Accord de Copenhague : révolution ou statu quo ?

par Carlos Joly (1), président du Comité Scientifique Climate Change de Natixis Asset Management

D'un côté, le Sommet de Copenhague (COP15) est une énorme déception : les promesses des principaux pollueurs de la planète concernant la mise en place de mesures de réduction des émissions de carbone juridiquement contraignantes et vérifiables empiriquement, n’ont pas été tenues. Mais de l’autre, il indique également la possibilité d'un "bond en avant". Un bond uniquement envisageable si les profondes préoccupations dont témoignent les principaux pays émetteurs de carbone, et leurs aspirations avouées à réduire leurs émissions, sont réellement sincères.

Il apparaît aujourd’hui clairement aux yeux de l'opinion publique mondiale que le principal problème n’est pas l’incertitude scientifique quant à la réalité du changement climatique, ou quant à la viabilité économique des actions visant à contrôler ce changement et ses impacts, mais plutôt l’existence d’une volonté politique réelle. Le principal problème réside dans la motivation à montrer la voie et dans les limites de la prise de décision au sein du système constitué par l’ONU. Le fonctionnement de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) est donc sévèrement compromis.

Un échec par rapport aux attentes

Aucune limite sur les émissions mondiales, régionales ou nationales n’a été établie pour 2020 ou même 2050. Aucun engagement international juridiquement contraignant n’a été conclu. A la place, la poursuite volontaire des actions est la seule encouragée tant au niveau national (avec la poursuite des plans de relance indien et chinois par exemple) que régional : initiatives locales comme le système d'échange de droits d’émissions de carbone de l'Union Européenne ; mesures prises par certains Etats comme la Californie qui a établi des normes d’émission pour les véhicules ou encore, exemple de la Norvège avec son soutien financier à l’Afrique en vue de l’adaptation aux impacts du changement climatique… La conférence n'a pas abouti à un accord sur des plafonds d'émissions par habitant, qui aurait permis de refléter plus justement le niveau réel des émissions historiques et actuelles(2) tout en garantissant la poursuite de l’industrialisation des économies émergentes.

De plus, aucun mécanisme de taxation des émissions de carbone ou d’échange de droits d’émissions n’a pu être mis en place à l’échelle mondiale. Les pays riches n’ont su s’engager que sur leur bonne foi, et de manière inadéquate, à payer ou financer les coûts de l'adaptation supportés par les pays pauvres. Ceux-ci sont pourtant les plus vulnérables aux dommages causés par le changement climatique sur les zones urbaines, les infrastructures, la santé publique, l'agriculture et l'industrie. Et ces dommages sont principalement attribuables aux émissions historiques des pays riches. De ce point de vue donc, rien n’a changé.

Les termes de l’accord

L’accord reconnaît qu’un réchauffement de la planète supérieur à 2°C serait catastrophique. Pour éviter cela, il a été décidé que les pays devront soumettre au CCNUCC(3), individuellement ou conjointement au plus tard le 31 janvier 2010, leurs objectifs quantifiés à l’échelle de l’ensemble de l’économie pour 2020.

La fixation de ces objectifs relève, comme on va le voir, de la décision de chaque pays et il ne s'agit pas d'objectifs d'émissions globaux fixés à l'échelle régionale ou mondiale. Ceci ressemble donc à un recul par rapport aux engagements communs établis dans le cadre du Protocole de Kyoto applicables aux pays développés, c'est-à-dire aux pays de l’Annexe I (4), voire à un abandon radical du Protocole.

Ce processus ouvre également la voie à de possibles accords bilatéraux et multilatéraux entre les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Union Européenne au sein desquels les autres pays ne seraient pas en mesure de se faire entendre ou de participer aux négociations. De ce point de vue, tout a changé.

Derrière les chiffres…

"Les actes sont plus éloquents que les paroles : la réalité se cache derrière les chiffres…"

La proposition des Etats-Unis de réduire de 17 % leurs émissions par rapport à 2005 ne représente en réalité qu’une baisse de 4 % par rapport à 1990. Cette « proposition » est d’autant plus incongrue que les émissions américaines ont augmenté de 16 % depuis 1990. 

Les Etats-Unis contribueront à hauteur de 3,6 milliards de dollars à l’adaptation des pays les plus vulnérables au changement climatique d’ici 2012. L'Union Européenne a offert 10,6 milliards de dollars et le Japon 11 milliards de dollars, tous deux sur trois ans.

La Chine a annoncé qu’elle augmentera son efficacité énergétique de sorte que ses émissions de carbone par unité de production (son « intensité carbone ») baisseront de 40 à 45 % d’ici 2020 par rapport à 2005. Cela fait suite à une amélioration de « Facteur 4 »(5) depuis ces 20 dernières années. Cette formidable amélioration, aussi importante soit elle, masque le fait que ses émissions auront doublé en 2030, en supposant le maintien d’une croissance annuelle à 7 ou 8 %.

En résumé, la proposition américaine est loin d’être équitable et appropriée au vu de l’historique de ses émissions (actuellement 20 tonnes carbone par habitant et par an) et l’objectif de la Chine semble tout aussi inadéquat, bien que passablement plus équitable (les émissions représentant actuellement en Chine 5 tonnes de carbone par habitant et par an). En effet, il faudra être en mesure de limiter la moyenne des émissions de carbone à 2 tonnes par habitant et par an d’ici 2050 au niveau mondial, afin de contenir le réchauffement climatique en dessous des + 2°C.

Un éventail d’interprétations

"La plupart des pays riches ou en développement rapide ont cherché, à travers ces discussions, à monopoliser la plus grande part d’atmosphère que possible, à s’arroger plus de droits à polluer que leurs concurrents…", G. Monbiott, The Guardian.

"La conférence a reconnu le principe de « responsabilités communes mais différenciées », déjà énoncé dans le Protocole de Kyoto. Elle a fait un pas en avant en préconisant des réductions d’émissions juridiquement contraignantes pour les pays développés et des mesures de limitation volontaire pour les pays en développement", Yang Jiechi, Ministre chinois des Affaires étrangères.

L'archevêque Desmond Tutu situe l’enjeu de cette manière : "Nous faisons face actuellement à un désastre imminent d’une ampleur titanesque… Un objectif mondial d'environ 2°C mènera l'Afrique au bûcher tout en lui interdisant l’accès à un développement moderne." [En effet, une augmentation de 2°C de la moyenne mondiale entraînera une augmentation de 3,5°C de la température moyenne en Afrique.] 

Matthew Stilwell de l'Institut for Governance and Sustainable Development considère que les négociations n’ont pas pour enjeu d’inverser le changement climatique, mais constituent plutôt une bataille rangée autour d’une ressource extrêmement précieuse : le « droit au ciel ».

"Seule une quantité limitée de carbone peut être émise dans l'atmosphère. Si les pays riches ne parviennent pas à réduire drastiquement leurs émissions, c’est qu’ils sont actuellement en train de dilapider la part déjà congrue qui devrait revenir au Sud." Ce qui est en jeu, selon Stilwell, "ce n’est rien de moins que l’importance de partager le ciel".

Le Venezuela a qualifié l'accord de « coup d'Etat » de la part des pays riches. Sergio Serra, Ambassadeur du Brésil sur les questions de changement climatique, a considéré le résultat des discussions comme étant « décevant ». Il a ajouté : "Le chemin à parcourir pour éviter un changement climatique en fixant des objectifs de réduction des émissions est long, et nous ne l’avons même pas emprunté."

Chaque jour, des solutions en vue de réduire les émissions des gaz responsables du réchauffement ont été proposées par des scientifiques, des pays en développement et des contestataires. Elles ont toutes été systématiquement refusées par les gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe.

Principale idée écartée : le Tribunal environnemental international. Les seules réductions que les chefs de gouvernement prétendent souhaiter voir émerger de Copenhague seront purement volontaires. Si un gouvernement décide de ne pas les appliquer, rien ne se passera.

Témoins de la fonte de leurs glaciers à un rythme extrêmement inquiétant, les membres de la délégation bolivienne, ont formulé leur objection. Ils ont déclaré que "si les pays ont sérieusement l’intention de réduire leurs émissions, ces réductions doivent être encadrées par un tribunal environnemental international doté d’un pouvoir pénal", J. Hari, The Independent, R.-U.

Côté français, Nicolas Sarkozy a estimé que l'accord n'était "pas parfait" mais que c'était "le meilleur accord possible". 

"Ce n'est pas un accord parfait, il n'est pas de nature à répondre à la menace climatique", a également regretté le Premier ministre suédois Fredrick Reinfelt dont le pays assure la présidence européenne jusqu'au 31 décembre.

Pour les Verts français, "le résultat est aussi désespérant que les enjeux étaient d'importance".

"La Chine et Obama sont les coupables numéro un, mais l'Europe a péché par sa désunion et son absence de leadership", a estimé Djamila Sonzogni, porte-parole des Verts.

"Les pays développés ont une fois de plus montré leur réticence à respecter les dispositions de la Convention sur le changement climatique et du Protocole de Kyoto, alors que ceux-ci sont historiquement responsables de 75 % des émissions de gaz à effet de serre".

Selon le ministre argentin des Affaires étrangères, Jorge Taiana, ce sont les pays industrialisés qui "doivent faire le plus grand effort pour fournir le financement destiné à atténuer les effets du réchauffement de la planète et l’adaptation. Or, ils se sont employés à dissoudre leurs engagements et ont déçu les pays participant à la conférence et l'opinion publique mondiale".

Copenhague ou la mort du processus UN COP ?

Copenhague signifie-t-il la mort du processus UN COP ? Oui, dans la mesure où un petit groupe de nations a négocié l'Accord à huis clos, constituant une reconnaissance de facto que les grandes nations sont réticentes à prendre des décisions consensuelles en séance plénière ou qu’une décision consensuelle est impossible, étant donné la diversité des positions et l’intransigeance de certains pays.

 Et après ?

Face à l’augmentation constatée de la fréquence et de la gravité des événements climatiques et de leurs conséquences économiques et sociales, le changement climatique restera sous les feux de la rampe médiatique et sera plus que jamais visible dans la vie de tous les jours. Face à cette prise de conscience du public, les hommes politiques et les gouvernements devront afficher des progrès dans la mise en œuvre des mesures visant à lutter contre le changement climatique à l'échelle locale. L’environnementalisation de l'économie constitue l’une des voies de relance qu’il est possible d’emprunter pour favoriser la croissance.

Entre aujourd’hui et le 31 janvier 2010, date à laquelle les pays de l’Annexe I et de l’Annexe II devront avoir présenté leurs objectifs à la CCNUCC, les négociations en coulisses vont aller bon train.

Le prochain signe concret et tangible, qui indiquera au monde ce que l’on peut attendre des gouvernements d’un point de vue réaliste, se lira dans les deux pages qui sont restées vierges dans l'Accord de Copenhague (Appendice I pour les pays développés, Appendice II pour les pays en développement). Pages dont le silence en dit bien plus long que l’accord de Copenhague en tant que tel à l’heure d’aujourd’hui(6).

NOTES

(1) Carlos Joly, Président du Comité Scientifique Climate Change, est un spécialiste de l'ISR. Co-fondateur de l’UNEP-FI, il a notamment coprésidé le groupe de travail qui a rédigé les Principes pour l'investissement responsable (PRI) de l’ONU.
(2) Les émissions par habitant aux Etats-Unis sont par exemple dix fois plus élevées qu'en Inde et cinq fois plus qu’en Chine.
(3) CCNUCC : la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (plus d’informations sur http://unfccc.int/).
(4) Consultez le texte du Protocole de Kyoto disponible sur http://unfccc.int/resource/docs/convkp/kpfrench.pdf 
(5) Facteur 4 : l'expression "Facteur 4" désigne un objectif ou engagement écologique qui consiste à diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d'un pays ou d'un continent donné, à l'échelle de temps de 40 ans (2050). Pour une majeure partie, il s'agit de diminuer fortement les consommations d’énergie fossile.
(6) Plus d’informations sur l’Accord de Copenhague : http://unfccc.int/2860.php