La réactivation du QE va-t-elle ou non améliorer le sort des banques de la Zone Euro ?

par Erick Muller, MBA, Directeur Produits et Stratégie d’Investissement et Craig Guttenplan, CFA, Analyste crédit senior chez Muzinich & Co

Quel pourrait être l’impact des dernières mesures d’assouplissement de la Banque Centrale Européenne sur le profil de crédit des banques de la Zone Euro ? La réactivation récente du programme d’assouplissement quantitatif par la Banque Centrale Européenne (BCE) a reçu un accueil mitigé de la part des opérateurs de marché et au sein même du Conseil des gouverneurs1. Cette décision est selon nous à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation des profils de crédit des banques européennes.

Les taux d’intérêt négatifs vont certes peser sur les marges de l’activité de prêts des banques, mais d’autres mesures – comme le durcissement de la réglementation et un accès facilité au financement bancaire – doivent également être prises en compte pour évaluer le potentiel d’investissement de la dette des banques de la Zone Euro. Ces facteurs laissent selon nous présager de meilleures perspectives pour ce segment de marché.

Reprise de l’assouplissement quantitatif

Alors que l’année 2018 touchait à sa fin, la BCE avait décidé d’interrompre son programme controversé d’assouplissement quantitatif, qui avait été mis en œuvre pour relancer l’économie après la crise financière.2

En septembre 2019, moins de 12 mois plus tard et dans un contexte de détérioration de l’économie et de baisse des anticipations d'inflation, la BCE a annoncé la reprise de ce programme à partir de novembre 2019. Le dernier train de mesures prévoit une baisse des taux d'intérêt (qui sont à un plus bas de -0,5 %), une reprise du programme d’achat d’actifs (« Asset Purchase Programme » – APP) de 20 milliards d’euros par mois et une communication régulière avec le marché (forward guidance) sur de nouvelles baisses de taux et l’évolution du programme APP.3

Selon nous, la baisse des taux d’intérêt en territoire plus négatif et la réactivation de l’assouplissement quantitatif pour agir sur les taux longs auront des conséquences sur l’ensemble du secteur bancaire européen.

La comparaison des conséquences positives et négatives de cette politique fait toujours débat. La BCE a toutefois accompagné sa décision de deux modifications : la première concerne la 3ème vague d’opérations ciblées de refinancement à long terme (TLTRO III) et la seconde les réserves excédentaires du système bancaire, deux ajustements qui seront selon nous favorables aux banques.4

Modification du programme TLTRO III

La BCE a modifié les modalités du programme TLTRO III et a supprimé la charge de 10 point de base sur les principales opérations de refinancement (MRO). Le TLTRO III correspondra au taux moyen des opérations MRO (actuellement de 0 %) sur toute leur durée de vie, avec un mécanisme incitatif qui permettra aux banques dont l’encours de prêts éligibles de référence dépasse un certain seuil, de bénéficier d’un taux de refinancement plus faible. Ces mesures ont pour objectif de soutenir l’activité de prêt aux ménages et aux entreprises et de maintenir des conditions de crédit favorables aux banques. La maturité de chaque opération TLTRO III passe de deux à trois ans à compter de la date de règlement, ce qui devrait renforcer le financement de l’économie réelle et donc contribuer à la croissance économique.5

Des charges par palier (tiering) sur les réserves excédentaires des banques

Historiquement, la position de la BCE a toujours été de mettre en avant les avantages secondaires de la baisse des taux pour les banques, qui ont largement compensé le coût de l’aplatissement des courbes et de taux d’intérêt plus faibles.

Le coût estimé pour le secteur bancaire d'une facilité de dépôt à un taux de -0,5 % s'élèvent à environ 9 milliards d'euros par an.6 Pour atténuer l'impact des taux négatifs, la BCE a également mis en place un système à deux niveaux pour les banques de la Zone Euro, qui exempte une partie de leurs réserves excédentaires (actuellement six fois le taux minimal de réserves obligatoires) du taux de la facilité de dépôt (négatif).

Si certaines mesures prises par la BCE ont suscité une opposition de la part de membres du Conseil des gouverneurs de la BCE, ces ajustements supplémentaires n’ont pas soulevé de critiques et devraient être favorables aux banques.7

Selon nous, les dernières mesures d’atténuation de la BCE doivent être considérées comme une assurance venant en contrepartie d’éventuelles baisses supplémentaires de taux si la situation économique venait à se dégrader.

L’impact de l’assouplissement quantitatif sur les banques

Depuis le début de l’assouplissement quantitatif, l’impact de la baisse des taux d’intérêt sur le secteur bancaire a fait couler beaucoup d’encre8. Selon le discours ambiant, avec un coût des dépôts essentiellement proche de zéro, la baisse des taux et l'aplatissement des courbes réduisent le rendement des actifs et pèsent sur les marges des banques, qui sont pourtant leur principale source de revenus.9

Toutefois, malgré une augmentation importante du capital pour satisfaire aux nouvelles exigences réglementaires, le principal indicateur de la rentabilité des banques (le rendement des capitaux propres) s'est amélioré au cours des dernières années, en raison surtout de la diminution des provisions pour pertes sur prêts, de la réduction des coûts, de la croissance modeste des prêts et du basculement vers un système à base de commissions.

La perspective de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif a suscité de nouvelles craintes sur les actions des banques.10 Si les performances attendues par les actionnaires dépendent de la capacité d’une banque à augmenter ses bénéfices, ses dividendes et/ou ses multiples de valorisation, ces indicateurs ont plutôt eu tendance à se dégrader ces derniers temps, tout comme les anticipations de bénéfices du consensus en raison de la prise en compte croissante de l’impact des taux bas dans les cours.11

La plupart des actions des banques européennes se négocient avec une décote par rapport à leur actif net (price/book value), ce qui montre que leur rentabilité ne couvre pas le coût de leurs fonds propres.

Les fondamentaux des banques se sont améliorés

La rentabilité n'est toutefois qu'un des facteurs utilisés pour évaluer la qualité de crédit des banques. En effet, l’état de leurs bilans est tout aussi important et notamment la qualité des actifs, le niveau de capitalisation et le financement.

Les banques ont largement consolidé ces aspects ces dernières années, en raison de l’assouplissement quantitatif mais aussi des réglementations mises en place après la crise de 2008, qui se sont traduites par un renforcement marqué des exigences de fonds propres et donc par un désendettement des banques.

En ce qui concerne la qualité des actifs, nous pensons que la baisse des taux a réduit les coûts d’emprunt des entreprises et des ménages et entraîné une augmentation de la valeur des collatéraux. Résultat, les provisions des banques ont sensiblement baissé, tout comme le volume des prêts non-performants (Non Performing Loans) et des actifs non-performants (Non Performing Assets).

La baisse des taux a aussi engendré une quête de rendement, qui a selon nous poussé certains investisseurs spécialisés à acheter des prêts et des actifs non-performants de banques à des prix raisonnables. Cette tendance a également contribué à réduire le fardeau financier des banques, notamment dans les pays plus fragiles de la périphérie européenne.

La quête de rendement a aussi entraîné un resserrement des spreads de crédit, qui a facilité l’accès des banques au financement wholesale et son coût (par ex. des titres senior, adossés à des actifs et des obligations sécurisées) et à la dette plus subordonnée (titres Tier 2 et Additional Tier 1). Les spreads entre la dette des banques et celle des autres entreprises ont permis à la dette bancaire de surperformer largement les autres segments des marchés du crédit.

Le crédit bancaire devrait conserver de solides facteurs de soutien

Nous pensons que de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif auront des conséquences similaires à celles déjà prises par le passé. Nous estimons toutefois que le nouveau système de paliers (tiering) appliqué aux taux des dépôts et les conditions plus généreuses du programme TLTRO III devraient atténuer l’impact des baisses de taux et contribuer à la protection de la rentabilité des banques.

La moindre embellie de l’activité économique serait selon nous favorable aux profils de crédit des banques. Néanmoins, si l’économie européenne continuait à « se japoniser », la rentabilité des banques et les valorisations de leurs actions ne progresseraient pas, mais leurs bilans resteraient solides. Une telle tendance soutiendrait la valorisation de leurs obligations, en particulier celle des titres les plus subordonnés de leur structure de capital.

NOTES

  1. https://www .ft.com/content/de4a958a-eab3-11e9-a240- 3b065ef5fc55; https://www .telegraph.co.uk/business/2019/09/12/markets-live- latest-news-pound-euro-ftse-1002/
  2. https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2018/html/ecb.mp18 1213.en.html
  3. https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2019/html/ecb.mp19 0912~08de50b4d2.en.html
  4. https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2019/html/ecb.pr190 912~19ac2682ff.en.html
  5. IBID
  6. Source : Analyse interne de Muzinich, au 1er octobre 2019 et https://www.db.com/newsroom_news/2019/ecb-ramps-up- monetary-stimulus-en-11578.htm
  7. https://www .ft.com/content/de4a958a-eab3-11e9-a240- 3b065ef5fc55
  8. https://www.ecb.europa.eu/pub/economic- research/resbull/2019/html/ecb.rb190716~62990c3aeb.en.html as of July 16, 2019
  9. https://www .ecb.europa.eu/pub/pdf/scpwps/ecb.wp2289~1a3c04 db25.en.pdf as of June 2019
  10. https://www .ecb.europa.eu/pub/pdf/scpwps/ecb.wp2289~1a3c04 db25.en.pdf
  11. https://www .ecb.europa.eu/pub/pdf/scpwps/ecb.wp2289~1a3c04 db25.en.pdf