture, mais la perspective d’assister à un Brexit dur sans accord devient une réalité, ce qui maintient une sorte de prime de risque qui contribue à faire baisser les taux de la zone Euro. Nous avons du mal à estimer un prix « d’équilibre » logique pour le taux de référence du Bund. Mais il est très possible, voire probable, qu’un nouvel assouplissement monétaire soit décidé par la BCE (pour le dernier meeting de Mario Draghi ?). Une baisse de 10 pb supplémentaire du taux de dépôt assortie de mesures d’accompagnement pour les banques afin de ne pas trop les pénaliser est évoquée. Dans ces conditions, et en l’absence de remontée de l’inflation, nous pensons que le rendement du Bund devrait se maintenir autour de – 0,50 % en rythme de croisière pour les prochains mois.

Pour ce qui est du crédit, en résumé, tout est cher. Le segment « Investment Grade » a suivi l’évolution des taux d’intérêt, si bien que désormais le rendement moyen du gisement en Europe se situe à près de 0,25 %, avec la moitié du stock en rendement négatif. Le « High Yield » porte bien mal son nom : 25 % du gisement rapporte moins de 1 % en Europe et il faut aller chercher dans les signatures les moins bien notées pour trouver des rendements significatifs. Reste la dette émergente. C’est selon nous le seul segment qui conserve un certain attrait, surtout après le petit choc observé cet été : suite à la baisse soudaine du RMB chinois, et comme pratiquement à chaque fois, les autres devises émergentes se sont ajustées concomitamment à la baisse, avec des reculs de l’ordre de 5 % sur la majorité des grandes devises. L’Argentine est un cas particulier : le Peso a perdu près de 30 % de sa valeur après le premier tour des élections présidentielles, qui donne le parti péroniste très probable vainqueur pour succéder à Macri, qui était bien perçu par les milieux d’affaires. Au global, la dette émergente procure encore des rendements autour de 5 % / 6 %, avec des devises qui sont à des cours plutôt bas si on choisit la dette locale. Cela reste intéressant selon nous, dans une perspective de moyen terme, car il peut avoir de la volatilité à court terme.

Actions : la baisse des taux soutient les cours, mais il a peu de perspectives d’amélioration des bénéfices à court terme

La saison de publication des résultats des entreprises a été plutôt correcte dans l’ensemble, aux États-Unis comme en Europe, si bien que le mouvement de révisions à la baisse des bénéfices attendus s’estompe quelque peu. Cette année 2019 devrait ainsi se solder par une quasi-stabilité ou une légère progression des bénéfices par rapport à l’année dernière. Dans ces conditions, il est difficile d’anticiper une reprise boursière significative. Les valeurs de croissance ont bénéficié de la spectaculaire détente des taux d’intérêt et nous semblent chères actuellement. Les valeurs financières et cycliques ont été a contrario pénalisées par la baisse des taux d’intérêt et par les doutes conjoncturels. Nous ne voyons pas de ce point de vue de renversement de contexte à ce stade. Il nous semble donc très probable que, après les fortes progressions du premier semestre, la phase de consolidation des marchés actions qui a commencé cet été se poursuive au cours des prochaines semaines.

Concrètement, nous pensons que l’indice S&P 500 pourrait baisser jusqu’à la zone de 2 700 / 2 725 points, soit un repli supplémentaire de l’ordre de 6 % par rapport aux cours actuels, ce qui donnerait au total une baisse de l’ordre de 10 % par rapport aux plus hauts niveaux atteints début juillet.

En ce qui concerne l’indice CAC 40, les supports que nous avons identifiés se situent autour de la zone de 5 050 points soit, là aussi, une baisse de près de 6 % par rapport aux niveaux d’aujourd’hui. Nous pensons qu’il s’agira de points d’investissement intéressants. Une baisse supplémentaire serait évidemment possible si la situation conjoncturelle se dégradait encore ou en cas de choc exogène (Brexit dur…).

Mais à ce stade, il nous semble que prévoir un tel scénario est aléatoire. N’oublions pas en effet que le soutien des taux d’intérêt est très puissant, et une nouvelle détente soutiendrait immanquablement le prix des actifs. Par ailleurs, l’autre « lubrifiant » essentiel à l’économie, le pétrole, est plutôt bas. Enfin, il n’y a actuellement que peu d’alternatives aux placements actions, notamment en raison des dividendes servis qui sont attractifs par rapport aux rendements obligataires.

Notre scénario central béné

Pour la première fois depuis dix ans, la Réserve fédérale américaine a abaissé les taux d’intérêt de 25 points de base, modifiant ainsi profondément le paysage économique et financier en provoquant une détente inédite des taux d’intérêt mondiaux.

Cette prolifération de rendements inférieurs à 0 sur la dette des entreprises et les dettes souveraines est insidieuse pour les marchés financiers. La quête de rende- ment a obligé les investisseurs à rechercher des stratégies comportant des risques cachés plus importants, notamment sur les marchés de dettes. Si l’on ajoute les troubles politiques et géo- politiques, nous pensons qu’il convient de gérer avec prudence pendant cette phase transition délicate.

NOTES

  1. Dette rollée : dette remboursée et aussitôt renouvelée