Le rôle important de la politique monétaire face aux conséquences économiques du coronavirus

par William de Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas

Dans plusieurs déclarations officielles publiées cette semaine, de nombreux hauts responsables se sont dits disposés à agir pour contrer les conséquences économiques de l’épidémie de coronavirus. Haruhiko Kuroda, gouverneur de la Banque du Japon, a ainsi précisé que « la BOJ entendait suivre de près l’évolution de la situation et œuvrer à stabiliser les marchés en offrant suffisamment de liquidités par le biais d’opérations de marché et d’achats d’actifs »[1]. La présidente de la BCE,Christine Lagarde, a, quant à elle, indiqué que la Banque « [se tenait] prête à prendre les mesures appropriées et ciblées qui seraient nécessaires et proportionnées aux risques sous-jacents ».

À l’occasion de la conférence téléphonique des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales du G7, les participants ont réaffirmé que tous les outils nécessaires seraient utilisés pour assurer une croissance forte et durable, et pour la protéger contre les risques baissiers. La Réserve fédérale, confrontée à l’accumulation de données empiriques relatives à l’impact de l’épidémie sur les entreprises américaines, a décidé de passer à l’action et, de manière assez inhabituelle, de baisser les taux directeurs de 50 points de base sans attendre sa prochaine réunion de politique monétaire.

Compte tenu de la nature même d’une épidémie, la politique monétaire n’est pas, a priori, l’outil le plus approprié pour faire face à ses conséquences. Quel intérêt présente une baisse des taux lorsque les personnes ne peuvent se rendre à leur travail ou que les chaînes de valeur des entreprises sont perturbées ? Jerome Powell l’a, lui-même, reconnu dans sa conférence de presse : « Une baisse des taux n’infléchira pas le cours de l’infection et ne résoudra pas les problèmes liés à la rupture des chaînes d’approvisionnement. Nous en sommes bien conscients. Nous ne pensons pas avoir toutes les réponses, mais nous sommes convaincus que notre action donnera une impulsion significative à l’économie. »[2] Le scepticisme à l’égard de l’efficacité de la politique monétaire au stade actuel se fonde également sur l’observation selon laquelle les taux d’intérêt sont déjà très bas et la liquidité abondante, comme en témoignent les réserves excédentaires du système bancaire dans de nombreux pays. De plus, le canal du signal — selon lequel une baisse des taux aujourd’hui signifie qu’ils resteront bas pendant une longue période — est censé être plutôt faible. Aux États-Unis, les marchés obligataires intègrent dans les cours plusieurs autres baisses des taux. Dans la zone euro, la forward guidance, dépendant de la situation économique, a intégré le maintien d’un environnement très accommodant pour les années à venir. Le resserrement des taux n’est donc pas la préoccupation du moment.

Quoi qu’il en soit, la politique monétaire a un rôle important à jouer dans l’environnement actuel pour éviter une détérioration des conditions financières et monétaires. Ces conditions dépendent, en effet, du niveau des taux directeurs, mais aussi des spreads des obligations d’entreprises, de la facilité d’accès aux financements, du taux de change, etc. En règle générale, lorsque les marchés financiers craignent une dégradation significative de l’environnement économique à terme, les rendements des obligations d’État reculent et les spreads des obligations d’entreprises se creusent. Les rendements de ces dernières finissent alors par augmenter considérablement. L’accès au financement bancaire peut aussi devenir plus difficile lorsque la valeur des actifs utilisés en garantie diminue[3]. Les conditions financières se resserrent, surtout si la monnaie s’apprécie suite aux baisses de taux opérées par d’autres banques centrales.

Essayer de stabiliser les conditions financières et monétaires s’inscrit dans une approche défensive, l’autre possibilité étant de courir le risque qu’un resserrement de ces conditions agisse comme un frein supplémentaire sur l’activité, venant s’ajouter aux effets directs de l’épidémie sur la demande, l’offre et la confiance. Il semble que cette approche ait joué un rôle déterminant dans l’analyse du FOMC. « Plus particulièrement, [la baisse des taux] aura pour effet de soutenir des conditions financières accommodantes et d’éviter le resserrement de ces dernières, susceptible de peser sur l’activité, en contribuant à stimuler la confiance des ménages et des entreprises. C’est ainsi que l’on peut voir les banques centrales du monde entier apporter les réponses jugées par elles appropriées dans le contexte institutionnel qui leur est propre » fait remarquer Jerome Powel dans son discours. Cette analyse revêt une importance particulière dans la perspective de la réunion de la BCE du 12 mars prochain, même s’il convient de souligner que le raffermissement récent de l’euro par rapport au dollar fait suite à une longue dépréciation et que l’élargissement des spreads des obligations d’entreprises, d’après l’indice CDS Crossover, a été assez limité au vu des données historiques. De plus, les liquidités restent abondantes dans le système bancaire, garantissant la fluidité de l’offre de crédit. Il n’y a pas, à ce jour, de resserrement des conditions financières et monétaires qui restent très accommodantes. Mais, au lieu d’attendre de voir comment les conditions de financement évoluent, une action préventive semble être l’option privilégiée : compte tenu de la décision de la Fed cette semaine, et du fait que la prochaine réunion du Conseil des gouverneurs aura lieu le 30 avril, autant dire des siècles dans le contexte actuel de nervosité, la question qui se pose concernant la réunion de la semaine prochaine n’est pas tant de savoir si des mesures seront prises, mais sur quoi elles porteront.

Ne s’agissant pas d’une question de niveau du taux de rémunération des dépôts ou des rendements des emprunts d’État et les banques disposant d’amples liquidités, des mesures visant spécifiquement à influencer les conditions financières basées sur le marché semblent se justifier. Cela pourrait passer par un accroissement du programme de rachat d’actifs et, en particulier, des titres d’entreprises, ou tout au moins, par l’affirmation selon laquelle la banque centrale est prête à utiliser résolument cet instrument si les conditions l’exigent. Les grandes entreprises seraient clairement les principales bénéficiaires de cette mesure. C’est pourquoi des prêts ciblés (TLRO) pourraient être envisagés à destination des PME cette fois.

NOTES

  1. Source : BOJ reassurance on coronavirus bolsters speculation of global policy action, Reuters, 2 mars 2020
  2. Source : Board of Governors of the Federal Reserve System, Compte rendu de la conférence de presse de J. Powell, président de la Réserve fédérale, 3 mars 2020
  3. Une étude récente menée par la Banque d’Angleterre souligne le rôle clé de l’immobilier qui, au Royaume-Uni, est fréquemment utilisé à titre de garantie pour les prêts des entreprises. Ces actifs fournis en garantie comprennent également des biens résidentiels, détenus par les dirigeants des sociétés. Source : Bank of England, Bank Underground, How does politique monétaire affect firms, 5 mars 2020

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