Les pratiques de pilotage de projet offshore en Inde

Par Jean-Marie Barret, Directeur de Projet Offshore chez Logica France.

Les entreprises Françaises s’orientent significativement vers l’offshore des services informatiques depuis cinq ans. Au moins s’agit-il d’une option lors de tout renouvellement de marché ; plus ostensiblement l’exigence d’offshorisation constitue l’objet même de nouveaux marchés.

Parallèlement, les SSII leader en Europe optent pour une stratégie de croissance ciblant le développement de leurs centres « low cost » et le déploiement de forces commerciales dédiées. 

Sur le plan des opérations, DSI (Direction des systèmes d’information) et SSII ont dû s’adapter pour garantir le « cost efficency » offshore tout en préservant les niveaux de services élevés atteints après 20 années de Tierce Maintenance Applicative. Cette adaptation se traduit notamment par une distribution des services sur un mix de localisations : une localisation France (inshore) en charge du pilotage des services avec les DSI ainsi que des activités nécessitant des interactions avec les branches métiers de l’entreprise et une localisation offshore, pour délivrer les services ne nécessitant pas de proximité avec l’entreprise.

Alors quelles sont pour ces SSII les pratiques de pilotage et de production sur de tels projets, notamment en Inde ? Tour d’horizon des récents retours d’expérience.

3 clés pour l’eldorado Indien Premiers constats, non spécifiques aux métiers de l’IT (Technologies de l’information) : l’Indien s’exprime en anglais, vit à 7000 kilomètres de la France dans un pays de culture asiatique. Il est primordial d’en tenir compte avant d’envisager toute collaboration franco-indienne. 

Quel collaborateur français intervenant sur un projet offshore n’a jamais eu à faire avec le fameux « I will try » de son homologue indien, manière polie pour ce dernier d’exprimer son incapacité à répondre à une demande ? Plus redoutable, l’opposition de style « guilty versus face ». En effet, si « la recherche du coupable » est en France une pratique courante du management de la performance, elle devient contre-productive avec les Indiens pour lesquels sauver la face est essentiel.

Ainsi, instaurer une relation efficace et pérenne entre équipes mixtes nécessite la plus grande attention de sujet « cross cultural ». Des stages dédiés fleurissent aujourd’hui dans les catalogues de formation, mais au-delà d’une première sensibilisation, créer de la proximité et allouer du temps aux relations inter-équipes s’imposent comme un investissement incontournable. 

Autre obstacle majeur pour nous Français : la langue anglaise. Les difficultés résident à deux niveaux : la communication – orale et écrite – avec l’Inde mais aussi la présence du français dans les produits délivrés. Tant pour les clients que leurs prestataires, l’usage de l’anglais n’est plus un choix mais une obligation pour communiquer. L’anglais devient ainsi une compétence aussi essentielle que la gestion de projet ou la maîtrise d’une technologie en particulier. Du point de vue de la documentation et des produits, le sujet reste très sensible. L’activité de traduction est désormais identifiée en tant que tel, des solutions variées – du cabinet de traduction aux outils spécialisées – existent ; néanmoins, les processus de traduction sont délicats à organiser car encore très spécifiques à chaque contexte projet.

Le travail à distance représente la troisième difficulté à surpasser. Il concerne l’infrastructure nécessaire au partage des environnements de production entre le client et son prestataire multi-sites ainsi que les processus de travail à distance. Sur le premier point, les DSI Client s’appuient désormais sur des solutions de connectivité industrielles proposées par les SSII. Il subsiste néanmoins une difficulté quant au délai nécessaire pour adapter le standard au besoin de l’entreprise. En matière de « virtual working » le sujet apparait plus délicat. Pléthore de solutions existe dans ce domaine: visio conférence, messagerie instantanée, wiki… Encore faut-il faire le choix des solutions ad hoc et surtout d’en normer les usages.

Exécution des processus versus Management de la performance 
CMMi, ITIL, BS7799, ISO, Six Sigma, … Dans le domaine des services IT, les centres offshore sont avant tout bardés de certifications. Quoi de plus logique pour répondre à la nécessité des entreprises d’homogénéiser, de rationaliser et d’industrialiser leur systèmes d’information.
Cependant, lorsque que les entreprises et leurs prestataires historiques s’initient à l’offshore, l’infaillible adage « process is process » prend tout son sens opérationnellement et devient l’objet des plus grandes craintes. Analyse et explication. 
Quelques soit le référentiel de normes retenu, un projet offshore requiert des processus à tous niveaux afin de répondre à des exigences déterminées ainsi qu’à mesurer la pertinence des ces réponses.

 

Domaine
Exigences
Principaux Processus
Contractuel
Performance économique
Contrôle et mesure
Amélioration continue
Management de la production
Performance du modèle de production Client-Prestataire
Gestion de l’activité: portefeuille d’activités et plan de production
Management des services
Performance des services maintenance et projet
Gestion du SLA (*) et des engagements Clients
Management des opérations
Réussite des opérations et assurance qualité
Ensemble des processus de gestion des opérations définis et maîtrisés

 

(*) SLA : service level agreement, c'est-à-dire niveaux de services contractuels

Assurer de la visibilité au prestataire, garantir la consistance et la stabilité des besoins, respecter rigoureusement les processus… tels sont les sujets sur lesquels les entreprises craignent les plus grandes difficultés. Car celles-ci l’auront compris : le temps où le prestataire flexible et agile œuvrait dans ses murs est révolu et c’est au tour de l’entreprise de s’adapter aux méthodes de l’offshore. 
C’est aussi la raison pour laquelle une démarche adaptée est mise en œuvre pour le lancement des projets offshore. 
Lorsqu’un prestataire est retenu suite à consultation, une première étape appelée « Due Diligence » aura pour objet de confronter les hypothèses retenues en avant-vente à la situation « réelle » du terrain. Cette étape aura pour finalités de figer le périmètre de référence, d’ajuster la proposition technique et financière et de préciser le planning de la seconde étape : la phase de transition. 
La phase de transition est véritablement le baptême du feu opérationnel. Il s’agira de mener le chantier de prise ou « transfert de connaissance » entre les équipes Client et Prestataire, mais surtout de mettre en place le nouveau modèle de production. Ce dernier chantier nommé « transformation » nécessite de la conduite du changement afin de définir la gouvernance du projet au travers du modèle de production et, des instances de pilotage, responsabilités et processus associés.

D’un point de vue strictement interne chez le prestataire, il est à retenir que le mix de localisations pour des services distribués requiert lui aussi un effort important de mise en œuvre : là encore prévalent les processus et les indicateurs. Les conditions contractuelles en matière d’engagements sont également finement déclinées aux travers du mix de localisation, et en particulier le SLA. 

Cependant, la certification CMMI, même à son plus haut niveau (level 5), ne garantit pas la réussite d'un contrat offshore. En effet, le poids des engagements, historiquement portés par les restataires dans l’Hexagone devra se déplacer progressivement vers l’offshore pour garantir la meilleure performance économique. Il s’agira avant tout pour le Prestataire d’amener ses managers offshore à appréhender les enjeux du client pour une plus grande prise de responsabilités et ainsi de pousser le modèle à maturation. Pour ce faire, impliquer les managers offshore dans les instances de pilotage ainsi que travailler les plans de progrès « as a single team » doit être envisagé dès le lancement du projet : appréhender le poids des engagements, gérer l’industrialisation des processus Client-Prestataire et intégrer la courbe d’apprentissage des équipes indiennes sont les leviers d’amélioration des projets offshore.