Au coin de la rue, la récession ?

par Philippe Waechter, Directeur de la Recherche Economique de Natixis Asset Management

Le coup de frein est violent et spectaculaire. En l'espace de trois mois, les indicateurs conjoncturels de la zone euro sont passés du label "résiste bien" à celui de "coup de frein brutal". En conséquence, la question de la récession pour la zone euro ne peut plus être exclue. Le schéma que l'on peut dérouler n'est pas celui, habituel, d'une inflexion de l'activité. Il n'y a pas eu de tensions excessives susceptibles de provoquer une sorte de retour en arrière vers la tendance de long terme. Actuellement, la croissance ralentie faute de combattants et c'est une vraie différence dans l'analyse conjoncturelle lorsque l'on compare avec les Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, la dynamique du consommateur a implosé avec d'importants effets collatéraux sur le système financier. D'avoir trop voulu croître même au prix d'un endettement excessif, les Etats-Unis ont crée leur propre déséquilibre interne, via le marché de l'immobilier, et ont installé les pays émergents aux premières loges de la dynamique globale. Après avoir longtemps été le facteur d'impulsion majeur de l'activité mondiale, le consommateur américain en est devenu le maillon faible.

La zone Euro n'est pas dans cette situation. Dans le cycle actuel, le consommateur n'a jamais pris le relais des exportations et n'a jamais été le moteur de la croissance du vieux continent. C'est la particularité de ce cycle. L'accélération des exportations depuis 2005 a bien provoqué une amélioration du marché du travail. Cependant et contrairement à ce qui avait été observé à la fin des années 90, cette meilleure orientation de l'emploi n'a pas engendré une dynamique de consommation supplémentaire mais plutôt une épargne supplémentaire. Dans le cycle actuel, l'européen préfère épargner (même si son revenu progresse peu comme en Allemagne) ou acheter une maison plutôt que de consommer. Cela n'était pas bien grave tant que la dynamique des exportations restait solide, car les européens vendent beaucoup aux pays émergents. Il en résultait une impulsion spectaculaire engendrant une dynamique respectable mais pas excessive puisque malgré l'amélioration du marché du travail, la consommation ne s'est pas accélérée.

Depuis le début de l'année 2008, les consommateurs sont encore plus réticents à dépenser. Ils sont obligés d'arbitrer entre différentes dépenses après l'augmentation de l'essence, du fuel et des produits alimentaires. De plus, dans de nombreux pays, le retournement du marché immobilier se traduit par un net ralentissement des achats d'équipement de la maison. Partant pourtant d'un niveau déjà bas, la consommation a encore ralenti depuis le début de l'année. On l'a vu en France où elle a stagné, on le voit aussi sur l'ensemble de la zone Euro. Lorsqu'en avril et surtout en mai les exportations ont brutalement ralenti, la conjoncture interne n'était pas suffisamment robuste pour prendre le relais. L'effondrement des indicateurs depuis le printemps suggère que cette tendance sur les exportations s'est prolongée. C'est notamment le cas en Allemagne et en France. Outre-Rhin, la rupture observée sur l'IFO au cours des deux derniers mois ne se retrouve qu'à deux reprises depuis 1991 (la série de l'IFO prenant en compte les 2 Allemagne ne démarre qu'en 1991) La première fois c'était en novembre 1992, à la veille de la récession européenne, la seconde en octobre 2001 à la suite de la récession américaine. En France, l'indicateur des perspectives personnelles d'activité dans l'enquête de l'INSEE est passé d'une position optimiste à une position inquiète entre avril et juillet. La situation était déjà fragile en Italie mais la fragilité s'est accentuée et en Espagne le ralentissement était déjà bien marqué.

On ne peut pas exclure que l'évolution de l'activité soit stable voire négative et que l'économie de la zone Euro tutoie la récession. Ce qui pose problème dans ce schéma est que la zone Euro n'a pas donné le sentiment qu'elle était susceptible de créer sa propre croissance et d'être plus autonome dans sa dynamique cyclique. Elle n'a progressé que parce que les chinois, les polonais et d'autres ont souhaité acheter des biens d'équipement en provenance du vieux continent. C'est bien mais c'est insuffisant si en même temps les institutions en place ne sont pas suffisantes pour rassurer le consommateur, pour le rassurer sur son avenir et la stabilité de son environnement. La dynamique cyclique qui caractérise le vieux continent est ainsi devenue asymétrique et donc fragile. Le véritable enjeu européen est là : comment faire de la croissance de façon plus autonome. La stratégie de Lisbonne avait cette mission mais elle a pris du retard et le bilan est contrasté. Les gouvernements n'ont pas été aussi volontaristes que ce qui était attendu dans le schéma initial. Dès lors, les interrogations et les doutes des ménages et des entrepreneurs se multiplient, limitant ainsi la capacité de chacun à se projeter dans l'avenir, de repousser l'horizon économique. C'est sur ce point qu'il faut mettre l'accent afin de créer les conditions d'une croissance moins dépendante du reste du monde mais en phase avec lui.