Une nouvelle décennie commence

par Frédéric Buzaré, responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM

Il y a dix ans, la crainte du bug de l’an 2000 était devenue une obsession générale. Au moment où retentirent les douze coups de minuit concrétisant le passage au nouveau millénaire, les avions étaient supposés tomber du ciel, les supermarchés se trouver en rupture de stock et le système bancaire s’effondrer. Dieu merci, rien de tout cela ne s’est produit même si hélas un autre effondrement était en gestation : les gens auraient été mieux inspirés de ne pas investir dans les actions car la décennie à venir allait se révéler redoutable pour les investissements en actions.

Jusqu’à présent, le rally de fin d’année se prolonge en 2010. En ce début d’année, nous espérons tous une meilleure décennie, d’autant que l’opinion générale en Europe est profondément déprimée en raison des perspectives offertes par la décennie qui s’annonce. Si, en 1999, la principale crainte populaire était le « stupide bug de l’an 2000 », 10 ans plus tard vous avez le choix entre les défis suivants : le désendettement, la menace d’une crise des retraites, le réchauffement climatique mondial…

Les pays occidentaux sont confrontés à la concurrence féroce des puissances émergentes. Le mercantilisme de la Chine constitue un problème de plus en plus préoccupant. Les occidentaux peuvent décider de se croiser les bras devant leurs systèmes de protection sociale et de retraite ou réagir avec créativité, innovation et détermination. Les évolutions technologiques au cours de la décennie écoulée sont une sorte de nouvelle révolution industrielle et les pays gagnants se doivent de l’exploiter pleinement. Les pays occidentaux doivent surmonter deux défis concomitants, étroitement liés : le maintien de la stabilité financière et l’amélioration continue de leur croissance durable.

En 2010, la situation macroéconomique devrait évoluer et permettre de concrétiser les espoirs de reprise en une reprise réelle alors que le financement du risque souverain sera certainement le risque principal. Il est de plus en plus probable que la reprise économique s’avère plus forte qu’attendu ; avec pour corollaire une tension sur le marché des obligations souveraines. Les investisseurs continuent à sous-estimer les boucles de rétroaction favorables qui sont à l’œuvre lors des reprises. Les indicateurs avancés continuent de surprendre à la hausse. L’indice « headline manufacturing » a progressé à 55,9 en décembre, son plus haut niveau depuis avril 2006. Les derniers semaines de 2009 sont peut-être un bon aperçu de ce que 2010 pourrait être : une combinaison d’indicateurs avancés meilleurs qu’attendu, mais soumis à des tensions ainsi qu’à des craintes liées à la stratégie de sortie de crise. Les actions ont jusqu’à présent bénéficié d’un contexte idéal du fait que les taux obligataires n’ont pas réagi à un ensemble étonnant d’indicateurs avancés.

Habituellement, lorsque l’indicateur avancé est aussi fort qu’actuellement, les taux obligataires sont nettement plus élevés.

Les actions abordent une phase de transition difficile et cruciale. L’intensité maximale des plans de relance commence à décliner alors que les investisseurs peuvent désormais se focaliser sur le problème de la sortie de crise. La question de la dette publique pourrait assombrir pendant un certain temps une reprise durable des profits.

Les risques sont nombreux en 2010 : dégradation de la qualité du risque souverain, stratégies de sortie de crise, dollar américain, régulation, politique… En règle générale, une hausse des taux obligataires est concomitante à un renforcement de la croissance et par conséquent à une révision à la hausse des bénéfices. Les bénéfices vont progresser l’an prochain et nous ne craignons pas l’occurrence d’un double creux en 2010. Les bénéfices vont même continuer à surprendre positivement. Les multiples des actions sont suffisamment bas pour résister à une hausse des taux obligataires jusqu’à un certain niveau. L’incertitude concerne précisément la façon dont les investisseurs vont pondérer les éléments négatifs et positifs. Vont-ils se focaliser en premier lieu sur les surprises positives associées à la reprise économique (révision à la hausse des bénéfices) ou sur l’aspect négatif d’un renforcement de la croissance (une hausse du taux directeur) ? L’analyse classique opte pour un démarrage en fanfare du marché des actions en 2010 avant un retournement au cours du second semestre.

Paradoxalement, une reprise plus forte qu’attendu créerait temporairement un vent favorable aux marchés des actions. Le processus reflationniste a un prix. Nous ne sommes pas tant soucieux de la sortie des dispositifs extraordinaires de stimulation de la politique monétaire et de leur effet possible sur les taux d’intérêt, que du manque de volonté des pouvoirs publics de traiter le problème des déficits publics de façon disciplinée. Si les investisseurs obligataires ont tendance à se montrer optimistes quand les choses se dégradent, ils ont tendance à se réveiller quand elles s’améliorent. Les taux obligataires et le dollar américain ont commencé à se redresser légèrement dans un contexte de solide NFP début décembre. Nous avons constaté récemment que les marchés obligataires jouent leur rôle d’ajustement en cas de manque de volonté politique d’agir sérieusement. Nous nous demandons si en 2010 les marchés financiers vont sévir contre une autre série de pays, particulièrement le Royaume-Uni.

On continue à être obnubilé par, d’un côté, le surendettement du consommateur américain malgré des indices de redressement de la demande de crédit du secteur privé (comme nous le verrons un peu plus loin), et de l’autre, par l’idée que l’avenir appartient au monde émergent (à la Chine en particulier). S’il est encore trop tôt pour parler d’une bulle sur les actifs émergents, sa formation est en cours. Un scénario fondamental à long terme sous-jacent et un important aspect financier lié à la politique monétaire des États-Unis ne devraient pas passer inaperçus. Le cycle émergent ne sera pas menacé tant que les investisseurs restent convaincus que les principales économies mondiales ne sont pas encore prêtes à mettre en place une politique de sortie de crise. Deux facteurs sont déterminants pour évaluer ce risque : l’amélioration rapide des conditions du marché de l’emploi et la reprise de la demande de crédit dans le secteur privé. La dernière série de chiffres publiés montre des signes d’amélioration sur ces deux fronts.

Nous avons mentionné le mois dernier les problèmes de corrélation entre les obligations, les matières premières, les devises et les actions. Le fait que les actions peuvent progresser malgré un affaiblissement continuel du dollar américain et malgré un renchérissement constant des matières premières constitue un élément de consolation.

Le dollar américain a rebondi en décembre après avoir atteint un plus bas historique depuis 40 ans. Même s’il peut ne s’agir que d’un court répit après une période de faiblesse prolongée, nous trouvons intéressant d’insister sur le contexte de ce revirement. Le dollar a touché le fonds dans un contexte de statistiques de l’emploi non agricole meilleures qu’attendu. Une opinion baissière sur la devise américaine se fonde sur l’idée que l’économie des États-Unis est incapable de se redresser durablement. Le rapport sur l’emploi de novembre a marqué la fin de l’ajustement à la baisse des anticipations sur le dollar. Le marché de l’emploi s’améliore et les enquêtes sur la consommation suggèrent que les ménages commencent à en prendre conscience. Il existe encore une marge de manœuvre concernant le consensus sur les prévisions de croissance pour 2010 aux États-Unis et dans la zone euro. 

L’année 2009 s’est révélée être un parfait “copié-collé” de 2003. L’année 2010 sera-t-elle la réplique de 2004, année positive mais également très chaotique pour les actions ?

Macro et profits

Le passé semble avoir démontré que l’ISM soit la seule chose qui compte. Il apparaît en effet que les actions ont touché le fonds peu après l’ISM, et que la performance sectorielle relative de l’ISM a suivi le modèle historique tout au long de ce cycle.

Par conséquent, il est important de considérer l’ISM comme un indicateur avancé de toute déception à venir. On pourrait soutenir que cet indicateur n’est pas représentatif des perspectives économiques plus larges et qu’il ne fait que corriger une phase spectaculaire de déstockage et une chute en volume du commerce mondial. Cependant, l’ISM, augure pertinent de la croissance des bénéfices au cours de ces 20 dernières années (cf. ci-dessous), peut aussi aider à prédire les bénéfices.

Les évolutions de l’ISM suggèrent qu’une croissance à deux chiffres des bénéfices pour 2010 est une perspective vraisemblable. Nous estimons que les révisions à la hausse des bénéfices vont continuer à se multiplier et que les analystes ont un temps de retard, attachant trop d’importance aux entreprises qui accusent elles-mêmes un certain retard. Nous pensons également que des surprises positives peuvent se manifester au niveau des chiffres d’affaires. Les entreprises vont subir des pressions accrues pour investir, particulièrement dans le sillage d’une pression chinoise croissante.

La corrélation entre marchés émergents et dollar

2009 a été une année de faiblesse pour la monnaie américaine ; les marchés émergents monopolisant toute l’attention pour le moment. C’est pourquoi, il est important de les observer tous deux. Historiquement, il y a eu une corrélation inversée entre la performance des marchés émergents et la devise américaine.

Cette fois-ci, plus que jamais, les marchés émergents ont progressé de façon explosive dans un contexte d’affaiblissement du dollar, suggérant ainsi qu’emprunter en dollars américains pour acheter des actions des marchés émergents est devenu une pratique banale. Cette évolution prépare potentiellement le terrain à une inversion de tendance à la fois pour le dollar et pour les actions des marchés émergents. Nous sommes las de répéter qu’un dollar en baisse n’est pas, en lui-même, durable ou autodestructeur. Le niveau atteint fin novembre constitue peut-être le point d’inflexion.

Suivi du risque souverain

Nous avons mentionné pour la première fois le problème du risque souverain il y a trois mois. On voit trop souvent le problème grec comme le début d’un effet domino ou le signe avant-coureur d’un défaut de paiement. Il est intéressant de souligner que les spreads sur d’autres risques souverains européens ne se sont pas élargis autant que cela. L’Irlande et la Grèce, bien que considérées comme passagers du même bateau, sont en réalité deux cas différents. Il s’agit d’un problème de crédibilité – qui doit être tarifé correctement – plus qu’un problème de risque souverain. Les spreads sur obligations d’État ont été réajustés en conséquence. Alors que la Grèce a de toute évidence fait très peu de choses au cours de ces deux dernières années pour traiter ses problèmes budgétaires, l’Irlande est en pleine cure d’austérité. De plus, si le Portugal a dû supporter une pression déflationniste quasiment depuis le premier jour de son entrée dans l’euro, la Grèce a bénéficié des avantages de son adhésion à l’Union Européenne tout en n’en subissant que très peu les inconvénients. La Grèce n’est en aucun cas un nouveau Lehman potentiel. L’Union Européenne ne la laissera pas tomber, particulièrement du fait que les obligations grecques sont principalement détenues par les banques européennes. Tout au moins, la crédibilité ne peut être considérée comme acquise. La Grèce s’est retrouvée dans l’œil du cyclone, sa population n’étant pas préparée à l’austérité, ce qui signifie que les marchés financiers ont dû faire le travail nécessaire et contraindre le pays à accepter des mesures difficiles, ce qu’il a fini par faire. Il pouvait être plus facile politiquement pour l’actuel gouvernement de se voir imposer l’austérité de l’extérieur plutôt que de l’intérieur.

La situation du Royaume-Uni nous inquiète davantage. Le problème du risque souverain, plus que tout autre, pourrait donner un coup d’arrêt prématuré au contexte idéal dont bénéficient les actions. Il pourrait déclencher de la volatilité très prochainement mais, paradoxalement, pourrait aussi favoriser l’extension d’une politique monétaire laxiste. Tout compte fait, la menace de la dette publique empêche les investisseurs de miser à l’aveuglette sur une reprise économique classique. Celle-ci ne devrait pas faire dérailler la reprise des actions mais créer de la volatilité, c'est-à-dire des opportunités. Concernant les actions, nous sommes enclins à de nouveaux paris géographiques pour miser sur la crainte du risque souverain et à favoriser ainsi les sociétés diversifiées mondialement aux dépens des acteurs purement domestiques.

La demande de crédit

En 2010, les marchés financiers pourraient se remémorer l’un ou l’autre des principes économiques traditionnels, par exemple celui de l’effet d’éviction. La reprise économique introduit une plus grande concurrence entre agents économiques pour ce qui concerne l’emprunt. Jusqu’à présent cependant, un élément clé fait défaut : la demande de crédit émanant des agents privés a été suffisamment anémique pour éviter ce risque, ceci pourrait changer en 2010.

L’un des premiers rôles du crédit industriel et commercial (I&C) est de financer les stocks. La chute des stocks pourrait, jusqu’à un certain point, être due au resserrement du crédit ; elle est aussi due aux fortes récessions qui ont provoqué d’importantes réductions de stocks. Par conséquent, la demande de crédit pour le financement des stocks a également reculé. Ceci pourrait suggérer, aussi longtemps que les stocks continuent à se contracter, que la demande de crédit des entreprises restera faible. Dans la mesure où les stocks augmentent, nous avons le sentiment que la demande de prêts I&C va s’améliorer et que la croissance de prêts I&C va reprendre.

L’écart entre commandes et stocks est en train de s’accroître. En d’autres termes, les commandes progressent plus rapidement que les stocks, ce qui implique que, très prochainement, la production devra augmenter. Les premières indications postérieures au Black Friday sont plutôt encourageantes. Une fois de plus, tous les yeux devraient désormais se tourner vers la croissance des revenus du travail, qui ont aussi commencé à montrer quelques signes de vie. L’amélioration de la consommation et des conditions de crédit en Amérique du Nord devrait renforcer le dollar.