Chine : 6,9

Par Sylvain Laclias, Economiste au Crédit Agricole

S’il était question de tension, elle serait faible, mais il s’agit de la croissance sur un an du PIB au premier trimestre, 6,9%. Une performance au-dessus du consensus, en légère hausse par rapport au trimestre précédent et (toujours) élevée en comparai- son aux standards mondiaux.

Mais cette performance est en grande partie sous-tendue par la vigueur du marché de l’immobilier. Or, celui-ci, jusqu’à présent résistant, pourrait commencer à accuser un peu plus le coup face aux mesures prises depuis plusieurs mois par les dirigeants chinois pour contrecarrer le risque de surchauffe.

En outre, la dette a continué d’augmenter, et ce, en partie par le biais de montages financiers opaques et risqués… que les autorités monétaires compétentes semblent toutefois vouloir stopper avec plus de fermeté. Bref, la performance de croissance au premier trimestre reste fragile et difficilement soutenable.

Par ailleurs, la récente rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping a permis de détendre l’atmosphère entre les deux premières puissances mondiales. Mais tout reste à faire, notamment sur le plan commercial, et l’entente trouvée entre les deux hommes paraît, elle aussi, bien précaire.

Accélération

La production industrielle a progressé de 7,6% sur un an en mars, soit de 1 point de pourcentage de plus que le mois d’avant. La barre des 7% n’avait plus été franchie depuis janvier 2015. Les ventes au détail, pour leur part, ont augmenté de 11% le mois dernier, contre une hausse de 9,5% en février. C’est là un plus haut depuis décembre 2015. Quant à l’investissement, il a crû de 9,2% en mars, toujours en variation sur un an, après avoir enregistré une progression de 8,9% un mois plus tôt.

Côté immobilier résidentiel, on trouve des trajectoires comparables s’agissant des nouvelles constructions (mises en chantier) et de l’investissement. Les premières ont augmenté de 18,1% en mars, le second de 9,1%, contre des hausses respectives de 14,8% et de 8,9% en février. En revanche, les ventes ont marqué le pas, et assez nettement, en affichant une progression de 16,9% le mois dernier, soit de presque sept points de pourcentage de moins que le mois d’avant.

Quoi qu’il en soit, dans ce contexte, la croissance du PIB s’est légèrement accélérée au premier trimestre, à 6,9% en variation sur un an, comparé à 6,8% pour le quatrième trimestre de 2016. C’est au-dessus du consensus qui tablait sur une croissance stable. Et c’est un plus haut depuis le troisième trimestre 2015. La consommation, des ménages et publique, a été le principal contributeur à cette performance, en apportant 5,3 points de pourcentage à la croissance contre 4,3 le trimestre précédent. L’investissement, quant à lui, a joué un rôle moins important, en contribuant pour 1,3 point de pourcentage à la croissance, soit 1,5 de moins qu’au dernier trimestre de 2016. Quant à la demande externe nette, elle a participé à la croissance à hauteur de 0,3 point de pourcentage, lorsque sa contribution avait été négative le trimestre d’avant.

Abus de dette…

Deux points, au moins, méritent d’être soulignés. D’abord, l’immobilier a joué un rôle clé dans ce regain de vigueur de l’économie chinoise. Cependant, les mesures prises depuis un an (et renforcées récemment) par les dirigeants chinois pour calmer ce marché et apaiser le risque de surchauffe sembleraient commencer à produire un peu plus leurs effets. Les ventes immobilières sont reparties à la baisse en mars, et, si ce mouvement se poursuit, comme le laisse entrevoir la dynamique des crédits hypothécaires depuis le début de l’année, les nouvelles constructions et l’investissement dans le secteur devraient suivre. Le fait est qu’il y a une divergence de trajectoire croissante et difficilement tenable longtemps entre cette première variable, de demande, et les deux autres, d’offre.

Ensuite, parallèlement, la dette domestique a gonflé de 3,7 points de pourcentage de PIB, pour s’établir à 213,3% du PIB fin mars (contre 209,6% du PIB fin 2016). Cette hausse, en outre, est en partie passée par des circuits peu transparents et donc a priori plus risqués.

Il faut encore ajouter que si la problématique d’endettement est surtout aiguë du côté des entreprises et des collectivités locales, l’endettement des ménages commence à retenir l’attention. Il a augmenté de près de dix points de pourcen- tage de PIB au cours des deux dernières années, pour s’élever à présent à 45,6% du PIB.

… et début de traitement ?

Autrement dit, la performance de l’économie chinoise au premier trimestre risque de ne pas être renouvelée. La croissance pourrait être inférieure sur les trimestres à venir et demeure fragile dans l’ensemble.

Même s’il faut encore noter, et mettre du côté positif cette fois, les mesures annoncées par la PBoC (la Banque centrale) et la CBRC (l’organisme de régulation et de supervision du système bancaire) au cours des dernières semaines pour endiguer le développement des wealth managment products (WMP) et limiter et mieux contrôler les risques liés (d’ordre systémique). C’est un pas délicat, car les petites banques et les institutions financières, ainsi que les entreprises très endettées qui se refinancent par le biais de ces WMP pourraient rencontrer des difficultés de refinancement avec des effets en chaîne. Mais c’est un pas non négligeable vers l’assainissement du système. A condition, bien entendu, que ces mesures soient menées jusqu’au bout et appliquées convenablement. Ce n’est pas acquis. Tout comme l’issue aux tensions entre Washington et Pékin entrevue ces dernières semaines reste entourée de beaucoup d’incertitude…

Un moment cordial

Donald Trump a reçu son homologue chinois, Xi Jinping à Mar-a-Lago, la propriété du président américain en Floride. C’était début avril. La première rencontre au sommet entre les leaders des deux premières puissances économiques mondiales. Au programme des discussions figuraient la Corée du Nord, la mer de Chine, Taïwan, la cybersécurité, le déficit commercial américain avec la Chine, les investissements (de l’un chez l’autre et inversement) et d’autres sujets encore.

Que tirer de cet événement ? D'abord, D. Trump s’est montré ouvert et conciliant avec son hôte. Une attitude assez éloignée des postures et des démonstrations de force affichées durant la campagne lorsqu’il s’agissait de dénoncer la Chine et tout le mal qu’elle fait aux travailleurs américains en leur volant leur emploi (pour reprendre en substance les propos d’alors du président américain). Pékin, de son coté, a exprimé sa volonté d'éviter toute confrontation, notamment sur les questions commerciales en offrant quelques concessions, comme faciliter les investissements américains dans les secteurs de la finance et de l’assurance ou ouvrir plus largement le marché chinois au bœuf américain. Bref, un moment cordial. Les deux hommes ont même terminé leur rencontre par une balade à pied dans le parc de la propriété de Trump. Et s'il s'agissait de part et d'autre de trouver le bon ton pour établir les bases d’un dialogue constructif, cette rencontre est de ce point de vue plutôt réussie.

Mais Trump et Xi n'ont fait que poser chacun des sujets évoqués plus haut, affirmant leur volonté commune d'aller de l'avant et de concert sur chacun d'eux, de coopérer plus étroitement, mais sans entrer dans les problématiques y afférant, multiples et souvent aiguës, sans entrer dans les détails et les sujets susceptibles de froisser. Tout reste à faire. Et si elle est porteuse d’espoir, la bonne entente sino-américaine naissante demeure finalement fragile, et déjà soumise à sa première épreuve, la question nord-coréenne.

Sur le plan commercial, les deux pays se sont accordé cent jours pour poursuivre des discussions visant à réduire le déficit des États- Unis avec la Chine. Cent jours qui commencent plutôt bien. Le président américain a déclaré courant avril que la Chine ne manipulait pas sa monnaie, prenant le contrepied de ce qu'il affirmait jusqu’à il y a encore peu. Du coup, le yuan n’a pas été inscrit sur la liste des devises volontairement sous-évaluées (actualisée bi-annuellement) remise par le Trésor quelques jours plus tard. Cela devrait faciliter les tractations commerciales à venir et encore profiter à très court terme à la monnaie chinoise contre le dollar. Mais cent jours d’ici lesquels le risque de guerre commerciale entre les deux poids lourds de l’économie mondiale reste entier ou presque. Et après, on verra…

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