Combien de temps reste-t-il aux entreprises pour s’adapter ?

par Pascal Jouxtel, associé d’Eurogroup Institute

« Soit tu prends la vague, soit elle te prend, » disent les surfers ! Qui aurait cru, il y a deux ans, à la nationalisation de General Motors ? Concernant les modèles de management, la question n’est plus « est-ce que quelque chose doit changer ? », ni même « vers quoi est-on en train de basculer ? »

La question est « combien de temps reste-t-il pour s’adapter et prendre la vague ? ».

A l’écoute des dirigeants, des Directeurs des ressources humaines et autres réseaux d’observateurs du changement, il est indiscutable que la crise impose un nouveau regard, fait éclore le non-dit et met à nu un basculement entre des pratiques dont on voudrait sortir et des pratiques que l’on voudrait voir émerger. Emergence d’autant plus ouvertement exprimée que la crise illustre chaque jour la faillite d’anciens systèmes et redonne leur crédibilité à des « agents de changement » qui, en temps de prospérité, furent réduits au silence et traités comme hurluberlus par les maîtres de la logique et du calcul.

On parle de complexité depuis le début des années 1990, annonçant que le « manager de demain » devra chevaucher le chaos et nager dans l’incertitude… Message inaudible pendant quinze ans, faute de pouvoir être relié aux situations et aux gestes quotidiens ! Depuis l’aube de ce siècle on convoque l’émotion, mais l’émotion c’est un truc de fille, tandis que peu à peu, l’idée d’attention mêlée de « soin » – caring – fait son chemin à travers les codes, d’abord pour les clients, puis pour les salariés, dans le tertiaire comme à l’usine.

Et soudain, on y est ! En quelques mois, la crise a fissuré les certitudes et ouvert, dans nos perceptions du management, une faille qui renvoie déjà les années… 2000 à la Préhistoire ! Impossibilité de prévoir, conscience de faire soi-même partie du problème, cadres et employés livrés au désengagement et au stress, solutions qui peuvent émerger de n’importe où, sauf là où on les cherche… Plus besoin de concepts : bienvenue dans un monde évidemment complexe, que toute notre puissante logique est impuissante à calculer. Bienvenue dans le nouveau monde réel.

A écouter les personnes en charge de l’évolution de la culture managériale, mais aussi, simplement, les gens autour de soi, on voit revendiquer le retour du vivant, que la machine économique maintenait à l’écart, parce qu’il était jugé imprévisible, irrationnel, autonome, sale, sensible… Or le vivant revient en force comme seule alternative au cercle vicieux de la restriction mutilante. Il nous parle au coeur simplement parce que l’enjeu est en passe de devenir la survie des structures qui nourrissent et éduquent nos enfants.

Le changement prend la forme de nombreuses bascules allant toutes dans le même sens : du tout chiffré vers un retour du verbe, de la rationalité vers l’émotion, du mécanique vers l’organique, de l’alignement des comportements vers une culture de la diversité et du risque, de l’arrogance compétitive des élites vers la cohésion souple des communautés, mais aussi du désengagement vers le réengagement, de l’outillage managérial – exosquelette niant l’être – vers la posture managériale – endosquelette qui fait grandir – et, last but not least, de la domination masculine vers un meilleur équilibre des sexes dans l’autorité.

Enfin, la vague de fond qui soulève les attendus du « management à venir » s’avère extrêmement rapide dans son déferlement, laissant peu de temps aux personnes et surtout aux organisations pour s’adapter. Faute de quoi, la souffrance et le ras-le-bol des salariés deviendront insoutenables, tandis que les disparitions de marques célèbres jalonneront tristement notre réalité quotidienne.

Changer la culture de management est un enjeu à six mois, un an tout-au-plus, pas trois ans. Refonder les valeurs à court terme, c’est impossible… et c’est obligatoire ! Au point que des PDG montent au créneau, parfois au grand dam de leur état-major, pour s’adresser à chaque salarié en direct.

Mais cela ne suffira pas sans une véritable ingénierie de la mutation culturelle. A l’impossible, nous sommes tenus.