Immobilier commercial aux Etats-Unis : le risque d’une nouvelle chute

par Inna Mufteeva et Thomas Julien, économistes chez Natixis

Avec la baisse continue des prix de l’immobilier commercial et en corollaire de la valeur des collatéraux, ce secteur ne cesse de se dégrader. De plus, les difficultés liées au refinancement et à la forte hausse des arriérés de paiement et des défauts contribuent également à déprimer les prix.

Dans ce contexte une seule stratégie est disponible pour les banques, qui, n’étant pas obligées de revaloriser les collatéraux et de réestimer les risques, gardent leur pratique de «extend and pretend ». Cela ne peut pas se poursuivre indéfiniment et il est très probable que les banques subiront à nouveau des pertes sur ces dettes en 2010.

Avec une baisse d’environ 40% des prix dans l’immobilier commercial depuis leur point haut en 2007, nous pouvons attendre une nouvelle vague de resserrement des conditions d’octroi de crédit et une hausse de l’aversion pour le risque provoquée par une nouvelle perte de confiance dans le système bancaire.

Les banques commerciales américaines de petite et moyenne taille doivent s’attendre en 2010 à une autre mauvaise année, marquée par une nouvelle hausse des pertes sur les crédits. Cette fois-ci les craintes se concentrent sur le marché de l’immobilier commercial, en effet, l’ensemble des dettes détenues dans le bilan des banques s’élève à 1,8 trillion$. Selon les différentes estimations : environ 500Md$ de ces dettes arrive à échéance chaque année, ce qui implique un montant de prêt non-performants potentiellement élevé sur les deux années à venir.

En effet, le marché immobilier commercial a commencé à se dégrader beaucoup plus tard que le marché résidentiel. Si ce dernier a déjà montré de nombreux signes de reprise, les pertes potentielles sur les dettes de l’immobilier commercial peuvent s’avérer importantes.

Aucun signe d’amélioration

S’étant effondré plus tard que le marché résidentiel, le marché de l’immobilier commercial n’a pas encore atteint son point bas et nous ne l’anticipons qu’en 2011. Le secteur est fortement lié au marché du travail (occupation des bureaux par exemple), qui détermine la demande de biens immobilier. Même si la création d’emplois est attendue pour les mois à venir, elle ne sera toutefois pas suffisante pour faire baisser le taux de chômage avant début 2011. Cette situation délicate aura pour effet de comprimer la demande. Actuellement le marché immobilier des bureaux, des centres commerciaux, des industries, des hôtels et le marché locatif des appartements font état d’un recul marqué du taux d’occupation (taux de vacance en hausse), d’une augmentation des stocks et d’une absorption insuffisante des nouvelles offres (sauf pour les appartements).

Par conséquent, les prix de l’immobilier commercial diminuent dans tous les secteurs, conduisant à une baisse mécanique de la valeur des collatéraux et accroissant de fait les difficultés des promoteurs immobiliers dans le refinancement de leurs dettes.

On observe donc une spirale où les défauts s’auto-entretiennent par une baisse des prix. De plus, les arriérés de paiement ainsi que les défauts ne cessent d’augmenter et le pire pourrait encore être devant nous.

L’endettement et les difficultésliées au refinancement aggravent la situation

En effet, l’endettement était toujours la source principale du financement des projets de l’immobilier commercial : la dette constitue 78,3% du bilan des fonds dédiés au secteur, la dette privée et la dette publique formant respectivement 56,5% et 21,8%. Cependant la situation sur le marché de la dette reste très contraignante, les promoteurs immobiliers étant toujours fortement endettés.

 La dette publique : marché des CMBS

Les émissions de CMBS (Commercial mortgage-backed securities) qui ont constitué environ 17% en 2009 ont fortement chuté et la qualité des titres déjà émis se dégrade, freinant le redressement du marché. En effet, les standards de titrisation ont été fortement détendus en 2006-2007, les valorisations des projets se basaient sur l’hypothèse irréaliste d’une hausse continue des prix de l’immobilier commercial. De plus, la complexité des produits dérivés créés (à la base de dettes mal allouées) a empêché de mesurer à leur juste valeur les risques implicites. Le « vintage » de 2007 s’est avéré être le plus « toxique », avec les trois quarts des dettes en risque de défaut, selon les estimations des spécialistes du marché1.

Dès le début de la crise financière la valeur des CMBS sur le marché a divergé fortement de sa valeur nominale à la date de l’émission.

Par ailleurs, le « downgrading » agressif des agences de notation, a fortement contribué à faire baisser le montant des prêts de qualité AAA, conduisant d’un autre côté à accroître mécaniquement la part des prêts de qualité inférieure.

En termes de coûts de financement, seul les spreads de CMBS de meilleure qualité (AAA) se sont redressés au cours de l’année 2009, et ce, en raison de la baisse de l’aversion pour le risque des investisseurs et l’annonce par la Fed de l’éligibilité des CMBS AAA pour le TALF.

Cependant les spreads des CMBS de qualité AA à BBB (toujours dans la catégorie investment grade) commencent tout juste à se contracter.

Puisque le financement des projets par l’endettement, ainsi que le refinancement de la dette existante sont devenus presque impossibles, la demande de capital s’est fortement accrue sur le marché. C’est pourquoi, les REITs sont les seuls à s’être vraiment repris : ayant plus de « cash », ils sont moins exposés aux risques de crédit. Par ailleurs, ils sont traditionnellement plus prudents dans leur choix et dans la valorisation des projets d’investissement.

Ainsi, le secteur n’est pas complètement gelé mais évolue vers plus de transparence et de simplicité, avec en parallèle une moindre utilisation du levier.

Les investisseurs avec du « cash » sont les plus privilégiés ainsi que les projets dans les secteurs les moins risqués. Par exemple : la construction de bureaux à Washington DC, où les fonctionnaires assurent un taux élevé d’occupation.

La dette privée : l’exposition des banques de petite et moyenne taille

Même si la titrisation a joué un rôle particulièrement important dans l’expansion du secteur, 45% du financement était obtenu sous forme de crédits privés non-titrisés, par des banques commerciales et des caisses d’épargne, qui ont accumulé environ $1,8 trillion des dettes en immobilier commercial dans leur bilans.

Les banques régionales qui ont des liens étroits avec les collectivités et les promoteurs locaux ont octroyé la plupart de ces crédits. Si la moyenne nationale de ces prêts s’élève à 8,3% des actifs, selon les données du FDIC, les banques de taille moyenne (avec un bilan compris entre 300M et 1Md$) sont fortement exposées à ce type des prêts (de l’ordre de 22-23% de leurs bilan et de 33% des prêts totaux).

Selon le FDIC près de 1000 petites banques commerciales détiennent plus de 30% de leur bilan dans le secteur de l’immobilier commercial. Cependant, il est difficile d’estimer une vraie exposition aux risques de ces banques. En effet, elles ne sont pas obligées de revaloriser les actifs à leur valeur de marché. Dès lors, il est difficile de se faire une idée concrète sur les potentielles divergences qui pourraient exister, entre la valeur des prêts et la valeur des collatéraux qui les garantissent.

De plus, la plupart des banques ont recourt à la stratégie « extend and pretend » : ce qui signifie qu’elles offrent un délai supplémentaire de remboursement aux emprunteurs en difficulté, reportant ainsi le défaut probable des agents dans le futur.

Conclusion

Au final, dans un contexte où la situation de l’immobilier commercial se dégrade continuellement et où les prix baissent, nous nous attendons à une hausse marquée des défauts en 2010, ce qui aurait pour effet une nouvelle détérioration de la qualité du bilan des banques.

En conséquence, il ne serait pas surprenant d’observer une autre vague de crise dans le secteur bancaire, d’autant plus accentuée que l’opacité sur l’exposition des banques et le risque de défaut des projets sont grands.

Il faut tout de même relativiser, puisque le montant des prêts dans l’immobilier commercial est nettement moindre que celui de l’immobilier résidentiel, suggérant une moindre ampleur des conséquences de la correction du marché.

Une fois ce processus d’assainissement du bilan des banques terminé, ce secteur pourrait très vite redevenir attractif pour les locataires et les investisseurs, assurant un redressement graduel fin 2011 début 2012.

NOTES

1 Business week, “Why this real estate bust is different”, Mara Der Hovanesian, Dean Foust

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