Actions européennes : quels impacts en cas de guerre tarifaire avec les États-Unis ?

par Ibra Wane, Stratégie Actions chez Amundi

Alors que la menace d’un affrontement tarifaire sino-américain à grande échelle semble s’apaiser, les États- Unis pourraient désormais reporter leur attention sur leurs déficits commerciaux avec l’Union européenne. Notre objectif est dès lors d’aider à distinguer qui parmi les actions européennes, que ce soit en termes de pays, de secteurs ou d’entreprises, serait le plus touché en cas de bras de fer. Après un examen détaillé des indices, il ressort que la part des ventes du MSCI Europe à destination des États-Unis s’élève à 20 % contre 14 % en sens inverse.

En cas de conflit, les États-Unis seraient donc a priori moins exposés mais les deux parties seraient à coup sûr perdantes. Par ailleurs, si l’automobile européenne est généralement pointée du doigt, d’autres secteurs – dans le domaine des biens d’équipement, de l’alimentation-boisson-tabac ou de la santé, encore plus présents Outre-Atlantique, devraient probablement inciter à rester vigilant.

Possible détente sino-américaine

Alors que la croissance en volume du commerce international a plongé l’an dernier1 sous l’effet, en particulier, du ralentissement de la croissance de l’économie chinoise et de la rhétorique protectionniste des États-Unis, les marchés surveillent désormais avec appréhension, les premiers signes de redémarrage en Chine, ainsi que l’avancée des négociations tarifaires sino-américaines.

Sur ces deux fronts, une embellie a semblé vouloir se dessiner depuis quelques semaines, qu’il s’agisse du rebond des PMI, des ventes de détail en Chine ou des rencontres sino-américaines de haut niveau qui se sont multipliées récemment. Les objectifs de croissance 2019-2020 du PIB chinois ne s’établissant que timidement au- delà de 6 % et les négociations tarifaires entre les deux superpuissances n’étant pas dénués d’arrières pensées, il convient bien sûr de relativiser ce mieux. Quoi qu’il en soit, conjugué au message apaisant des grandes banques centrales, celui-ci aura clairement contribué au rebond des marchés depuis le début de l’année.

Un péril chasse l’autre

Pour un investisseur en actions européennes, entre les tentations tarifaires américaines et l’hypothèque du Brexit il serait pourtant prématuré de considérer que l’essentiel des risques commerciaux est écarté.

Si une amélioration semble se dessiner du côté sino-américain, les États-Unis pourraient désormais reporter leur attention sur leurs déficits bilatéraux avec l’Union Européenne (UE). Suite aux propos au vitriol de D. Trump concernant les BMW ou Mercedes encombrant la 5e Avenue puis au relèvement des droits de douane sur l’acier et l’aluminium en provenance d’Europe, le président de la Commission, J.-C. Juncker, a rencontré D. Trump en juillet dernier. À la suite de quoi, une trêve avait été conclue en attendant les négociations. Entre- temps, le ministère américain du Commerce a refait monter la pression mi-février, en remettant à D. Trump un rapport indiquant que les voitures importées « menaçaient la sécurité nationale » ; le Président ayant alors 90 jours, soit jusqu’à mi-mai, pour statuer. Enfin, début avril, les Américains ont également rouvert le dossier des aides publiques à Airbus. Pendant ce temps, du côté européen, le 15 avril, la Commission a reçu le feu vert du Conseil des Ministres de l’UE pour négocier un nouvel accord commercial avec les États-Unis. La Commissaire au Commerce, C. Malmström sera chargée des négociations avec le représentant au Commerce américain, R. Lighthizer. Ces négociations devraient uniquement porter sur les tarifs industriels. Les autres domaines comme l’agriculture, les services, l’accès aux marchés publics ou la protection des investissements étant hors champ.

Parallèlement, après trois ans de tergiversations, une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’UE impliquerait automatiquement l’application des droits de douane prévus par l’OMC. Ces taxations réciproques, variables d’un produit à l’autre, se monteraient par exemple à 10 % pour l’automobile.

Britanniques comme Continentaux seraient alors très pénalisés; les premiers exportant 631,000 véhicules par an à destination des 27 (81,5 % de la production automobile britannique est exportée dont 51 % vers l’UE) et les seconds près de 1,8 million de véhicules au RU (12 % de leur production totale et 32 % de leurs exportations). Le prix moyen hors TVA d’un véhicule neuf en Europe étant de l’ordre de 25 000 €, les droits de douane de l’OMC en renchériraient le coût de 10 %, soit 2 500 €. L’élasticité de la demande automobile au prix étant forte, ceci pourrait entraîner un recul des ventes de 10 % des modèles concernés.2

Qui serait le plus impacté ?

En cas de durcissement tarifaire, qui serait le plus impacté ? Sur le plan macroéconomique, différentes autorités nationales ou internationales ont déjà fourni des indications intéressantes.

Ainsi, selon la Commission Européenne, bien que le solde commercial bilatéral stricto-sensu soit structurellement en faveur de l’UE, une vision plus globale intégrant les services, les investissements et les rapatriements de profits montre des échanges beaucoup plus équilibrés, avec un léger surplus en faveur des États-Unis tant en 2017 que sur l’ensemble de la décennie (2007-2017)3. De son côté, la Banque d’Angleterre a estimé qu’une guerre commerciale mondiale – dans laquelle tout le monde augmenterait les droits de douane d’environ 10 points de pourcentage – entraînerait un ralentissement de la croissance du PIB mondial d’environ 2,5 % sur trois ans. De même, si l’on considère le seul Brexit, dans un rapport de novembre dernier, le Gouvernement britannique4 estimait qu’en cas de sortie sans accord, le PIB britannique pourrait baisser de 8 % à long terme (15 ans environ) par rapport à sa trajectoire initiale. Selon différents conjoncturistes, la croissance du PIB britannique en 2020 pourrait ainsi frôler la récession au lieu des +1,4 % prévus pour l’instant. Enfin, dans un article récent du Bulletin économique de la BCE sur les conséquences économiques de la montée du protectionnisme pour la zone euro et au plan global5, les auteurs ont estimé que « l’impact à ce jour devrait rester contenu, mais des effets négatifs importants pourraient se matérialiser si les tensions commerciales devaient dégénérer »

Notre problématique centrée sur les marchés d’actions est moins académique et plus pratique Notre souci est avant tout de distinguer quels pays, secteurs ou entreprises en Europe seraient les plus touchés en cas de durcissement des conditions tarifaires. À cet effet, nous avons répertorié l’exposition géographique des différents indices et sous-indices actions concernés. Ce tamis est bien sûr réducteur puisque, pour être complet, il faudrait tenir compte non seulement des ventes mais également des achats et de la production réalisés à l’étranger. De même, l’exposition nette ainsi obtenue devrait être rapportée au niveau de marge de chaque entité considérée ; une ponction nette par exemple de 2 % du chiffre d’affaires n’ayant le même impact selon que l’entité à une marge plus ou moins élevée. Quoi qu’il en soit, ce premier filtre fournit des indications utiles et devrait simplifier, le cas échéant, les recherches complémentaires.

À titre d’exemple, on examinera en particulier l’exposition des actions européennes aux États-Unis. Par ailleurs, deux encadrés distincts traiteront l’un de l’automobile, secteur qui fait régulièrement la une des journaux et l’autre de l’exposition de l’UE 27 au Royaume Uni en cas de Brexit sans accord.

Les États-Unis représentent 20 % des ventes du MSCI Europe…

S’agissant du MSCI Europe, le graphique 1 montre que les ventes à destination des États-Unis représentent, en moyenne, 20 % du chiffre d’affaires des composantes de l’indice. En sens inverse, l’Europe représente 14 % des ventes du MSCI US, dont 12 % pour la seule UE. En cas de conflit tarifaire, les États-Unis seraient donc moins exposés que l’Europe. Leur exposition demeurant toutefois significative, ils seraient également perdants si les tensions venaient à s’envenimer.

L’exposition de l’Europe aux États-Unis varie toutefois fortement d’un pays à l’autre; le Portugal étant à moins de 2 % alors que la Suisse frôle les 30 %. Parmi les quatre poids lourds du MSCI Europe – Allemagne, France, Royaume Uni, et Suisse — qui représentent ensemble 73 % de la capitalisation du Vieux Continent, la dispersion est toutefois moindre ; leur exposition aux États-Unis variant de 16 % à 30 % et s’élevant à 22 % en moyenne (pondérée des poids dans le MSCI Europe).

La Suisse ne faisant pas partie de l’UE et le Royaume-Uni étant un cas particulier (Brexit, proche allié des États-Unis…), parmi les Big Four, c’est avant tout l’Allemagne et ses fameuses voitures premium, qui semble a priori la plus exposée.

…et près de 40 % dans certains secteurs !

Un examen plus détaillé du MSCI Europe, montre toutefois qu’avec 20 % de son chiffre d’affaires Outre-Atlantique, le secteur Automobile se situe simplement dans la moyenne. Malgré sa réputation, il est donc loin d’être le plus présent aux Etats-Unis. Même s’il est indéniable que des droits de douane plus élevés lui seraient préjudiciables – les États-Unis constituant, après la Chine, un marché clé pour les constructeurs allemands6 — à tout le moins, ceci indique que d’autres secteurs sont également à risque.

En la matière, nos interrogations portent particulièrement sur les Médicaments et les Équipements de santé, dont la part des ventes aux États-Unis s’élève respectivement à 37 et 36 %. De surcroît, ceci se rajouterait à la polémique pré-électorale rituelle sur le prix des médicaments et de la santé en général. Ces secteurs étant en temps normal perçus comme défensifs, ils pourraient alors d’autant plus décevoir si États-Unis et Europe venaient en sus à se livrer à un bras de fer tarifaire.

À noter également que quatre autres secteurs industriels — Alimentation-Boisson Tabac, Tech Hardware, Biens d’Équipement et Produits domestiques et de soin personnel — sont également plus présents que l’Auto, avec un pourcentage des ventes aux États-Unis s’échelonnant de 22 % à 25 %.

On remarquera enfin que nous avons isolé les secteurs de service. Bien que certains d’entre eux7 soient très présents aux États-Unis, ils ressortent en effet d’une approche différente car, a priori peu concernés par les droits de douane; même si dans une guerre commerciale à outrance, ils pourraient être contraints par de multiples barrières non tarifaires (normes, homologation, protectionnisme judiciaire, extraterritorialité du droit américain…).

Les sociétés les plus exposées opèrent généralement dans le secteur de la Santé ou des Biens d’Équipement

Au-delà de la moyenne sectorielle européenne, il est également intéressant d’aller un cran plus loin au niveau national. Une fois de plus, il apparait que l’Automobile allemande (18 %) n’est pas la plus exposée par rapport au secteur de l’Alimentation en Suisse (30 %), de la Pharmacie en France (32 %), au Royaume Uni (35 %) et en Suisse (41 %) ou de l’Équipement médical en Allemagne (46 %). Derrière ces différents scores sectoriels nationaux se profilent autant de champions locaux comme Nestlé, Novartis, Sanofi, ce qui conduit directement à s’interroger sur les entreprises les plus exposées.

Pour conclure

Étant donné l’importance des liens réciproques entre les États-Unis et l’UE, en cas de bras de fer tarifaire, les deux parties seraient perdantes. Même si au strict plan commercial, l’Europe est plus exposée, le bilan complet des échanges, en tenant compte des services, des investissements et des rapatriements de profit est en réalité quasiment équilibré, voire à l’avantage des États-Unis. Dans un premier temps toutefois, les biens étant plus aisément taxables que les services, c’est l’Europe qui serait sur la sellette. Mais alors que l’automobile européenne semble d’avance condamnée par les tweets, le secteur n’est pourtant pas le plus exposé aux États-Unis et ne manque pas non plus d’arguments à faire valoir pour sa défense. En revanche, d’autres secteurs — santé, biens d’équipements, alimentation-boisson-tabac… — moins médiatiques, mais très présents Outre-Atlantique, mériteraient probablement une vigilance accrue et une revue plus approfondie.

NOTES

  1. En glissement annuel, celle-ci est passée de +5,0 % au 1er trimestre 2018 à 1,4 % au 4e trimestre.
  2. Exemples: Honda Civic, Toyota Corolla, Land Rover Evoque, Nissan Juke et Qashqai, Mini dans l’UE 27 et 90 % des modèles vendus en GB
  3. 
Liberalization of tariffs on industrial goods between the United States of America and the European Union: An economic analysis http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/february/tradoc_157704.pdf
  4. EU Exit long-term economic analysis, November 2018, rapport disponible sur www.gov.uk/government /publications
  5. Article de V. Gunnella et L. Quaglietti publié dans le Bulletin Economique de Mars 2019 de la BCE
  6. Second marché après la Chine mais devant l’Allemagne pour les groupes BMW et Mercedes, troisième après la Chine et l’Allemagne pour le groupe VW
  7. Comme les Services à la clientèle (Hôtellerie, Restauration…) ou les Services Commerciaux (Intérim…)