Super Mario : quel bilan ?

Mario Draghi s’apprête à quitter la présidence de la Banque centrale européenne (BCE) après huit ans sur un bilan globalement positif, bien meilleur que celui de ses prédécesseurs. Pourtant, la situation économique de la zone euro demeure incertaine. La faute à qui ? A l’institution monétaire ou aux dirigeants politiques ?
 
L’économiste italien, qui doit laisser sa place à la Française Christine Lagarde le 1er novembre, résume ainsi le problème dans un entretien publié dans le Financial Times (29/09) : « Avons-nous fait suffisamment ? Oui, nous en avons fait assez et nous pouvons faire plus. Mais que manque-t-il précisément ? La réponse est la politique budgétaire. C’est la grande différence entre l’Europe et les Etats-Unis. » 
 
Une manière de répondre à ceux qui jugent que sa politique accommodante, qui combine taux d’intérêt négatifs et achats massifs de titres, est dangereuse. Le 4 octobre, six anciens banquiers centraux ont publié une tribune lui reprochant de mener une politique trop laxiste. Les critiques sont vives en Allemagne, où on l’accuse de spolier les épargnants et de fragiliser le secteur financier.
 
Qu’en est-il en réalité ? Il faut savoir gré à Laetitia Baldeschi, Juliette Cohen et Bastien Drut, stratégistes chez CPR AM, d’avoir réussi à proposer une analyse dépassionnée dans un livre très dense intitulé « Comment les années Draghi ont changé la Banque centrale européenne » (Editions Bréal). Les auteurs offrent un panorama complet évoquant les évolutions de la BCE, les impacts des mesures non conventionnelles sur les marchés financiers, la supervision bancaire.
 
Ils rappellent que si Draghi jugeait à son arrivée qu’il n’y avait pas de marges de manœuvres, il a rapidement pris la mesure de la situation. Tout le monde se souvient de sa formule « Whatever It Takes », qui avait permis de sauver l’euro en 2012. Prenant le contrepied de son prédécesseur français Jean-Claude Trichet, qui avait relevé les taux au pire moment, il a mis en œuvre une politique de détente monétaire et a surtout lancé des programmes d’assouplissement quantitatif (QE), consistant à acheter des obligations d’Etat et à soutenir les établissements financiers, pour permettre à la machine économique de continuer à fonctionner.
 
Bastien Drut souligne que Draghi a dans le même temps révolutionné le fonctionnement de la BCE avec une communication plus collégiale, mettant en avant d’autres membres du directoire. Il cite aussi une plus grande transparence avec la publication des minutes du comité de politique monétaire quatre semaines après la réunion alors qu’à l’époque de Trichet le délai était de …30 ans !
 
On se rend ainsi compte que Draghi a réussi à faire de la BCE une vraie banque centrale indépendante, ce qui n’est plus le cas de la Réserve fédérale américaine, qui donne l’impression de céder aux pressions politiques depuis 2016.
 
En partant, le président de la BCE a préparé le terrain pour son successeur en mettant en place un « QE for ever », en installant des mécanismes qu’il sera difficile à défaire et en laissant une institution en ordre de marche malgré les critiques.
 
Reste que si, de ce point de vue, le bilan de Draghi est positif, les résultats économiques ne sont pas au rendez vous. La croissance est attendue à 1,2% en 2019 et l’inflation, qui se situe autour de 1%, demeure très loin de l’objectif de la BCE d’un taux inférieur à 2% mais proche. Le président sortant de la BCE en est-il responsable ? Il faut se souvenir qu’en 2014, la zone euro redoutait la déflation ! Les mesures non conventionnelles de la BCE ont permis d’éviter cette catastrophe. 
Pour autant, elles n’ont pas permis de contrer des tendances structurelles : la mondialisation comme le vieillissement de la population européenne sont par nature désinflationnistes. L’Europe vit une sorte de japonisation sauf qu’à l’inverse du Japon elle n’a pas investi massivement dans l’innovation, en particulier la robotisation, pour pouvoir demeurer une puissance exportatrice.
 
Draghi n’a pas tort de rappeler les dirigeants politiques à leurs responsabilités. La politique budgétaire implique une relance quand c’est possible, en premier lieu en Allemagne, et la mise en place de mesures structurelles permettant de préparer l’avenir. Cela suppose une coordination entre les gouvernements. Sans une telle stratégie, la politique accommodante de la BCE risque de ne pas suffire.