Est-il plus facile de lutter contre l’inflation que la déflation ?

par Nadim El Khalil, Analyste chez Richelieu Gestion

Commençons par définir ce que signifient l'inflation et la déflation selon l’INSEE :

Inflation : L'inflation est la perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Elle doit être distinguée de l'augmentation du coût de la vie. La perte de valeur de la monnaie est un phénomène qui frappe l'économie nationale dans son ensemble (ménages, entreprises, etc.). L’indice des prix à la consommation (IPC) est utilisé pour évaluer l’inflation. Cet indice permet d'estimer, entre deux périodes données, la variation moyenne des prix des produits consommés par les ménages. Il est basé sur l'observation d'un panier fixe de biens et services, actualisé chaque année. Cette mesure reste partielle étant donné que l’inflation couvre un champ plus large que celui de la seule consommation des ménages.

Déflation : Diminution durable et importante des prix (opposée à inflation). Notion à ne pas confondre avec la désinflation qui est la baisse de l'inflation (baisse du taux d'accroissement du niveau moyen des prix).

Qu’est-ce que la déflation ?

Selon Ben Bernanke, ancien président de la Fed, même si les prix sectoriels ont des effets négatifs massifs sur les producteurs de ce même secteur, ils ne constituent généralement pas un problème pour l'économie dans son ensemble et ne constituent donc pas une déflation. Bernanke ajoute que "la déflation en soi ne se produit que lorsque les baisses de prix sont si généralisées que les indices de prix à large base, tels que l'indice des prix à la consommation, enregistrent des baisses continues.

La déflation est dans presque tous les cas un effet secondaire d'un effondrement de la demande globale, une baisse des dépenses si importante que les producteurs doivent réduire les prix en permanence afin de trouver des acheteurs. Une déflation suffisamment importante peut entraîner une baisse du taux d'intérêt nominal jusqu'à zéro ou très proche de zéro".

Les banques centrales prennent clairement le pari de l’inflation

Les banques centrales maintiennent leurs politiques monétaires ultra- expansionnistes tout comme elles l’ont fait lors de la crise de 2008, la crise de l'Europe souveraine en 2011 et la crise sanitaire en 2020.

Les responsables de la Fed ont assuré qu'ils continueraient à acheter au moins 120 milliards de dollars d'obligations chaque mois (80 milliards de dollars en bons du Trésor américain et 40 milliards de dollars en MBS).

Le président de la Fed, M. Powell, a réaffirmé qu'ils poursuivraient leur politique ultra-accommodante "jusqu'à ce que de nouveaux progrès substantiels soient réalisés en direction des objectifs maximums de la Commission en matière d'emploi et de stabilité des prix".

En Europe, la BCE a également mis en œuvre des efforts sans précédent pour lutter contre les effets du coronavirus depuis mars, notamment à travers un programme d'achat d'actifs de 1,850 milliards d'euros.

Les dirigeants des banques centrales n'ont cessé de prévenir leurs gouvernements qu’il serait une erreur d'accorder un soutien fiscal trop faible. Le président de la Fed, M. Powell, a même explicitement insisté sur ce point : "Un soutien trop faible conduirait à une faible reprise, créant des difficultés inutiles pour les ménages et les entreprises. En revanche, les risques d'en faire trop semblent, pour l'instant, moins importants." Même si les actions politiques s'avèrent finalement plus importantes que nécessaire, "elles ne seront pas gaspillées". La présidente de la BCE, Mme Lagarde, et d'autres grands dirigeants de banques centrales ont également rejoint M. Powell. La présidente de la BCE a encouragé les gouvernements et les banques centrales des pays développés à ne pas réagir aux premiers signes de reprise économique de la crise du coronavirus dans les mois à venir en réduisant trop rapidement les mesures de relance, même en cas d’augmentation de l’inflation.

Les dirigeants des banques centrales ont également reçu le soutien de responsables gouvernementaux qui soulignent leur insistance à maintenir cette synchronisation entre les banques centrales et les gouvernements pour stimuler l'inflation.

Il a été donc en partie décidé de relancer l’économie en augmentant drastiquement la masse monétaire afin d'entraîner une diminution du taux d'intérêt. Cette diminution est censée mener à une hausse de l'investissement et à une baisse de l'épargne, et in fine une hausse de la demande agrégée et donc de la croissance. Cependant, en dessous d'un certain taux d'intérêt, cela ne fonctionne plus : les individus préfèrent conserver de l'argent liquide plutôt que des obligations. Passé le seuil de la trappe à liquidité, l'expansion monétaire ne conduit plus qu'à l'augmentation d'une demande de monnaie pour motif de spéculation et non de transaction, et ne peut dès lors plus alimenter une relance par la consommation. La confiance du consommateur est donc un élément clef puisque c’est lui seul qui peut créer de l’inflation au final.

Mais est-ce la solution ? N’est-il pas dangereux de laisser partir l’inflation ?

La tâche principale de la BCE est de maintenir la stabilité des prix. Sur son site officiel, elle affirme clairement que le maintien de la stabilité des prix est "la meilleure contribution que les banques centrales puissent apporter à l'amélioration du bien-être individuel des citoyens". Elle précise que les prix ne doivent pas augmenter (inflation) de manière significative et qu'il faut également éviter une période de baisse continue des prix (déflation). De longues périodes d'inflation ou de déflation excessives auraient des effets pervers sur l'économie.

Il existe évidemment des raisons légitimes de se demander si nous n’allons pas avoir de forts effets inflationnistes dans les prochaines années au-delà même de la forte expansion monétaire.

En effet, le vieillissement démographique peut entrainer de l’inflation notamment due aux compensations salariales si ces dernières sont financées par des déficits budgétaires et ne sont pas accompagnées d’une augmentation de la production. Ces compensations fiscales pourraient aussi mener à la baisse de la croissance de la main d’œuvre si celle-ci n’est pas remplacée par une nouvelle main d’œuvre ou substituée par du capital physique ou une nouvelle technologie. Cela pourrait être le cas de l’Europe où la hausse du ratio de la dépendance (dépendants / actifs) peut créer un environnement inflationniste difficile à l’avenir. De plus, une hausse généralisée des prix peut également être liée à la tendance à la relocalisation et à la transition énergétique.

En outre, la principale force déflationniste actuelle très puissante et qui pourrait jouer à l’encontre du contexte inflationniste est l’excès d’épargne. Cela est le cas dans la zone euro, où le taux d'épargne des ménages a chuté de 24,6 % au deuxième trimestre à 17,3% au troisième trimestre de 2020. Malgré cette baisse considérable, il s'agit toujours de la deuxième valeur la plus élevée depuis le début de la série chronologique en 1999 et de 4,4 points de plus qu'au même trimestre de l'année précédente. En France, le taux d'épargne des ménages a atteint 20,3 % en 2020, un record depuis 40 ans. Selon l'INSEE, l'épargne des ménages a dépassé les 5,400 milliards d'euros en 2020.

Cependant l’exemple du Japon est un cas d’école qui montre que lorsqu’il y a une dynamique déflationniste avec l’excès d’épargne conduisant possiblement au développement de mécanismes infla- tionnistes (vieillissement, relocalisations, investissement dans la future transition énergétique), c’est la dynamique déflationniste avec l’excès d’épargne qui l’emporte. Il s’agit d’un message important aujourd’hui pour les États-Unis et la zone euro.

En outre, les développements digitaux provoquent des "chocs du côté de l'offre" dans de nombreux secteurs de l'économie mondiale en permettant une utilisation plus intense et plus efficace des ressources limitant le niveau de dépenses potentiellement inflationnistes. De plus, ces développements digitaux perturbent et remplacent de nombreux biens et services établis.

Pourrait-on avoir une inflation incontrôlable ?

La création débridée de liquidités constitue une inflation différée qui peut sortir de tout contrôle si la croissance ne revient pas. Elle favorise le retour des bulles spéculatives. Le point-clé est que les banques centrales ne peuvent prédire vers quelles classes d’actifs leurs injections de liquidités vont. Tant que les bulles ne touchent pas des actifs en lien à l’économie réelle (matières premières, capital productif, infrastructure etc.) ou des actifs systémiques (l’immobilier par exemple), cela peut perdurer.

Les bulles sur l’art et le bitcoin par exemple ne sont pas systémiques pour l’instant. Au-delà des problèmes d’offre, les accélérations de prix attirent des entrées spéculatives transformant des classes d’actifs spécifiques en bulles, ce qui se voit sur les prix alimentaires. Ce n’est pas seulement le sujet des pays émergents, même aux États-Unis la pauvreté alimentaire est devenue un réel problème pendant cette pandémie. L’enchevêtrement des bilans des États, des banques centrales et des banques constitue un risque systémique majeur.

Cependant les banques centrales ne peuvent atteindre leur objectif d'emploi durable que si elles réussissent à atteindre leur objectif de stabilité des prix. L'idée que nous puissions baisser notre garde sur l'inflation pour augmenter l'emploi n'est pas sage à long terme car une inflation plus élevée finit par détruire plutôt que créer des emplois. Il existe aussi le risque que ces taux d’épargnes records conduisent à une consommation excessive qui entrainerait une inflation incontrôlable quand la majorité de la population sera vaccinée.

Selon Lawrence Summers, ancien secrétaire du Trésor et président de Harvard, les 1,900 milliards de dollars sont bien plus importants que « l'écart de production » estimé, c'est-à-dire le montant par lequel la production de l'économie est inférieure au potentiel. Il va " bien au-delà de ce qui est nécessaire " pour aider les victimes de la crise Covid- 19. Summers avertit que « nous risquons une sorte de choc inflationniste". Si ce plan fiscal fait grimper l'inflation, la Fed pourrait, par maladresse, provoquer une récession en essayant de faire baisser l'inflation par des taux d'intérêt plus élevés.

Mais en fait, il existe différents modèles d’inflation. Les économistes distinguent deux grands types d’inflation : une qui est incitée par la demande et l’autre par les coûts. Selon les Keynésiens, l’inflation est due à un excès de demande par rapport à l’offre. Cependant, il existe une peur réelle que ces politiques expansionnistes monétaires et fiscales aujourd’hui n’arriveront pas à encourager l’épargnant de consommer mais que ces politiques mèneront en revanche à une hausse des coûts sans créer de la croissance. Une inflation incontrôlable qui n’aboutit pas à une hausse de la demande est un scenario effrayant mais réaliste. Cela est le cas en France lors des chocs pétroliers dans les années 70 qui a créé de la stagflation. Un véritable cauchemar pour toute banque centrale où la récession s’ajoute à une hausse des prix et des salaires.

Malgré tout, les banques centrales doivent aussi lutter contre l’inflation pour assurer une croissance pérenne.

Les jeunes économistes supposent à tort que l'inflation ne sera plus jamais un problème. L’inflation en elle-même n’est pourtant pas la solution et peut effectivement devenir un grand obstacle. Le 6 août 1979, alors que les États-Unis font face à une crise inflationniste d’ampleur, le président démocrate Jimmy Carter nomme Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale des États-Unis. Dès son arrivée à la tête de l’institution monétaire, Volcker va alors prendre une succession de décisions. La plus emblématique d’entre elles est celle du 6 octobre 1979 pour mettre un terme à cette hausse des prix incontrôlée. Après une première tentative qui va s’avérer infructueuse entre 1979 et 1980, Paul Volcker resserre son étreinte en restreignant la croissance monétaire de façon drastique, ce qui va avoir pour conséquence de propulser les taux d’intérêt américains au-delà des 20 % dans les premiers jours de 1981. La lutte contre l’inflation est restée une priorité pour la majorité des banques centrales alors que l’inflation est vaincue dès la fin des années 80. Aujourd’hui, on peut s’étonner parfois de constater une inflation inexistante ou des taux d’intérêt négatifs, alors que nous luttons contre l’inflation depuis 40 ans, et que nous continuons de lutter contre elle aujourd’hui.

C’est donc plus une crainte de hausse de taux d’intérêt qui est en ligne de mire et qui mettrait à mal les équilibres précaires au niveau des dettes !

Mais finalement la recherche de « l’inflation suffisante » n’est-elle pas perpétuelle ? On aura toujours une peur de peu d’inflation (qui aboutirait à une déflation) et une peur d’excès d’inflation.

Nous pouvons conclure que le risque d’inflation est comme la peste chez Camus « elle ne meurt ni ne disparaît jamais ».