Alimentation : l’alibi de la spéculation

Le président français Nicolas Sarkozy a dénoncé récemment le rôle de la spéculation dans la hausse des matières premières, notamment ag

Le président français Nicolas Sarkozy a dénoncé récemment le rôle de la spéculation dans la hausse des matières premières, notamment agricoles, et promis d’en faire un cheval de bataille au G20. Des experts ont déjà expliqué que cette affirmation était infondée.

A l’exception de l’or, qui est l’objet de manœuvres de la part de certains gérants depuis plusieurs mois, les autres produits voient leur valeur monter en fonction de la loi et de la demande.

La croissance économique mondiale a atteint 5% en 2010 et les pays émergents, en particulier la Chine, ont besoin de matières premières pour poursuivre leur développement. Ils achètent donc du cuivre, du pétrole, du nickel, bref tout ce qu’il faut à une industrie.

Le poids d’une pays comme la Chine dans la formation des prix des minerais est tel que le géant minier BHP cherche à se diversifier, d’où son offre, rejetée, sur le producteur canadien de potasse Potash Corp.

S’agissant des matières agricoles, ce sont les aléas climatiques qui ont fait monter les prix en 2010. Qu’on en juge : sécheresse en Russie et en Ukraine, pluies diluviennes en Australie, au Pakistan et en Chine. Ces événements réduisent la production et déclenchent une inflation.

Plusieurs gérants jugent que l’on pourrait mettre en cause la spéculation si certains utilisaient des instruments financiers comme des trackers liés à des capacités de stockage. Or, ce n’est pas le cas.

Si certaines sociétés financières tentent bien de constituer des stocks, ce phénomène est marginal. On constate en revanche une diffusion de ce qu’on pourrait appeler la micro-spéculation : quand les prix agricoles augmentent, certains ont tendance à accroître leurs stocks.

De l’avis général, la spéculation n’a qu’un rôle marginal dans la hausse observée. Pourquoi le président français s’est-il lancé dans un tel discours ? Les investisseurs les plus cyniques jugent que c’est lié à la prochaine campagne présidentielle : il faut montrer aux Français qu’on essaie de combattre l’inflation alimentaire prévisible et aussi rassurer les agriculteurs, clientèle électorale traditionnelle de la droite.

Nicolas Sarkozy a ainsi déclaré devant la presse : « Nous devons aussi être en mesure de développer notre offre agricole, si nous voulons pouvoir répondre aux besoins croissants de la population mondiale. »

C’est un enjeu important mais c’est d’abord une question intérieure : l’agriculture française perd de sa compétitivité depuis plusieurs années et cette dégradation touche toute la filière agro-alimentaire. Louis Gallois, président d’EADS, soulignait lors de la dernière conférence Risques Pays de la Coface qu’un patron d’un groupe de distribution lui avait confié acheter des biscuits auprès d’un fournisseur en Allemagne plutôt qu’en France où le coût est plus élevé.

La France a soutenu pendant des décennies l’agriculture intensive défendue par la FNSEA au profit essentiellement des céréaliers et a oublié de mettre en place une stratégie bénéficiant aussi bien aux agriculteurs qu’aux groupes industriels. D’autres, dont les Allemands, s’y sont attelés et en récoltent aujourd’hui les fruits. Les entreprises de pays émergents font aussi beaucoup d’efforts pour sécuriser leurs approvisionnements agricoles et pour produire à moindre coût.

Dans un monde où les matières premières, notamment agricoles, sont littéralement « aspirées » par les pays émergents, où la consommation commence à croître rapidement, il est paradoxal de voir la France dénoncer la spéculation plutôt que de muscler son secteur agricole.