Allemagne : les infrastructures menacées

par Raymond Van der Putten, Economiste chez BNP Paribas

La qualité des infrastructures allemandes se dégrade du fait de l’insuffisance des investissements.

Prises en étau par des dépenses sociales en augmentation et des problèmes financiers, les communes, en particulier, taillent dans leurs investissements.

Les Länder coupent également dans leurs dépenses en capital dans la perspective de l’entrée en vigueur, en 2020, de règles budgétaires plus strictes.

Les infrastructures allemandes figurent parmi les meilleures au monde. Dans le rapport 2016-2017 sur la compétitivité mondiale du Forum économique mondial, elles se classent à la huitième place, juste derrière la France, mais avant le Royaume-Uni et les Etats-Unis, respectivement, à la 9ème et à la 11ème place. Le pays perd néanmoins du terrain dans ce domaine. Dans le rapport 2009-2010 sur la compétitivité, ses infrastructures étaient arrivées en tête. Le recul le plus notable concerne la qualité des infrastructures routières. L’Allemagne a, à cet égard, rétrogradé de la cinquième place, dans le rapport 2009-2010, à la 16ème dans le dernier rapport.

Ce déclin relatif de l’Allemagne est imputable à l’insuffisance des dépenses d’investissement en infrastructures. Après l’essor des investissements liés à la réunification du pays, au début des années 1990, les dépenses publiques en capital se sont stabilisées aux environs de 2,2 % du PIB, l’un des taux les plus faibles de l’Union européenne. Les investissements publics s’établissaient ainsi à 3,5 % en France, en 2015. L’écart est dû en partie à des définitions divergentes. La progression du taux d’investissement public dans les autres pays européens, avant la crise financière, était par ailleurs liée à l’envolée des prix de l’immobilier. Les écarts se sont manifestement comblés au lendemain de la crise.

Le niveau modeste des dépenses en capital de l’Allemagne n’est guère suffisant pour compenser la dépréciation du stock de capital fixe. Depuis 2013, les investissements nets, c’est-à-dire les investissements bruts diminués des amortissements pour dépréciation, ont même été négatifs. Cette situation n’est pas propre à l’Allemagne. En Espagne et en Italie, la formation nette de capital fixe est aussi, actuellement, à des niveaux négatifs.

En Allemagne, les dépenses d’investissement des communes, qui représentent plus de 60 % de la totalité des investissements publics, sont particulièrement à la peine. De 17% des dépenses totales, en 1995, elles ont plongé à 9,7 % seulement en 2015. Ce repli s’explique en grande partie par l’accroissement des responsabilités des communes dans le domaine de la sécurité sociale. Entre 2002 et 2010, les dépenses sociales à l’échelle des communes ont été multipliées par deux. Le gouvernement fédéral a adopté des mesures visant à alléger la pression financière sur les autorités locales, comme la prise en charge de la pension de retraite de base.

L’externalisation, par exemple dans le domaine du traitement des déchets, a également joué un rôle crucial. Les dépenses nettes en capital sont en territoire négatif.

Il ressort de l’enquête de la KfW auprès des collectivités locales que les communes en situation de fragilité financière ont revu à la baisse leurs dépenses en capital. Les investissements de celles qui sont déficitaires sont inférieurs d’un tiers en moyenne à celles dont le budget est à l’équilibre, voire en excédent. C’est ce que confirment également les statistiques. Les communes qui se situent dans les Länder les plus riches, comme la Bavière et le Bade-Wurtemberg, sont nettement plus enclines à investir que les plus pauvres. L’enquête de la KfW montre également que les communes renoncent souvent à leurs projets ou les reportent en raison des incertitudes entourant la répartition des coûts entre les Länder et les collectivités locales, et de l’insuffisance des ressources administratives nécessaires à la planification et à l’exécution des programmes.

Du fait de la faiblesse des investissements, le stock de capital fixe des collectivités locales a diminué de EUR 60 mds entre 2003 et 2015. Toujours d’après l’enquête KfW, le sous-investissement cumulé s’élevait à EUR 136 mds en 2015, EUR 4 mds de plus que l’année précédente. Pour maintenir le stock de capital au même niveau, il faudrait une hausse permanente des dépenses d’au moins EUR 4 mds et, pour remédier à l’arriéré, porter les investissements supplémentaires à près de EUR 8 mds.

Les investissements publics seront probablement encore plus mis à mal dans les années à venir avec la mise en place du « frein à l’endettement » (Schuldenbremse). Le dispositif oblige l’Etat fédéral comme les Länder à présenter des budgets structurels à l’équilibre, conformément au Pacte européen de stabilité et de croissance de l’UE. Selon cette règle budgétaire, entrée en vigueur au niveau fédéral en 2016, les Länder ne seront plus en droit, à partir de 2020, d’afficher un déficit structurel. Comme ces derniers ne peuvent plus emprunter pour couvrir leurs besoins de financement structurels, ils n’ont d’autre alternative que d’abaisser les dépenses en capital d’environ EUR 20 mds, ce qui compromet d’ores et déjà leurs dépenses d’investissement. Certains Länder, dans l’incapacité de contribuer à hauteur de leur quote-part aux accords de cofinancement, ont même renoncé à recourir aux fonds d’investissement fédéraux ou européens.

Une telle politique va à l’encontre des recommandations des organisations internationales, comme le FMI et l’OCDE, qui ont appelé l’Allemagne à accroître ses investissements publics non seulement pour stimuler la demande à court terme mais aussi pour améliorer le potentiel de croissance de l’économie. De plus, un plan de relance budgétaire temporaire en Allemagne aurait pour effet de soutenir la croissance dans le reste de la zone euro et de réduire l’excédent des comptes courants dans ce pays.

Le gouvernement allemand se montre extrêmement réticent à suivre ces conseils, préférant s’en tenir à une politique budgétaire stricte. La conclusion de partenariats public-privé pourrait être une solution à l’amélioration des infrastructures du pays. Cependant, concernant le réseau autoroutier, ce type de montage financier s’est heurté à une vive résistance de la part de la population opposée à l’introduction de péages pour les voitures particulières. De plus, nombreux sont ceux qui craignent que le recours à des capitaux privés pour le financement de biens publics ne revienne à sacrifier ces derniers à des considérations de profit.

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