Banques américaines : le vertige du coût du risque

par Estelle Honthaas, économiste au Crédit Agricole

La crise bouleverse le paysage bancaire américain avec une violence inédite depuis les années 30. Or la remise rapide en ordre de marche du système bancaire est un impératif clef pour le gouvernement américain : le succès des plans de relance de l’économie en dépend en grande partie. On peut donc s’attendre à un interventionnisme étatique accru, tant pour garantir la solvabilité des intermédiaires financiers que pour organiser leur future supervision.

Les banques américaines ont payé un lourd tribu à la crise financière. Le résultat agrégé des 8 300 banques commerciales et caisses d’épargne assurées par la FDIC1 a chuté jusqu’à devenir négatif au 4e trimestre 2008, mais également au titre de l’année 2008, plombé par les dépréciations sur titres, les dépréciations de survaleurs et l’accroissement du coût du risque. Parallèlement, le business model des banques d’investissement a volé en éclat, sous l’effet d’un excès de levier et des tensions persistantes sur le front des taux interbancaires. Bear Stearns et Merrill Lynch ont été rachetés respectivement par JP Morgan Chase et Bank of America, tandis que Lehman Brothers faisait faillite, et que Goldman Sachs et Morgan Stanley, pour échapper à la crise de liquidité et au risque d’un adossement, prenaient le statut de « financial holding company ».

Cette lame de fond a également emporté nombre de banques commerciales : 50 ont fait faillite depuis début 2008 (dont 29 depuis début 2009), et la FDIC dit s’attendre à un accroissement considérable de ce chiffre dans les mois à venir. Une recomposition accélérée du paysage bancaire américain, un des plus fragmenté au monde, est donc en cours. Elle devrait se poursuivre, poussée par la dégradation de la conjoncture, qui contraindra de nombreux établissements fragilisés à disparaître et à être adossés à d’autres, plus solides.

Des résultats sous tension

Au-delà des dépréciations sur titres, directement liées à la crise financière, qui ont miné les revenus des banques d’investissement2, les banques commerciales font à leur tour face à une dégradation accélérée de leurs résultats : la dégradation brutale de l’environnement économique entraîne en effet une réévaluation massive du coût du risque. Le phénomène classique de dégradation de la qualité du crédit prend à ce stade de la crise une tournure potentiellement plus dangereuse dans un contexte où la capacité de résistance aux chocs des banques a été largement entamée par les dépréciations sur titres, et où, fait aggravant, l’ampleur de cette dégradation semble bien plus sévère que lors de crises précédentes. Le coût du risque a ainsi absorbé en 2008 80% du Résultat Brut d’Exploitation de l’ensemble des banques commerciales américaines. Rapporté aux encours de crédit, il atteint 2,2% au 31 décembre 2008, soit le niveau le plus haut atteint depuis les années 303.

A court terme, les perspectives d’amélioration sur ce front sont faibles. Le ratio de réserves, qui mesure la part des créances douteuses et litigieuses couvertes par des provisions, poursuit sa dégradation et s’établissait à 74% au 31 décembre 2008. La qualité des créances au bilan des banques se dégrade ainsi plus vite encore que le provisionnement, pourtant déjà élevé, et concerne à présent l’ensemble des segments d’activité. A l’augmentation mécanique du coût du risque que l’on peut donc attendre se rajoutera celle liée à la poursuite de la dégradation de la conjoncture, au moins pour le 1er semestre 2009. Les résultats des banques commerciales américaines devraient donc en être encore durement impactés lors des prochains trimestres.

L’embellie relative qui semble se dessiner au 1er trimestre 2009 sur les résultats des banques doit être interprétée avec prudence. Certes, on observe bien une diminution nette des dépréciations sur titres et des dépréciations de survaleurs. Les banques ont par ailleurs largement profité de la repentification de la courbe des taux. Mais la pérennité de ces résultats, largement tirés par les activités de BFI, semble loin d’être acquise. Quelques artifices comptables, le relâchement bienvenu des normes comptables FASB sur la fair value, ou encore une part de résultats exceptionnels importante ne permettent guère d’anticiper une amélioration durable des résultats des banques commerciales.

Quelles perspectives ?

A court terme, il est probable que pour faire face à la dégradation de leurs résultats, les banques américaines poursuivent les ajustements entamés en 2008, en particulier le deleveraging et la réduction de leurs charges d’exploitation. Ce double mouvement devrait se traduire par des suppressions d’emplois massives et par la poursuite de cessions d’actifs considérés aujourd’hui comme non stratégiques. Mais les pouvoirs publics auront à cœur que ce deleveraging ne se fasse pas au détriment du financement de l’économie. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agira progressivement pour les banques de palier aux déficiences des marchés de la titrisation pour assurer une continuité de financement de l’économie, un rôle temporairement et massivement joué par la Réserve fédérale actuellement. 

Autrement dit le Trésor et la Fed veilleront à ce que les banques soient capables d’« encaisser » la réintermédiation attendue du financement de l’économie américaine, alors même que les tensions sur leurs fonds propres sont à un niveau élevé. La tâche s’annonce lourde, dans une économie où seulement le tiers des crédits immobiliers résidentiels et la moitié des prêts industriels et commerciaux sont à ce jour au bilan des banques.

C’est dans cet esprit qu’ont été mis en place les plans de soutien TARP4 et FSP5 en octobre 2008 et février 20096. Les premiers résultats publiés par la Fed suggèrent que les injections de fonds du TARP n’ont permis d’amortir que partiellement la diminution du volume de prêts accordés par les plus grandes banques. L’Etat pourrait toutefois être amené prochainement, à l’issue des stress tests par exemple, à augmenter plus fortement sa pression sur ces établissements, en les recapitalisant directement (nouvelles injections de capitaux) ou indirectement (conversion de titres de dette en actions ordinaires).

Le renforcement à marche forcée du ratio de solvabilité des principales banques, de même éventuellement qu’une implication de l’Etat plus importante dans leur gestion, aurait pour objectif de soutenir un peu plus encore le marché du crédit.

A plus long terme, la question du modèle et de la régulation future des banques américaines est posée. Le Trésor et la Fed semblent notamment déterminés à éviter que le système bancaire puisse à nouveau être déstabilisé par des établissements « too big to fail ». Les autorités publiques proposent pour cela différentes pistes, telles l’unification des régulateurs, le renforcement des exigences de ratios de solvabilité, la régulation des plus gros hedge funds, etc7. Cette volonté politique mérite d’être soulignée, car la défaillance de la régulation américaine a joué un rôle non négligeable dans l’enchaînement d’évènements ayant conduit à la crise actuelle. Les autorités publiques peuvent maintenant se heurter à deux types d’écueils : celui d’une surréglementation contreproductive, et celui d’une modification trop timide de la réglementation, sous la pression d’un lobby bancaire qui pourrait retrouver de la vigueur à la faveur de l’amélioration des résultats des banques.

NOTES

1) La FDIC assure les dépôts des 7 085 banques commerciales et des 1 220 caisses d’épargne américaines, soit l’essentiel de l’activité de banque de détail aux Etats-Unis.
2) Les dépréciations au sens large ont, selon Bloomberg, coûté près de 500 milliards de dollars aux banques américaines depuis le début de la crise.
3) Les écarts importants en 1987 et 1989 étaient liés à l’assainissement définitif des bilans suite à la crise de la dette du début des années 80.
4) Troubled Assets Relief Program.
5) Financial Stability Program. Cf. article « Les Etats en soutien des banques ».
6) La relance de la titrisation, via la TALF (Term Asset-Backed Securities Loan Faci- lities), dotée de 1 000 milliards de dollars, est également prévue dans le FSP. Les premiers résultats de cette mesure semblent montrer une réticence importante des investisseurs à y recourir.
7) Pistes proposées par le Trésor le 26 mars 2009 : http://www.ustreas.gov/press/releases/tg72.htm

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