Amérique latine : reprise graduelle vers une croissance modérée à l’horizon 2011

par Carlos Quenan et Bénédicte Baduel, économistes chez Natixis

Dans le contexte d’un scénario de croissance mondiale plutôt faible jusqu’en 2011, la région latino-américaine devrait connaitre une reprise graduelle de l’activité économique. Après 4,9% de croissance régionale en moyenne sur la période 2003-2008, nous tablons sur une reprise progressive à partir de 2010 (+2,7%) pour déboucher sur croissance de 3,5% à l’horizon de 2011.

Pour 2009, notre scénario reste celui d’une récession somme toute modérée (-1,6%). Toutefois, les situations nationales apparaissent de plus en plus contrastées et, au-delà des impulsions positives provenant de l’environnement international, l’ampleur de la reprise dépendra en grande partie des caractéristiques structurelles des différents pays.

L’impact de la crise mondiale sur les économies latino-américaines : des chocs défavorables…

Les pays latino-américains ont été fortement affectés par la crise internationale à partir de septembre 2008. Par le canal financier, ils ont pâti de la montée de l’aversion au risque émergent qui s’est traduite par la forte hausse des spreads souverains, la dépréciation généralisée des monnaies et la chute des bourses locales. Du fait de la contraction de la liquidité internationale et de la dégradation des anticipations, le crédit s’est fortement contracté dans toutes les économies de la région contribuant à la transmission de la crise aux économies réelles.

Pour les pays dont la croissance était en bonne partie soutenue par la demande domestique, l’arrêt du crédit ainsi que la réversion des anticipations sur la conjoncture ont entraîné une contraction de l’investissement et de la consommation qui a à son tour pénalisé la production et l’emploi. Dès lors, on a constaté une brusque dégradation sur le plan de l’économie réelle à partir du quatrième trimestre 2008, ce qui se traduit par une détérioration du marché du travail dans tous les pays de la région.

Parallèlement, au niveau du canal commercial, la crise internationale a entraîné deux réajustement sévères : en volume et en valeur. Du point de vue des quantités exportées, avec le freinage brutal des échanges mondiaux, tous les pays ont subi un coup d’arrêt dans leurs volumes d’exportations. La CEPAL évalue la diminution des exportations régionales en volume à 11% pour 2009. Les pays les plus affectés ont été ceux dont le degré d’ouverture était important et ceux qui exportaient surtout des biens manufacturés à destination des pays industrialisés. En effet, au cours du premier semestre de 2009, ce sont les échanges commerciaux avec les Etats-Unis et l’Union Européenne qui ont le plus chuté (-35,3% et -36,3% respectivement pour les exportations de biens de l’Amérique latine vers ces destinations au S1-2009) alors que ceux avec l’Asie et plus particulièrement la Chine ont été moins touchés (-16,9% et – 4,1% respectivement). Dans ce contexte, le Mexique et les économies d’Amérique centrale, faiblement diversifiés en termes de partenaires commerciaux ont particulièrement souffert de la récession aux Etats-Unis.

Du point de vue des prix, la forte correction à la baisse des cours des matières premières a entrainé une dégradation des termes de l’échange pour les économies d’Amérique du sud, exportatrices de commodities. De même, pour les pays dont les recettes fiscales sont fortement dépendantes des exportations primaires (Argentine, Mexique, Venezuela) la baisse des prix suppose une diminution des revenus du gouvernement donc des marges de manœuvre budgétaires alors que les sources extérieures de financement se sont taries.

La crise internationale a également entraîné une chute des investissements directs étrangers (IDEs) qui étaient sur une tendance de fort dynamisme pendant le cycle de croissance 2003-2008. Ainsi, on estime que les IDEs entrant dans la région vont diminuer entre 35% et 45% en 2009. En fait, on observe des situations contrastées selon les sous-régions. La bonne tenue des flux en 2008 (144 mds de USD, +13% par rapport à 2007) s’explique principalement par le dynamisme des investissements allant vers l’Amérique du sud. L’Amérique centrale en revanche a enregistré une contraction de 6%. La dichotomie dans la tendance entre d’une part le Mexique et l’Amérique centrale et d’autre part l’Amérique du sud est en fait liée à la spécialisation sectorielle des IDEs entrants. En effet, en Amérique du sud ce sont principalement les secteurs des ressources naturelles qui ont attiré les investissements étrangers. A l’inverse, au Mexique et en Amérique centrale les IDEs étaient surtout liés à l’industrie manufacturière destinée à l’exportation, très corrélés au cycle de croissance nord-américain et donc très affectés par la récession aux Etats-Unis. Qui plus est, les projets dans le secteur du tourisme ont également été fortement affectés du fait de la baisse de la demande internationale tant dans les pays de l’Amérique centrale et des Caraïbes qu’au Mexique.

Pour autant, si la crise internationale a porté un coup d’arrêt au cycle de croissance amorcé en 2003, elle n’a pas provoqué de graves crises de change, bancaire ou de la dette souveraine. Du fait de l’amélioration des fondamentaux macroéconomiques et financiers dans la décennie précédente et de l’existence de systèmes bancaires solides, la région a mieux résisté que par le passé. Grâce à la diminution des ratios de dette publique et à la moindre exposition à des changements exogènes (baisse de l’endettement en devises et à taux variable), la région a pu faire face sans trop de difficultés à ses besoins de financement pour 2009.

Dans ce cadre et bénéficiant d’une tendance globale de diminution de l’aversion au risque vis-à-vis des émergents dans un contexte de liquidité mondiale abondante, les variables financières (change, spread, bourse) se sont améliorées fortement depuis avril/mai 2009 (voir Note Mensuelle Amérique latine Juillet 2009), induisant ainsi une progressive atténuation des effets négatifs des chocs financiers défavorables subis fin 2008-début 2009.

…à une stabilisation relative de l’environnement international

La perspective d’une amélioration modérée de la situation à l’échelle mondiale favorise un retour progressif de la croissance en 2010-2011 dans pratiquement tous les pays de la région latino-américaine. 

– Le retour de la croissance -même si, selon notre scénario, elle devrait être plutôt molle- dans les pays développés les plus affectés par la crise devrait bénéficier à la plupart des économies de la région latino-américaine. Ainsi, les pays peu diversifiés en termes de partenaires commerciaux et qui entretiennent une relation privilégiée avec les Etats-Unis – c’est le cas du Mexique qui destine près de 80% de ses exportations à son voisin du nord mais aussi des économies d’Amérique centrale et de la Colombie – devrait cesser de subir l’impact négatif de la récession américaine.

On s’attend donc à un effet positif de la reprise de l’activité aux Etats-Unis sur la croissance de ces pays dont le cycle économique est très corrélé à celui de leur grand voisin du nord d’autant plus qu’ils ont accueilli les délocalisations d’activités d’assemblage et de manufactures de base de l’économie américaine et sont donc très dépendants en termes de production et d’investissement de la conjoncture nord-américaine. En même temps, les perspectives sur le marché du travail aux Etats-Unis et en Europe (Espagne principalement), si elles restent dégradées malgré le redressement de l’activité, devraient se répercuter, du moins en 2010, sur les volumes de transferts de migrants (importants pour le Mexique et aussi pour les petits pays de l’Amérique centrale et des Caraïbes, l’Equateur…). Ces transferts qui, selon les estimations de la Banque Mondiale, devraient baisser entre 5 et 10% en 2009, pourraient se stabiliser à des niveaux plus bas que dans le passé récent.

– Après la sévère correction à la baisse des prix des matières premières fin 2008-début 2009, on assiste actuellement à une remontée des cours. Néanmoins, notre scénario n’envisage pas à l’horizon 2011 un retour aux maxima atteints avant l’approfondissement de la crise internationale en septembre 2008. Ceci devrait avoir des impacts ambivalents sur la région. D’une part, pour les pays exportateurs de commodities (Amérique du sud et Mexique pour ce qui est du pétrole), cette évolution prévue des prix empêchera de miser sur une persistante amélioration des termes de l’échange, comme cela avait été le cas dans la période d’avant-crise. En revanche, pour les pays importateurs nets de matières premières (Amérique centrale, Chili pour l’énergie), une modération des prix de ces produits représentera une bouffée d’oxygène sur le solde courant.

L’évolution des cours a également un impact sur les finances publiques dans le cas des pays dont les recettes budgétaires dépendent largement des exportations de produits primaires. Si certains pays comme le Chili ont mis en place des règles d’excédent fiscal structurel et ont crée des fonds de stabilisation afin de réduire la sensibilité des dépenses publiques aux variations des prix des produits primaires, d’autres comme l’Argentine, l’Equateur et le Venezuela ont des dépenses plus procycliques et devrait se trouver dans une situation budgétaire moins aisée qu’avant 2008. Dans le cas de ces pays il semble difficile qu’ils puissent maintenir en 2010-2011 le rythme élevé de progression des dépenses publiques atteint pendant la période 2003-2008.

– Une reprise progressive du commerce international et des flux d’investissement devrait avoir lieu à partir de 2010. Sur le plan du commerce de biens et de services on observe dès à présent que la demande de matières premières – tirée surtout par la croissance chinoise- bénéficie à des pays de la région comme le Brésil ou le Chili pour qui les pays asiatiques sont devenus les premiers partenaires commerciaux au cours des deux premiers trimestres de l’année en cours. Si cette tendance se confirme, elle devrait permettre de relancer principalement les exportations des pays dont les échanges extérieurs sont orientés vers les pays émergents d’Asie.

Par ailleurs, selon le « World Investment Report 2009 » de la CNUCED, les IDE devraient connaître une reprise douce en 2010 (à environ 1400 mds USD) pour retrouver en 2011 leur niveau de 2008 (1800 mds USD), en grande partie sous l’impulsion de l’investissement dans les BRICs. La tendance à l’appréciation des commodities continuant, même si dans des proportions moindres que dans les dernières années, l’attractivité de la région sud-américaine comme destination d’IDE devrait se confirmer. D’autre part, si l’investissement dans les secteurs industriels et manufacturiers apparait moins florissant, le potentiel du marché domestique d’une économie comme celle du Brésil devrait demeurer un atout important. En termes généraux, les perspectives d’investissement international dans la région latino-américaine restent favorables pour 2010-2011.

Les conditions structurelles internes, clé de la diversité des situations nationales en 2010-2011

Bénéficiant d’une certaine amélioration de l’environnement international, plusieurs pays de la région ont commencé à montrer les premiers signes d’une reprise progressive de la croissance à partir du second semestre de 2009.

Cette reprise, qui n’empêchera pas que la région enregistre une récession modérée sur l’ensemble de l’année 2009, est favorisée également par la mise en place, dans de nombreux pays de la région, de mesures contra-cycliques dont les effets ont commencé à se faire sentir. Certes, l’effort consenti sur le plan budgétaire par les pays latino-américains pour mener à bien les politiques contra-cycliques est bien inférieur à celui qui a été effectué dans les pays qui ont été au centre de la crise ou dans d’autres pays émergents. Toutefois, les mesures de relance sur le plan budgétaire sont allées de pair, dans la plupart des cas, avec un assouplissement considérable des politiques monétaires.

Mais, au delà des signes d’amélioration de l’environnement international et de l’ampleur des politiques contra-cycliques, les dynamiques de croissance des pays latino-américains ne reposent pas sur les même moteurs et ne présentent pas les mêmes limites. Les atouts et les faiblesses structurels des différentes économies se révèlent maintenant à travers la résistance à la crise et les perspectives de sortie. La conjoncture tend ainsi à évoluer à partir du deuxième semestre de l’année vers des situations plus contrastées entre les différents pays. On peut illustrer cette diversité de situations avec les cas du Brésil et du Mexique, qui représentent ensembles les deux tiers du PIB de la région latino-américaine.

Alors que le Brésil est sorti de la récession au T2/2009, le Mexique connait une récession de l’ordre de celle de 1994-1995 (c’est-à-dire un recul du PIB en 2009 de l’ordre de 6-7%) et continue de présenter des indicateurs fortement dégradés. Certes, l’insertion commerciale internationale y est pour beaucoup (par exemple, le ratio Exportations/PIB est d’environ 15% au Brésil, où les échanges sont très diversifiés du point de vue des produits et de leur destination géographique, tandis qu’il est d’environ 30% dans le cas du Mexique, qui concentre plus de 80% de ses exportations sur les Etats-Unis). Mais les facteurs domestiques sont décisifs à l’heure d’expliquer l’évolution différentiée de ces pays et ils joueront un rôle déterminant dans les processus de sortie de crise.

Dans le cas du Brésil, la demande domestique –soutenue par des classes moyennes en expansion et un appareil productif assez intégré au plan national- a été un moteur important du cycle de croissance de 2003-2008. Sur la période 2004-T2/2008, alors que la croissance a été en moyenne de 4,9%, la consommation privée a progressé de 5,2% et la Formation Brute de Capital Fixe de 10,3%. Avec la crise, l’investissement a fortement chuté (contraction supérieure à 10% sur les deux premiers trimestres de 2009), du fait notamment du resserrement du crédit et de la dégradation des anticipations. Mais la consommation privée a bien résisté enregistrant des taux de croissance de 2,3%, 1,5% et 3,1% au T4/2008 et T1, T2/2009 respectivement.

Dans un contexte où le scénario externe ne se caractérisera pas par une amélioration substantielle, le dynamisme de la demande domestique apparait comme une force de l’économie brésilienne et un moteur important de la reprise. De fait, l’indicateur de confiance des consommateurs s’est stabilisé et les ventes au détail sont restées dynamiques, avec une croissance de près de 5,5% sur la période octobre 2008-juillet 2009. La croissance du crédit au secteur privé a ralenti mais reste supérieure à 15% alors que la dégradation du marché du travail semble se stabiliser. Si le chômage continue d’augmenter du fait d’une hausse des recherches d’emploi, les destructions de postes ont été quasiment compensées par de nouvelles créations durant les trois derniers mois.

Dans ce cadre, le Brésil pourrait même échapper à la récession en 2009 et devrait évoluer rapidement vers une croissance se situant autour de 4% à l’horizon 2011.

Néanmoins, le pays connait encore d’importantes limitations structurelles qui brident le potentiel de croissance, notamment des insuffisances en termes d’éducation, de sécurité sociale, de marché du travail, d’inégalités et de pauvreté, d’infrastructures. Des réformes importantes semblent peu probables à très court terme alors que l’élection présidentielle aura lieu en octobre 2010.

Dans le cas du Mexique, la croissance montrait déjà des signes d’essoufflement dès le début de 2008. Très dépendant des industries manufacturières tournées vers l’exportation, la production industrielle s’est fortement détériorée avec la récession aux Etats-Unis entrainant également une forte détérioration du marché du travail.

Dans ce cadre, le pays connait d’importantes limitations structurelles pour relancer les moteurs internes de la croissance, notamment une faible productivité, des niveaux d’épargne et d’investissement bas et un capital humain et des infrastructures de qualité insuffisante. De plus, la spécialisation productive du pays se heurte à la concurrence des pays asiatiques, en particulier de la Chine, sur le marché américain et sur son propre marché. Qui plus est, les réformes nécessaires pour s’attaquer aux faiblesses structurelles se heurtent à des obstacles politiques qui semblent difficiles à surmonter avant l’élection présidentielle prévue en 2012.

Conclusion

Le scénario 2010-2011 est celui d’une reprise graduelle de la croissance avec un retour de la diversité à l’échelle de la région. Dans un cadre d’économie mondiale plutôt atone ce sont les caractéristiques structurelles des divers pays qui feront la différence dans les perspectives de reprise. Dans la mesure où les effets sociaux de la crise ne seront pas effacés dans un cadre de reprise modérée il faudra suivre attentivement leur impact sur le cycle d’élections présidentielles et législatives qui auront lieu d’ici à 2011.

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