Regain d’incertitude… Mais pas de panique !

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

En cette période de rentrée, la confiance globale des investisseurs s’érode : la reprise économique en cours est « challengée » par le retour de l’épidémie de la Covid-19 et, aux États-Unis, le contexte électoral est très tendu, ce qui réduit très fortement l’espoir de voir un plan de relance adopté rapidement. Après un été plutôt calme et positif, les marchés renouent ainsi avec une phase plus volatile. Mais pas de panique, les espoirs de vaccin se ravivent et surtout, les Banques centrales sont là !

Le mois de septembre contraste avec le calme observé durant la période estivale : la volatilité a monté et les marchés actions ont rebaissé sensiblement. Depuis les plus hauts récents, l’indice S&P 500 a donc perdu près de 10 %, l’indice Nasdaq 15 %. Les actions européennes, qui avaient moins progressé depuis mars, car moins pondérées en valeurs technologiques, ont baissé de l’ordre de 7 % et sont proches des bornes basses des marges de fluctuation dans lesquelles elles évoluent depuis le mois de mai. L’indice CAC 40 se situe ainsi à près de 4 800 points, contre un plus haut de près de 5 200 points atteint début juin. À noter que le marché du crédit n’a que peu réagi pour l’instant.

Cette phase plus volatile pourrait se poursuivre. Elle sera alimentée par deux sujets principaux : les élections présidentielles américaines et l’épidémie de la Covid-19, dans un contexte géopolitique assez tourmenté, auquel vient s’ajouter de surcroît un nouvel épisode du « feuil- leton Brexit ». De ce point de vue, l’échéance s’approche et rien n’est réglé. Au contraire la volte-face de Boris John- son, à propos des accords passés, brouille une nouvelle fois le message et laisse augurer une sortie sans accord du Royaume-Uni, avec des conséquences économiques potentiellement très négatives pour les deux parties. Ce n’est cependant pas notre scénario. Nous pensons que les négociations reprendront et qu’un nouveau délai sera décidé vu la complexité du dossier. À suivre.

Mais revenons aux deux sujets principaux de cette rentrée.

LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES AMÉRICAINES BLOQUENT LE SYSTÈME ALORS QUE LES MARCHÉS SONT EN ATTENTE D’UN NOUVEAU PLAN DE RELANCE

Jerome Powell, le Président de la Reserve Fédérale, l’a longuement souligné lors de son audition la semaine dernière au Congrès : la reprise sera longue et nécessitera encore davantage de soutien public. Or, l’adoption d’un plan de relance avant les élections présidentielles du 3 novembre semble de moins en moins probable vu le contexte très conflictuel entre les Démocrates et les Républicains. Le scrutin s’annonce comme l’un des plus polarisés de l’his- toire contemporaine. La constitution américaine est pensée pour éviter les excès et favoriser un esprit de compromis, le but étant de trouver un équilibre entre le pouvoir exécutif, législatif (le Congrès) et judiciaire (la Cour suprême).

Habituellement, les élections présidentielles ne créent pas de bouleversements majeurs sur les marchés, mais plutôt quelques inflexions sectorielles suivant les programmes des candidats. L’histoire montre en effet peu de différences fondamentales de pensée entre les deux principaux partis, le mode d’organisation de la société et les fondements idéologiques étant assez partagés et consensuels dans la population jusqu’à présent. De ce fait, les forces sous- jacentes de l’économie américaine sont ainsi largement données par le secteur privé. Cette fois-ci, les programmes des deux candidats divergent de par leur nature. Donald Trump l’a montré depuis 4 ans, il est plutôt d’essence libérale. Le programme de Joe Biden est différent : il annonce davantage de régulation, il prévoit de faire remonter l’Impôt sur les Sociétés de 21 % actuellement à 28 %, de taxer les particuliers les plus aisés, de faire remonter le salaire minimum et d’imposer des charges plus élevées aux entreprises pour des questions de couverture de santé. Donc un pro- gramme assez marqué pour les États-Unis, et qui serait a priori mal accueilli par Wall Street. D’après les estimations de plusieurs stratèges, son programme ferait baisser de près de 8 % les bénéfices attendus des entreprises qui composent l’indice S&P 500. Le meilleur scénario serait celui d’une victoire de Joe Biden, avec une courte avance, si bien qu’il ne réussirait pas à obtenir la majorité au Sénat. Dans ce cas, son programme serait amendé et aurait du mal à être appliqué.

Mais ce qui inquiète aussi (et peut-être surtout) les marchés, c’est que les élections américaines interviennent cette fois-ci à un moment particulier, où l’économie est durement touchée par l’épidémie, ce qui nécessite une action publique de soutien rapide. Or, la perspective de voir un plan être adopté rapidement est très incertaine. Les élections s’annoncent serrées : Donald Trump remonte dans les sondages avec la reprise de Wall Street et de l’économie. Joe Biden, candidat de près de 78 ans, suscite peu d’entrain et pourrait voir ainsi son avance dans les sondages baisser. Le scénario du pire, c’est-à-dire celui d’un résultat contesté, avec une incertitude de plusieurs semaines pour déterminer le vainqueur, regagne ainsi du crédit. Ce scénario potentiel commence à peser sur les marchés. Donald Trump a déjà annoncé qu’en cas de défaite, il contesterait les résultats…

LE REGAIN DE L’ÉPIDÉMIE DE LA COVID-19 PÈSE À NOUVEAU SUR LES PERSPECTIVES DE CROISSANCE

Jusqu’à présent, l’activité post-déconfinement a été plutôt positive : l’activité manufacturière et la consommation sont bien reparties, même si les taux d’épargne de précaution des particuliers restent élevés aux États-Unis comme en Europe. Si cette trajectoire se poursuit, le PIB mondial 2020 devrait se situer à près de 2,0 % en dessous de son niveau de 2019. Pour 2021, les prévisions de rebond sont de 3,5 % aux États-Unis, 5,5 % pour la zone Euro et de 8,0 % en Chine.

Mais la confiance s’érode et ces hypothèses font naturellement l’objet de doutes avec la remontée de la diffusion du virus. Les chefs d’entreprises et les consommateurs ont besoin de visibilité pour investir, ce que ne favorise pas le contexte actuel où les décisions politiques sur d’éventuels confinements pèsent. Difficile de faire des prévisions en la matière, mais nous avons le sentiment que les systèmes de santé ont fait des progrès ces derniers mois, que les mesures « barrières » sont dans l’ensemble appliquées et que, surtout, les gouvernements ne procèderont pas à des confinements généralisés qui seraient économiquement catastrophiques cette fois-ci. Par ailleurs, cette épidémie a relancé des programmes de recherche médicale et des traitements/vaccins seront tôt ou tard trouvés.

Taux d’intérêt : la BCE n’a pas réagi à la légère inflexion de la politique monétaire américaine

La Reserve fédérale américaine a décidé, en août, de modifier légèrement son objectif d’inflation et de recentrer son action au service de la croissance et de l’emploi. Elle a ainsi défini une trajectoire d’inflation plutôt qu’un objectif cible qui nécessiterait une intervention en cas de dépassement. De ce fait, les taux directeurs américains resteront à leurs niveaux actuels (0,00 %/0,25 %) pendant probablement plusieurs années. Les taux réels seront ainsi négatifs pour longtemps, et c’est de cette façon que la dette pourrait être résorbée à long terme.

Dans ces conditions, il est assez logique que le dollar soit plus faible et, sans vraiment l’expliciter, il est possible qu’une politique qui favorise une monnaie plus faible fasse partie de l’objectif pour relancer la machine américaine.

L’évolution de la parité euro/dollar sera un paramètre très important pour la politique de la BCE, car un euro trop fort pénaliserait la croissance de la zone. Jusqu’à présent, elle n’a pas bougé, même si l’euro est passé en quelques mois de 1,05 à près de 1,20 au plus haut cet été. Pour l’instant, elle a raison. Il n’y a pas matière à se précipiter. Le niveau de 1,20 est une zone plutôt « neutre » depuis la création de la monnaie unique : l’euro est descendu au plus bas à près de 0,80 au début des années 2000 et a atteint son plus haut niveau à 1,60 lors la crise financière de 2008/2009. Le travail de revue stratégique sur la vocation de la BCE est encore en cours et fera l’objet d’une communica- tion d’ici quelques mois. Une BCE structurellement plus accommodante et davantage tournée vers des objectifs économiques serait bien accueillie par les marchés.

Dans ces conditions, les taux d’intérêt ont peu de chance de varier. Les taux directeurs resteront inchangés de part et d’autre de l’Atlantique. Les rendements des Bunds allemands à 10 ans et du T-Notes 10 ans US devraient rester stables autour de leurs niveaux actuels, soit dans la zone – 0,25 %/- 0,50 % en Allemagne et 0,65 %/1,00 % aux États-Unis.

Les obligations d’entreprise ont plutôt bien résisté dans la phase de consolidation des marchés actions. Elles sont devenues assez chères, mais la recherche de rendement, dans un environnement de taux très bas, pousse les investisseurs vers cette classe d’actifs. Les obligations « High Yield » restent les plus attractives sur ce segment, dans une optique de moyen terme.

Les obligations émergentes sont également intéressantes pour le surplus de rendement offert, même si là aussi les taux ont baissé. Elles sont diversifiantes dans un porte- feuille stratégique. De ce point de vue, nous pensons que les obligations gouvernementales chinoises longues (10 ans) ont un rôle à jouer dans les portefeuilles stratégiques. Dans une certaine mesure, elles pourront prendre la place des obligations américaines qui historiquement constituaient des « macro-couvertures » : elles progressaient dans les périodes de récession ou troublées.

Mais aujourd’hui, leur potentiel est devenu très faible avec des rendements autour de 0,65 % et très peu de perspective de détente supplémentaire, la Réserve fédérale américaine semblant exclure un scénario de taux négatifs. Parallèlement, les titres chinois ont un rendement de près de 3 % et sont de plus en plus liquides et internationalisés du fait de leur intégration dans les grands indices. En cas de ralentissement mondial, les rendements baisseront nette- ment, la Chine étant l’une des économies les plus sensibles à la conjoncture internationale. Les gains en capital pourraient ainsi être significatifs.

Dans le même ordre d’idée, l’or nous semble une classe d’actifs prometteuse pour les prochaines années : il va bénéficier du contexte de taux réels négatifs, des éven- tuels mouvements de défiance des monnaies, mais aussi de son caractère diversifiant dans un portefeuille classique. Nous avions déjà souligné dans notre dernière publication de septembre qu’il était en phase de consolidation, ce qui est le cas. Les replis peuvent être mis à profit pour commencer à construire progressivement des positions.

Actions : la phase de volatilité pourrait se poursuivre

Le rebond des marchés actions depuis les plus bas de mars est spectaculaire, particulièrement sur les grandes valeurs technologiques.

Le rythme de progression, s’il se justifie par la faiblesse des taux d’intérêt, est toutefois insoutenable et une phase de consolidation semble logique. Les valorisations d’ensemble sont devenues assez élevées et les investisseurs ont besoin d’une meilleure visibilité sur les comptes des entreprises pour rester pleinement confiants, ce qui n’est pas le cas au vu des quelques facteurs d’incertitude que nous avons mentionnés.

Pour l’instant, les prévisions de bénéfices pour 2021 sont en nette amélioration par rapport à 2020 selon les estimations des analystes. Mais ils paraissent encore moyennement crédibles, surtout en ce qui concerne les actions européennes. Une progression de 25 % est attendue pour les entreprises de l’indice S&P 500, qui dépasseraient ainsi légèrement les profits enregistrés en 2019. Cela donne donc un PER(1) 2021 de près de 20 pour l’indice S&P 500, ce qui reste dans des bornes historiques élevées, ce qui se conçoit avec des taux d’intérêt si faibles.

En zone Euro, les bénéfices 2021 sont attendus en progression de 48 % et resteraient encore en dessous des profits de 2019, de l’ordre de 10 %.

Le PER 2021 de l’indice EuroStoxx s’établit à 17, là aussi plutôt dans des bornes élevées en comparai- son historique. En conséquence, les marchés sont assez bien valorisés et pourraient être vulnérables au contexte plus incertain que nous avons décrit.

Nous pensons que des replis supplémentaires de l’ordre de 5 % à 10 % sont possibles et donneront des points de renforcement intéressants.

Par ailleurs, en termes de style, nous privilégions structurellement les valeurs de croissance qui bénéficient de la persistance de faibles taux d’intérêt.

Il nous semble trop tôt pour revenir franchement sur les valeurs cycliques au vu de l’incertitude macroéconomique actuelle.

Notre scénario central

La confiance s’érode un peu, mais la toile de fond n’a pas vraiment changé.

Nous restons donc « neutres » sur les actions à court terme pour les raisons évoquées et réitérons notre conseil de modération dans les stratégies afin de conserver une capacité d’investissement durant la phase plus volatile que nous envisageons. Mais plus globalement, la toile de fond des marchés n’a pas changé : elle se caractérise par la prise en main solide des Banques Centrales qui ont ancré les taux d’intérêt à des niveaux très bas pour longtemps, ce qui « fige » en quelque sorte les marchés obligataires. De plus, elles n’hésiteraient pas à intervenir à nouveau en cas de rechute économique ou financière.

Dans ce monde qui semble « binaire » à certains égards, les actifs de diversification sont devenus assez rares. Nous en voyons toutefois au moins deux pour le long terme : l’or et les obligations gouvernementales chinoises.

NOTES

  1. PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : ratio de cours divisé par le bénéfice.