Aéronautique civile : risques de turbulences durant la phase de décollage


par Francine Lenoir, Analyse Actions chez Amundi

Le marché de l’aéronautique civile est un secteur structurellement en croissance porté par la hausse du trafic aérien mondial de l’ordre de 5 % sur le long terme, un besoin crucial de nouvelles capacités dans les pays émergents, de renouvellement dans les pays matures tandis que les carnets de commandes des avionneurs (Airbus, Boeing) cumulent, d’ores et déjà, à plus de 8 ans pour les moyens courriers (A320, B737). Mais ce secteur ne risque-t-il pas d’être victime de son succès? Les cadences de production s’accélèrent quand dans le même temps entrent en service de nouveaux modèles (A350) ainsi que des plateformes re-motorisés (A320 Neo, A330 Neo, B737 Max). Vient se rajouter à ces défis, un nouvel environnement pétrole dont la chute des cours sera de nature à influencer le comportement des compagnies aériennes.

Les conclusions présentées ci-après proviennent à la fois de nos entretiens avec les grands acteurs du secteur ainsi qu’auprès de consultants indépendants spécialisés dans le secteur aéronautique.

Les défis technologiques

Tout d’abord essayons de comprendre pourquoi tant Airbus que Boeing ont décidé de re-motoriser leur avion moyen-courrier.

Les moyens courriers (A320- B737) représentent 78 % des livraisons d’Airbus et 67 % de celles de Boeing, autant dire que l’enjeu est de taille.

Pendant un temps ces deux avionneurs réfléchissaient à réaliser un avion complètement rénové, capable d’offrir des économies de consommation de carburant de 25 % à 30 % (la consommation de kérosène représente, en moyenne, 30 % des coûts d’exploitation d’une compagnie aérienne), ce qui signifiait de réaliser un vrai saut technologique, notamment en matière de motorisation.

Deux obstacles sont venus contrarier ce projet :

  • Dans le même temps, le canadien Bombardier et le Chinois Comac, s’apprêtaient à sortir deux avions potentiellement concurrents (que l’on situera dans la classe inférieure, en nombre de sièges, des Airbus ou Boeing). Il fallait donc leur couper l’herbe sous le pied. Ces deux programmes ont pris du retard et devraient au mieux entrer en service en 2016.
  • Mais surtout les motoristes n’étaient pas au point technologiquement parlant, ce fameux saut technologique ne devant pas pouvoir s’opérer, in fine, avant les années 2020-2025.


 Airbus a tiré le premier et décidé fin 2010 la remotorisation de son avion vedette, Boeing se décidera 8 mois plus tard.

Tant l’A320 Neo (new version option) que le B737 (Max) ont depuis, engrangé d’importantes commandes et s’avèrent donc être des succès commerciaux indéniables.

Il s’agit désormais de bien exécuter la transition entre l’avion classique et le re-motorisé, transition qui s’effectuera principalement entre les années 2016-2018. La phase critique, selon nos interlocuteurs se situerait sur les années 2016-2017.

À ce stade, les groupes se disent prêts avec des premières livraisons fin 2015 pour Airbus, les efforts d’investissements sont réalisés et la chaîne de fournisseurs sous contrôle. De son côté les motoristes tels que Safran devront passer d’une production de 1600 moteurs classiques en 2015 à 1 800 moteurs, nouvelle génération, en 2020.

Le défi des cadences

À ce défi de transition moteur va venir se greffer celui de la montée en cadence
de production tant chez Boeing (42 B737 produits par mois actuellement, 52 en 2000 2018), que chez Airbus (42 A320 produits par mois actuellement, 50 en 2017).

Ce sont des cadences jamais réalisées dans le passé. Le moindre grain de sable dans le système serait susceptible d’entraîner des réactions en chaîne aboutissant à des retards de livraisons et donc de paiement d’indemnités.

Ce segment de marché représente jusqu’à un tiers de l’activité des grands acteurs européens du secteur.

Dans le même temps Airbus, devra assurer la montée en puissance de son nouveau modèle A 350, dont la première livraison s’est effectuée en décembre dernier. Jusqu’à aujourd’hui, l’exécution de ce programme est exemplaire, jouissant d’une certification dans un temps record après le premier vol. Cet avion est « bien né » selon les termes d’Airbus. Une quinzaine d’A350 seront livrés cette année pour monter à 10 par mois à l’horizon 2018.

Donc, au global si des risques d’exécution existent avec une phase critique qui se situerait plus particulièrement sur les années 2016-2017, notons néanmoins qu’à ce stade :

  • les avionneurs et motoristes ont eu plusieurs années pour se préparer ;
  • les investissements de capacité sont réalisés (des groupes comme 2 l’allemand MTU ont accru de 80 % leur capacité de production sur les 5 dernières années) ;
  • un contrôle strict des sous-traitants est mis en place en parallèle à un système d’approvisionnement en double voire triple sources sur certains 10% 
composants critiques ;
  • il y a une grande part de process de production commune entre les avions 
remotorisés et les anciens, limitant d’autant les challenges industriels ;
  • la montée en cadence est déjà une réalité depuis plusieurs années pour 
les intervenants du secteur ; 

  • la réduction dans le même temps des cadences de production sur l’A330 
sera de nature, chez Airbus, à libérer des capacités industrielles

Conclusion : des challenges industriels dans un contexte de marché qui demeure porteur 


Aux côtés de ces défis, soulignons que le secteur aéronautique civil reste extrêmement porteur. Le trafic aérien reste solide dans toutes les régions
du monde, les taux de remplissage culminent à des niveaux élevés voire à
des maximums pour certaines régions (États-Unis, Asie), le moindre coût du pétrole devrait largement favoriser les résultats des compagnies aériennes, plus enclines à investir, les besoins de renouvellement de la flotte restent élevés avec un quart de la flotte mondiale constituée d’avions de plus de 20 ans d’âge, les book/bill des avionneurs (ratios de commandes sur chiffre d’affaires) devraient demeurer supérieurs à 1 pour la 6e année consécutive.

Autre point positif, le raffermissement actuel du dollar est très favorable aux intervenants européens du secteur, les facturations sur ce marché se réalisant en US$ pour des coûts majoritairement en euros.

En conclusion, les challenges industriels existent, sont clairement identifiés, et la solidité des fondamentaux du secteur laisse espérer un atterrissage sinon en douceur, du moins maîtrisé.