Stagnation séculaire

par Marie-Hélène Duprat, Conseillère auprès du Chef économiste chez Société Générale

Dans la foulée de la Grande Récession de 2008-2009, la notion de « stagnation séculaire » a fait son retour sur le devant de la scène académique. Les années qui ont suivi la crise ont en effet vu nombre d’économies développées enregistrer une croissance anormalement atone, l’inflation rester obstinément faible et les taux d’intérêts réels poursuivre leur baisse tendancielle. La Grande Dépression de 2020 pourrait aggraver ces tendances.

Le concept de « stagnation séculaire »

Inventé à la fin des années 1930 par l'économiste Alvin Hansen, le concept de stagnation séculaire a été remis au goût du jour par Lawrence Summers, en novembre 2013, lors de son allocution au Forum du FMI. Après plusieurs années de croissance décevante dans de nombreuses économies développées au lendemain de la Grande Récession de 2008-2009, Lawrence Summers a défendu l’idée selon laquelle ces économies pouvaient être aux prises avec un déficit chronique de demande globale, y compris d’investissement, conduisant à une stagnation économique suffisamment durable pour être déclarée « séculaire ».

L’hypothèse de la stagnation séculaire

L’hypothèse de la stagnation séculaire est l’affirmation selon laquelle une évolution des fondamentaux de l’épargne et de l’investissement peut entraîner un déficit pérenne de demande globale en abaissant le taux d’intérêt « naturel » (défini par Wicksell, en 1898, comme le taux d’intérêt compatible avec le plein emploi)1 en dessous de zéro. Un taux d’intérêt naturel négatif est un obstacle majeur à la reprise économique, car il compromet l’efficacité de la politique monétaire conventionnelle, compte tenu de la limite inférieure (à zéro ou effective) sur les taux d’intérêt nominaux2.

Depuis la crise financière de 2008, nombre de grandes banques centrales ont atteint leurs limites inférieures effectives sur les taux, tandis que les performances macro-économiques enregistrées dans la plupart des économies avancées se sont avérées décevantes, avec des rebonds cycliques modérés et temporaires, une inflation sous-jacente généralement inférieure à l’objectif des banques centrales et un recul tendanciel des taux d’intérêt réels – des développements qui sont venus souligner la pertinence de l’hypothèse de la stagnation séculaire pour rendre compte de la situation économique des dernières années.

Excès d’épargne sur l’investissement

On considère généralement que l'évolution du taux d'intérêt naturel est dictée par les variations des déterminants sous-jacents de l'épargne et de l’investissement. Ainsi, le fait que le taux d'intérêt naturel, et avec lui toute la gamme des taux d'intérêt, connaisse un recul tendanciel sur longue durée est perçu comme l’expression d'un excès de l'épargne désirée par rapport à l'investissement souhaité.

Les explications apportées au manque « d'appétit » pour l'investissement par rapport à « l'appétit » pour l'épargne se divisent en deux grandes catégories :

  1. La dégradation du potentiel de croissance dans les économies avancées (elle-même le fruit de toute une série de facteurs, tels que la décélération de la croissance de la population active et les faibles gains en productivité) et le recul consécutif de l’appétit pour l’investissement ;
  2. l'atonie de la demande globale et l’augmentation associée de l’appétit pour l’épargne.

Plusieurs facteurs se sont combinés au cours des décennies récentes pour augmenter la propension des agents à épargner tels que la hausse de la part du revenu national captée par les hauts revenus, les ménages à revenus élevés ayant une plus forte propension à épargner que les autres ménages, un long cycle de désendettement après la crise de 2008, l'allongement de l’espérance de vie et l’incertitude entourant les retraites, et l’accumulation de réserves de change par un certain nombre de banques centrales, principalement en Asie et en Europe.

Le choc causé par la COVID-19 aggrave le problème de l'excès d'épargne

La Grande Dépression de 2020 renforce les forces pouvant conduire à une stagnation séculaire pour au moins trois raisons : elle entraîne des pertes de potentiel de production ; elle est susceptible d’alimenter l'aversion au risque du secteur privé, les ménages et les entreprises pouvant réduire leurs dépenses afin de disposer d'un matelas d'épargne plus important en cas de crises futures ; elle donne une formidable impulsion à la transition numérique, contribuant à accroître les inégalités sociales. La stagnation séculaire peut être combattue par la dépense publique et des réformes structurelles visant à améliorer la productivité des facteurs.

NOTES

  1. Voir Marie-Hélène Duprat (2019), “Le taux d’intérêt d’équilibre de long terme », L’économie pour tous, juillet.
  2. Les taux directeurs des banques centrales ne peuvent être abaissés (substantiellement) en dessous de zéro, car les acteurs économiques ont toujours la possibilité de détenir des liquidités plutôt que des actifs à rendement négatif. La lutte contre la récession requérant une baisse substantielle des taux, le fait d’arriver à la limite inférieure (à zéro ou légèrement en-dessous de zéro) sur les taux contraint considérablement la politique monétaire.

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