2010, recherche croissance désespérément

par Charles Dautresme, stratégiste chez Axa IM

En début d’année, Novartis offrait de racheter Alcon, le géant mondial spécialiste des produits ophtalmologiques, pour 39,3 mds USD. Cette opération, comme de nombreuses autres depuis le début du marché haussier, indique que la chasse à la croissance a redémarré pour les entreprises des économies développées. Après une hausse des marchés sans discrimination, les investisseurs devront se montrer plus sélectifs dans leurs choix de sociétés, en se basant sur des fondamentaux solides, plutôt que de continuer à jouer le risque systémique à l’envers. Nous mettrons l’accent dans ce commentaire sur deux thèmes qui nous semblent prometteurs dans un contexte de croissance faible, pour les pays développés tout du moins.

Fin du rally des « poubelles »

Dans notre Commentaire Spécial d’octobre 2009 (Le rally des « poubelles »), nous avions mentionné que les valeurs de faible qualité avaient jusque là dominé le rebond. Nous avions alors passé en revue les cinquante valeurs les plus fragiles (celles ayant la probabilité de défaut la plus importante selon le modèle de distance au défaut de Merton). Entre le creux du marché en mars et début août, ces cinquante valeurs ont augmenté de 68%, contre seulement 21% pour les cinquante valeurs de meilleure qualité. Toutefois, depuis août, cette tendance s’est renversée, les investisseurs devenant plus discriminants. Les cinquante meilleures valeurs ont depuis lors progressé de 8%, contre 0% pour les cinquante les plus fragiles. Cette tendance devrait se poursuivre, les « mauvaises » valeurs se négociant actuellement à 18 fois les bénéfices contre seulement 14 fois pour celles de meilleure qualité.

Au niveau sectoriel, nous avons aussi noté que les anges déchus du dernier marché baissier, les financières (qui ont grimpé de 118% entre le creux de mars et début août) et dans une moindre mesure les « materials », ont nourri la phase initiale de ce rally. 

Depuis août, les performances sectorielles ont été relativement comparables, avec peut-être un léger biais en faveur des valeurs défensives. La santé et la consommation de base sont parmi les trois secteurs les plus performants.

Historiquement, les secteurs défensifs tendent à surperformer les cycliques devenues trop chères après la première phase d’un marché haussier. Même si nous croyons qu’une telle rotation est justifiée par une performance remarquable et par la différence de valorisation entre cycliques et défensives, cela montre aussi l’envie (ou le besoin) qu’ont les investisseurs de se recentrer sur les fondamentaux.

Les sociétés ont effectué de nets ajustements l’an passé, ce qui explique l’anticipation d’un rebond des profits en 2010.

Toutefois, les fondamentaux ne sont malheureusement pas si brillants que cela, notamment en ce qui concerne les perspectives de croissance. La plupart des entreprises des marchés développés auront du mal à maintenir la croissance des bénéfices réalisée par le passé, surtout celles qui restent exposées principalement aux économies avancés. En effet, la croissance du PIB eurolandais devrait être inférieure à 1,4% et celle des Etats-Unis inférieure à 2,8%, contre près de 6% pour les économies émergentes, avec la Chine en tête (+9,5%). En conséquence, arriver à capturer la croissance dans les bons marchés sera un élément important de différenciation à l’avenir.

A l’évidence, ce facteur n’a eu jusqu’ici qu’un impact mineur sur les marchés. De fait, le style « value », fortement orienté vers les financières, surperforme le style « growth ». Entre son point bas et le 13 janvier dernier, l’indice « value » du MSCI Europe a augmenté de 75%, contre seulement 47% pour son homologue « growth ». Aucun gagnant ne semble se distinguer depuis début novembre. Traditionnellement, un tel écart tend à montrer que les « growth » offrent encore de la valeur, mais bien moins qu’en mars 2009.

A l’avenir, nous prévoyons une différenciation plus marquée, notamment en raison de la recherche de valeurs à forte croissance. Le « stock picking » remplira certainement un rôle beaucoup plus décisif qu’au cours des neuf mois passés, mais certaines thématiques clé devraient nous aider à générer de la performance.

Les marchés émergents au secours des développés

Un moyen direct mais non trivial de capturer une croissance supérieure est d’identifier les secteurs de la demande dont le potentiel de croissance est élevée. D’un point de vue économique, beaucoup de pays émergents, en rattrapage, devraient ainsi enregistrer une croissance forte durant plusieurs années.

Nous avons actualisé notre panier de valeurs européennes fortement exposées aux marchés émergents pour la dernière année fiscale publiée. Nous avons identifié 90 valeurs dont le chiffre d’affaires réalisé dans les pays émergents dépasse 33%. Fin 2008, nous n’en avions identifié que 74. Sans surprise, la plupart de ces valeurs font partie du nouveau portefeuille. A peine 10 d’entre elles ont disparu. Depuis le point bas du marché, notre panier de 74 valeurs européennes avec une forte exposition aux marchés émergents a progressé de 64,1%, contre 62,2% pour le MSCI Europe, alors que les marchés émergents progressaient de 83,4%.

Toutefois, investir directement dans les marchés émergents, en plus du risque de change, accroît le biais sectoriel, notamment au niveau des matières premières. En effet, malgré une progression de la diversification des émergents, l’énergie et les « materials » représentent près de 50% du MSCI Amérique Latine et du MSCI Europe émergente. Ces deux secteurs comptent pour 28% de notre panier de 74 valeurs. Les « materials » ayant jusqu’à présent remarquablement performé, cela explique le retard de performance de notre panier par rapport aux marchés émergents globalement. En outre, les valeurs liées à la consommation sont peu représentées dans les indices des marchés émergents, ce qui n’est pas le cas de notre panier, où elles représentent 24% du portefeuille.

Notre panier de 74 valeurs se négocie avec un P/E de 15, contre 20,6 pour le MSCI émergents et 18,7 pour le MSCI Europe. Cette stratégie devrait selon nous continuer de surperformer les actions européennes, étant moins risquée que les marchés émergents car elle offre une plus grande palette sectorielle.

Pour les investisseurs privilégiant l’allocation sectorielle plutôt que le « stock picking », nous suggérons le groupe industriel de l’équipement hardware (65% d’exposition aux marchés émergents), des semi-conducteurs (51%) et des « materials » (38%), mais aussi de l’agroalimentaire (37%) et des produits personnels & ménagers (31%).

Chaque marché haussier a sa vague de F&A

D’après l’INSEE, les investissements des entreprises françaises dans l’industrie devraient baisser de 5% (en valeur) en 2010. Ceci souligne que les entreprises sont toujours en train de procéder à d’importants ajustements et restent prudentes sur leurs perspectives de croissance.

Cependant, les entreprises européennes ont des liquidités, comme le souligne l’écart entre le rendement du free cash flow, et celui des émissions obligataires qui n’a jamais été aussi élevé. Cela est dû aux efforts majeurs de restructuration entrepris en 2008-2009. Ainsi, les entreprises font actuellement face à un dilemme : comment investir et donc développer à terme une croissance du chiffre d’affaires ? Les F&A offrent souvent une bonne réponse dans ce contexte.

En 2009, le montant des opérations de F&A annoncées et réalisées approchait les 600 mds USD. L’industrie bancaire est la plus active avec 160 mds USD d’opérations si l’on exclut les 54 mds USD de sauvetages gouvernementaux. Les services d’utilité publique arrivent en second, notamment l’électricité, et dans une moindre mesure, le gaz. La troisième industrie la plus active est la santé, et l’acquisition d’Alcon par Norvartis en est l’opération la plus récente. Les brevets de nombreux médicaments phares arrivant à expiration en 2012, les groupements pharmaceutiques sont dans l’obligation d’acquérir des compagnies de biotechnologie ou d’automédication. Nous croyons que ces secteurs devraient rester les terrains de chasse les plus fertiles en F&A, car ils restent fragmentés (banques et services d’utilité publique) ou modérément consolidés (santé).

Dans notre Commentaire Spécial publié en octobre 2009 « Le retour des F&A » où nous avions identifié ces trois secteurs comme les plus propices aux F&A, nous avions aussi mentionné les industries de l’équipement industriel, de la construction, de l’ingénierie, ainsi que les secteurs des médias, des télécoms et de l’énergie. Le secteur des médias n’a jamais eu un écart aussi important entre les rendements du free cash flow (16%) et ceux des émissions obligataires (4%).

Tous ces secteurs, riches en trésorerie, fragmentés ou modérément concentrés, devraient être parmi les plus actifs.

Conclusions

Les secteurs et valeurs de « moindre » qualité ont dominé les actifs de meilleure qualité dans la première phase de ce cycle. Ce n’est désormais plus le cas, comme en témoigne la surperformance de notre panier de valeurs financièrement solides vis-à-vis d’un portefeuille constitué des valeurs « poubelles » dans le modèle de distance au défaut de Merton.

Dans un contexte de croissance faible, les investisseurs seront prêts à l’avenir à payer une prime pour la croissance. Nous croyons que les valeurs européennes, bien exposées aux marchés émergents et pariant sur quelques secteurs prometteurs en matière de F&A, devraient être parmi les plus profitables en 2010.