Des chocs économiques sans précédent risquent de se répercuter pendant plusieurs trimestres

par Michael Hasenstab, Ph.D., Chief Investment Officer, Templeton Global Macro

Il va sans dire que le monde entier est actuellement confronté à des circonstances exceptionnelles, non seulement sur les marchés financiers, mais aussi dans nos vies quotidiennes. Nous pensons avant tout au bien-être de nos familles, de nos amis, de nos clients et de nos collègues où qu’ils soient dans le monde. Malheureusement, les risques pour notre bien-être collectif et indivi- duel ne se limitent pas à la seule crise sanitaire. Nous subissons en effet des chocs économiques et financiers sans précédent qui pourraient s'avérer plus extrêmes que ceux de la crise financière mondiale de 2008, et plus perturba- teurs que tous les bouleversements observés depuis l'après-guerre.

L'état précaire du monde avant la pandémie de COVID-19 augmente encore la complexité que nous connais- sons aujourd'hui. L'aggravation des risques géopolitiques, les tensions commerciales, les polarisations poli- tiques, les dépenses de déficit non maîtrisées dans le monde développé, la faiblesse constante des taux dans les grandes économies et l'endettement excessif des secteurs du crédit rendent l'économie et les marchés financiers particulièrement vulnérables à un choc quelconque. Ces risques nous préoccupaient déjà depuis plusieurs trimestres et nous avaient incités à revoir nos stratégies en 2019 par l'ajout d'actifs considérés comme des valeurs refuges et l'ajustement de l'ampleur des risques de diverses expositions sur les marchés émergents. Bien que nous n'ayons pas explicitement anticipé la crise du COVID-19 ou le récent effondrement des prix du pétrole, nous craignions que des déclencheurs inconnus de ce type soient susceptibles de pousser un système fragile au bord du gouffre.

Malheureusement, cette ligne est désormais franchie, avec une perturbation brutale et majeure de l'activité économique mondiale. Selon nous, il est possible que les marchés sous-estiment encore la pleine étendue du choc de demande totale, malgré les solides corrections survenues jusqu'à présent et les interventions politiques sans précé- dent. Dans le passé, il est arrivé que certains événements, comme une tempête de neige d'une semaine dans le nord-est, ébranlent le PIB américain. L’ampleur de la crise du COVID-19 est des centaines de fois plus déstabilisante, car des pays, des régions et des continents entiers se retrouvent dans une impasse économique. Même les modèles économiques les plus sophistiqués ne permettent pas de déterminer les implications du confinement à leur domicile de personnes partout dans le monde, sans pouvoir aller travailler et se rendre dans les magasins, les restaurants, au cinéma, à des manifestations sportives, en vacances ou autres pendant plusieurs mois. Ces chocs massifs et inédits pour l'économie risquent de se répercuter pendant plusieurs trimestres.

Les réponses budgétaires et monétaires ont également été sans précédent, mais il est peu probable qu'elles soient suffi- santes, selon nos estimations. Dans de nombreux pays, les taux d'intérêt ont atteint la borne zéro et les bilans des banques centrales ont explosé. L'impact marginal de l'assouplissement monétaire a été fortement atténué par une décennie de mesures accommodantes continues. D'un point de vue budgé- taire, l'objectif du plan de relance américain n'est pas d'encourager la consommation, mais d'agir comme un palliatif économique aux politiques de distanciation sociale. L'effet multiplicateur de la politique budgétaire sera réduit et ses conséquences sur l'économie limitées. En outre, les licenciements massifs sont susceptibles de modifier le comportement des consommateurs qui auront tendance à freiner leurs dépenses au profit de la sécurité et de l'épargne. L'histoire montre qu'il faut des années pour que l'emploi retrouve son niveau d'avant la crise – il a fallu plus de six ans après la crise financière de 2008.

Les efforts déployés pour fournir une assistance sociale pendant une crise sont certainement importants, mais il est peu probable qu'ils soient suffisants pour couvrir la demande. Il n'existe pas de comparatif historique quant à l'ampleur de la destruction de la demande en cours à l'heure actuelle ni à celle des pertes d'emplois dans un délai aussi court.

Concernant les investissements, nous pensons qu'il est trop tôt pour prendre des risques supplémentaires, étant donné que le monde ne connaît encore que les premiers stades des répercussions économiques. Nous nous concentrons actuellement sur des investissements spécifiques perçus comme des valeurs refuges, tout en mettant l'accent sur un ensemble sélectionné de titres à haut rendement des marchés émergents dont les économies nationales sont relativement résistantes. Nous recherchons des sources d'alpha différentes de celles des marchés obligataires développés à rendement faible à négatif, dont le potentiel de hausse est limité à la suite de la fragilité historique des rendements. Notre objectif est de positionner nos stratégies pour qu'elles ne soient pas corrélées aux classes d'actifs vulnérables, tout en offrant un revenu élevé et en préservant le capital. Nous accentuons également l'importance des liquidités et des bons du Trésor américain à court terme, afin de pouvoir saisir rapidement les oppor- tunités qui se présentent. Nous avons appliqué une méthode similaire au cours de la crise financière mondiale, en adoptant une position défensive au plus fort de la crise, pour passer ensuite à une recherche opportuniste de distorsions de cours dans les premières phases de la reprise qui a suivi.

Certains secteurs des marchés semblent s'attendre à une reprise en V, comme ce fut le cas après la crise financière de 2008. Selon nous, c'est possible, mais peu probable. Nous anticipons plutôt une éventuelle reprise en U, avec quelques incertitudes persistantes sur la largeur de ce U. La durée de la pandémie, son ampleur et la durée des mesures de confinement restent inconnues. Nous ne savons pas non plus à quoi ressemblera la société lorsque tout cela sera derrière nous, étant donné le taux de chômage élevé, les difficultés économiques importantes et l'intervention budgétaire sans précédent. L'aggravation des inégalités économiques aux États-Unis était déjà une source de conflits sociaux avec un faible taux de chômage (3,5 %) avant la crise. La nette détérioration de l'économie ne fera qu'exacerber le problème. Il reste à voir si les gens seront solidaires dans l'adversité, ou s'ils seront davantage centrés sur eux-mêmes. Toutes ces préoccupations façonneront les marchés financiers à l'ère post-COVID-19.