Le krach pétrolier va-t-il conduire à une baisse de l’empreinte carbone ?

par Peter van der Welle, Multi-Asset Strategist, et Chris Berkouwer, Equity Analyst chez Robeco

Les cours du pétrole ont été doublement frappés par un effondrement de la demande et une surproduction. La baisse des émissions de GES ne pourra pas durer, les prix bas stimulant la demande. La prise en compte des critères ESG peut réduire l’empreinte carbone des portefeuilles d’investissement.

La chute historique des cours du brut laisse espérer une amélioration continue de l’empreinte carbone. Utopie ou réalité ?

Entre effondrement de la demande dû à la crise du Covid-19 et surproduction liée au conflit entre les principaux producteurs, les cours du brut sont devenus négatifs. Du jamais vu. Compte tenu du confinement de la population dans le monde entier, les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont considérablement baissé.

« Ce spectaculaire krach pétrolier résulte avant tout d’une baisse vertigineuse de la demande énergétique en raison des mesures de confinement mises en place dans de nombreux pays », commente Peter van der Welle, stratégiste au sein de l’équipe Multi-actifs de Robeco.

Moment de capitulation

« La capitulation a eu lieu le 19 avril, à l’expiration du contrat à terme de mai pour le pétrole West Texas Intermediate (WTI), en raison de l’augmentation des coûts de stockage et des problèmes de capacité à venir. À un moment donné, les courtiers étaient prêts à débourser jusqu’à 37 dollars le baril pour se débarrasser de leurs stocks.

Suite à ce violent séisme, le retour à l’équilibre a débuté. La reprise de la demande sera très progressive, même si les mesures de distanciation sociale sont en partie levées au second semestre 2020. L’avenir de l’industrie aérienne reste incertain : les gens seront-ils prêts à prendre l’avion aussi souvent qu’avant, alors que les outils de communication digitaux ont prouvé leur efficacité ? »

Baisse considérable des émissions de GES

À première vue, tout cela contribuera à réduire l’empreinte carbone, permettant ainsi de lutter contre le changement climatique et de limiter la pollution. « La réduction des déplacements se traduira par une forte baisse des émissions de GES cette année : l’Agence internationale de l’énergie table sur une diminution inédite de 8 %, bien que des questions demeurent quant à son ampleur et sa durée », avance Peter van der Welle.

« La forme que prendra la trajectoire de reprise aux États-Unis et en Chine (pays qui représentent respectivement 20 % et 14 % de la consommation mondiale de pétrole) jouera un rôle clé. Le "creditimpulse", un indicateur avancé de la croissance chinoise et américaine, continue de ralentir et d’indiquer que l’augmentation de la demande mondiale de pétrole ne dépassera probablement pas la moitié de la reprise cyclique mondiale observée en 2017.

Tant que Pékin refuse de faire "tout ce qu’il faut" ("whatever it takes") pour relancer son économie, et que le confinement de quatre milliards de personnes ne sera levé que progressivement, on ne peut anticiper une forte reprise de la demande de brut. La question est donc de savoir si la baisse des émissions de GES pourrait également dépasser les prévisions. »

Le pire est passé pour l’or noir

Malheureusement non, déplore Peter van der Welle. « Il y a des raisons de penser que le pire est déjà passé pour le pétrole et que la situation va s’améliorer au fil du temps. Les prix bas vont créer de la demande, et historiquement, les faibles niveaux de prix ont toujours ouvert la voie à la reprise économique, à mesure que les entreprises très énergivores en profitent. Mais cela prend du temps, en moyenne 18 mois.

En outre, la demande pourrait être dopée par les consommateurs qui délaisseront les métros, les bus et les trains au profit de la voiture, si la crise sanitaire perdure. La reprise finale de la demande de pétrole se traduira par une remontée des émissions de carbone, comme ce fut le cas après la crise financière mondiale. »

« Le défi de la décarbonisation reste donc inchangé, car nous avons encore du chemin à parcourir pour atteindre la "neutralité carbone" d’ici 2050 », ajoute Chris Berkouwer, gérant du portefeuille Robeco Sustainable Global Stars Equities.

« Nous sommes donc probablement encore loin de l’objectif ambitieux de l’accord de Paris de limiter le réchauffement planétaire à moins de 2 degrés Celsius (idéalement 1,5 degré) par rapport aux niveaux préindustriels. Cet objectif nécessite de réduire les émissions de GES de 3,4 % (6,4 % dans le scénario idéal) par an jusqu’en 2050, alors que les politiques actuelles ne permettent de gagner qu’entre 0 % et 1 %. »

Opportunités dans les investissements ESG

Les perspectives restent néanmoins positives en ce qui concerne la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les investissements, explique ChrisBerkouwer. « La crise actuelle offre une meilleure trajectoire pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris puisque les soutiens aux politiques environnementales restent fermement en place.

Premièrement, investir dans des thématiques (ressources) vertes, comme nous le faisons dans nombre de nos portefeuilles, peut avoir un effet multiplicateur sur l’économie. Les gouvernements insisteront davantage sur le volet budgétaire pour accélérer les dépenses dans les énergies propres et relancer l’économie. Par exemple, le Plan de relance européen énonce que la "transition verte" jouera un rôle central pour relancer et moderniser l’économie.

Deuxièmement, les faibles prix du pétrole ne sont pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour les producteurs d’énergies renouvelables, car la plupart des technologies vertes (comme le solaire) bénéficient déjà de conditions économiques bien meilleures que les énergies fossiles. Enfin, les flux de capitaux ESG sont très importants ces derniers temps, les données montrant que le fait de privilégier l’ESG contribue à réduire les risques dans les portefeuilles. »

Conséquences pour les portefeuilles

Dès lors, quelles sont les conséquences pour les portefeuilles exposés au double effet de la baisse des prix du pétrole, qui stimule à la fois la reprise économique (essentielle en matière de rendements) et la remontée subséquente des émissions de GES ?

« Dans la mesure où le défi de la décarbonisation reste plus que jamais d’actualité, nous continuerons de réduire notre empreinte environnementale et carbone dans tous nos portefeuilles actions, obligations et multi-actifs », affirme Chris Berkouwer.

« À l’aide des données de durabilité collectées par RobecoSAM, nous pouvons mesurer avec précision l’empreinte environnementale (émissions de GES, consommation d’eau et d’énergie, génération de déchets) de nos investissements et indicateurs de référence.

Globalement, les investissements durables semblent avoir mieux géré le ralentissement provoqué par la crise du coronavirus que l’ensemble du marché, ce qui se reflète également dans la performance de nos nombreuses stratégies axées sur la durabilité. »