A quand une vraie politique agricole ?

par William Emmanuel

par William Emmanuel
Au moment où la France prend, pour six mois, la présidence de l'Union européenne et que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) essaie de boucler son actuel round de négociations, la question de la politique agricole en Europe et aux Etats-Unis va venir au devant de la scène d'autant que les cours sont orientés à la hausse. Le prix du blé a été multiplié par cinq entre 2000 et début 2008 pour atteindre environ 400 dollars la tonne. Même chose pour le maïs, dont le prix a été multiplié par cinq depuis la fin 2005. Sans oublier le soja et le riz.. Selon Philippe Chalmin, professeur à l'université Paris-Dauphine et spécialiste des matières premières, seul le sucre échappe à la fête.

La hausse des matières premières agricoles résulte de la forte demande dans les pays émergents et de nouveaux usages. Ainsi, les Etats-Unis ont consacré 80 millions de tonnes de maïs l'an dernier à la fabrication de l'éthanol alors que la production mondiale est de 700 millions de tonnes environ. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce sont pas les spéculateurs qui alimentent l'envolée des cours même si l'agriculture est le premier secteur économique à avoir mis au point des instruments spéculatifs pour "couvrir" les récoltes futures. Il y a une demande réelle que qui confirmée par les prix du fret maritime, qui ont été multipliés par 12 depuis le point bas de fin 1998, début 1999. De fait, la question se pose : la terre peut-elle encore nourrir tous les habitants ? La réponse est oui, de l'avis des spécialistes réunis pour une conférence par la société de gestion La Française des Placements. Cette prévision tient y compris si nous prenons le chiffre de 9 millions d'habitants à l'horizon 2050 ou 2060. Car, les problèmes actuels viennent de mauvais choix politiques.

Les Européens (avec la Politique agricole commune) et les Américains ont massivement subventionné leurs paysans ces dernières décennies, de sorte qu'ils ont réussi à empêcher l'émergence de puissances agricoles dans les grands pays du Sud. Conséquence : s'il y a aujourd'hui 1,5 milliard d'hectares cultivés dans le monde, il pourrait y avoir 3 milliards de plus sans que cela se fasse au détriment des forêts. L'Afrique et l'Amérique du Sud pourraient mettre en culture 700 millions d'hectares alors que ces deux continents totalisent aujourd'hui 200 à 300 millions. Evidemment, il y a des problèmes à régler : les infrastructures de distribution et de stockage et aussi l'irrigation. Mais ce sont là des problèmes que les gouvernements et les organisations internationales peuvent résoudre avec un peu d'investissement et surtout une vraie stratégie. En Europe, les stocks de denrées alimentaires ont fondu ces dernières années de sorte que le continent n'a plus d'outils pour atténuer la hausse des prix. Il y a urgence à revoir tout le système.

De tout temps, la question alimentaire a été centrale pour les pouvoirs publics. Les émeutes de la faim ont eu lieu ces dernières semaines dans plusieurs pays. Rien ne dit que cela ne va pas continuer et s'amplifier. Il est tout de même surprenant de noter qu'au XXIe siècle, après des avancées prodigieuses dans les domaines des technologies (songez que l'Internet grand public n'existait pas en 1990 et que le téléphone mobile venait d'être créé), l'humanité n'a toujours pas réussi à régler la question de l'alimentation.