« Make America Great Again ! Or not… »

par ‎Jean-Jacques Friedman, Directeur des investissements chez Vega IM

L’exemple de la surprise du Brexit, mise aujourd’hui en parallèle avec les élections américaines, démontre qu’après le choc initial, d’autres éléments inattendus surviennent, et non des moindres, à commencer par une réalité économique très différente des projections initiales. Toutefois, le poids économique et diplomatique des États-Unis n’est pas comparable avec celui du Royaume-Uni, et nous ne pouvons pas conclure bien sûr, comme lors du Brexit, que les conséquences économiques resteront minimes au niveau international.

Pourtant, est-ce que les marchés n’auraient rien appris du Brexit ? On pourrait le croire à entendre les commentaires ce matin, mais notre analyse est différente. Le questionnement auprès des gérants d’actifs américains, publié cette semaine sur notre site (Lire « Élections aux États-Unis : les gérants américains se concentrent sur les fondamentaux ») démontre que les gérants avaient pris garde de ne pas prendre position sur le résultat de ces élections et avaient opéré une faible rotation sectorielle. De même, les couvertures en matière d’option sur le marché américain étaient restées sur de faibles niveaux – inférieurs à un ratio de 2 entre options de vente et d’achat sur le S&P500. Lors du décrochage rapide et brutal post-Brexit, nous avions très rapidement acheté des valeurs de qualité européennes et pris position sur le marché actions japonais couvert contre le risque de change, car nous estimions que la réaction du marché était excessive et serait partiellement recorrigée. A l’heure où nous écrivons, il nous paraît trop tôt pour renforcer nos positions, car les conséquences de cette élection seront multiples et hétérogènes.

Quelles conséquences à ce coup de tonnerre ? Sur les marchés financiers, celles d’une victoire « surprise » de Donald Trump avaient été clairement définies depuis plusieurs semaines. La première immédiate est la baisse des marchés actions, mais avec une amplitude initiale inférieure au Brexit du fait d’un mouvement sur le dollar moindre que sur la livre, d’un mouvement plus marqué à la vente sur les banques et les assurances, l’automobile, les médias et les avionneurs, et d’une meilleure résistance de la pharmacie, l’énergie, la construction, la consommation domestique et la défense. Les actifs défensifs, comme l’or et le yen, sont bien sûr à privilégier. La rotation en faveur du style « value » nous semble donc aujourd’hui subir un coup d’arrêt en faveur à nouveau des thématiques « croissance ».


Dans ce contexte, sur un horizon à 3-6 mois, nous pouvons anticiper une baisse du dollar et un arrêt de la surperformance des marchés émergents face au marché domestique. Y a-t-il un marché dont la réaction nous semble surprenante et devrait corriger très rapidement ? Selon nous, il s’agit sans conteste du marché des taux américains. Le déficit budgétaire devrait augmenter l’année prochaine, et donc les prévisions sur la croissance américaine pourraient être révisées à la hausse. Un ralentissement du commerce mondial, notamment en provenance de l’Asie émergente, devrait limiter les pressions déflationnistes de long terme. Cela signifie donc que la réaction de fuite vers les actifs obligataires américains nous semble devoir rapidement se retourner.

La suite politique sera-t-elle le blocage ? Cette campagne a été qualifiée de tous les attributs possibles, et tous avaient au moins en commun le souhait que cette « émission de téléréalité politique » prenne fin. Le principal point négatif de cette campagne aura été bien sûr le constat de la crise démocratique aux États-Unis. Aujourd’hui, deux Amériques se font face, rejouant le scénario bien connu d’une polarisation radicale entre deux parties de la population qui ne se réconcilient pas.
Les programmes des deux candidats s’opposaient bien sûr fortement au niveau de la fiscalité, de la politique industrielle et énergétique, et en matière d’affaires internationales.

Toutefois, plusieurs points du programme Clinton, imposés par l’ex-candidat à l’investiture démocrate Bernie Sanders, (comme la forte hausse du salaire minimum qui aurait pénalisé les secteurs à fort emploi de main d’œuvre à faible coût) n’étaient pas plus appréciés par les investisseurs. Loin des débats politiciens, beaucoup d’acteurs attendaient en fait la victoire d’Hillary Clinton afin de prendre quelques bénéfices sur les marchés, alors que le seul évènement dans leur ligne de mire était la remontée des taux d’intérêt par la Fed en décembre, échéance que pourrait aujourd’hui éclipser « l’actualité Trump ». Le discrédit sur ces deux candidats était tel que l’option privilégiée par les marchés était finalement la reconduction d’une situation de blocage politique.

Même si la Chambre des Représentants et le Sénat sont républicains, beaucoup des représentants du « Grand OId Party » se sont désolidarisés de Donald Trump et donc représenteront une sorte d’opposition interne à la politique que souhaite mener le nouveau Président. La remarque habituelle d’une pratique politique effective qui diffèrera des promesses électorales devrait être encore accentuée en l’espèce par un blocage politique qui risque de durer durant toute la mandature.