Banques européennes : des résultats encourageants au T3 2009

par Céline Choulet et Laurent Quignon, économistes chez BNP Paribas

Les grandes banques européennes ont globalement confirmé, au troisième trimestre 2009, le redressement de leurs résultats nets.

Les banques de financement et d’investissement ont bénéficié de revenus d’activité particulièrement dynamiques, permettant d’absorber les dotations aux provisions supplémentaires sur les actifs reclassés en banking book. 

Sur les marchés domestiques de banque de détail, le redressement des marges a compensé le ralentissement des volumes. Le coût du risque présente des signes de stabilisation au troisième trimestre, mais le décalage traditionnellement observé entre les évolutions conjoncturelles et les provisions incite à la prudence. 

Le risque de crédit continue de progresser dans les pays émergents mais demeure gérable en raison de l’exposition modérée, en moyenne, des grandes banques européennes à ces économies. 

Les grandes banques européennes ont renforcé leur solvabilité dans la perspective des nouvelles exigences prudentielles qui devraient être instaurées dans le prolongement du G20.

Des revenus dynamisés par les activités de BFI 

Sur les neuf premiers mois de l’année, les produits nets bancaires des grands établissements de crédit européens se sont vigoureusement redressés.

  • La normalisation du coût des ressources, après les tensions extrêmes qui ont affecté l’Euribor 3 mois à la fin de 2008, a compensé l’incidence du ralentissement des volumes, et notamment de la demande de crédit des ménages et des sociétés non financières, sur les revenus de banque de détail qui ont connu des évolutions positives, sur un an glissant, au cours des neuf premiers mois 2009. Si les taux sur la production nouvelle de crédits s’inscrivent en recul depuis le début de l’année, les systèmes bancaires caractérisés par la prépondérance des prêts à taux fixe (Allemagne, France, Suisse) ont, néanmoins, restauré leurs marges sur les opérations en cours à la faveur de la baisse des taux de marché (politique monétaire accommodante, baisse du coût de la liquidité interbancaire).

Les grands établissements italiens ont, en revanche, été pénalisés par la suppression des intérêts sur les découverts et la contraction des marges sur les ressources découlant d’une plus forte concurrence sur les dépôts.

Les deux grandes banques espagnoles (Santander et BBVA) ont, quant à elles, tiré leur épingle du jeu grâce à leur diversification géographique, tandis que les caisses d’épargne locales demeurent confrontées à un contexte national hostile (retournement du marché immobilier, forte progression du chômage, recul du PIB depuis cinq trimestres).

Au cours des prochains mois, les revenus nets d’intermédiation devraient pâtir d’un freinage supplémentaire des encours de prêts à l’habitat (poursuite de l’ajustement des marchés immobiliers britanniques, espagnols et français) et d’une faible demande de crédits à la consommation (dégradation des marchés du travail) et de financements de la part des sociétés non financières (réticence à investir, arbitrage en faveur des émissions obligataires). Le contexte monétaire (statu quo monétaire de la BCE, repentification de la courbe des taux) devrait, toutefois, préserver les revenus d’intérêts récurrents sur les opérations en cours.

  • Les bonnes performances du troisième trimestre s’expliquent, plus largement, par la progression des revenus issus des activités de banque de financement et d’investissement alors même que ces activités pâtissent généralement d’un effet saisonnier négatif au troisième trimestre. Ainsi, le produit net bancaire agrégé des pôles BFI des grandes banques françaises, qui avaient fondu de moitié entre 2006 et 2008 dans le sillage de la crise financière, a progressé de 60% au cours des neuf premiers mois 2009. Les émissions obligataires des agents résidents de la zone euro ont, en effet, accéléré depuis le début de l’année (+10%), dynamisées par la sphère publique (+15% environ) et les sociétés non financières (+15%). La baisse des bid/offer spreads, à partir d’un niveau anormalement élevé, a contribué à soutenir les volumes.

La demande de produits de crédit a enregistré une reprise, tandis que celle de dérivés a bénéficié d’importants besoins de couverture exprimés par la clientèle. Les revenus d’activités des banques allemandes (Deutsche Bank, HypoVereinsbank), britanniques (Barclays, HSBC, Lloyds, RBS), italiennes (Unicredit, Intesa Sanpaolo) et suisses (UBS, Credit Suisse) ont également profité de cet environnement plus favorable.

  • Sur les neuf premiers mois, les banques actives en gestion de fortune et gestion d’actifs, telles que Deutsche Bank et Credit Suisse, ont publié des revenus stables, voire en progression et bénéficié d’un afflux net de capitaux de EUR 10 milliards et CHF 17 milliards, respectivement au troisième trimestre. La suisse UBS, qui suscite encore la méfiance d’une partie de la clientèle, se distingue de sa consoeur : sur ces deux pôles, ses revenus se sont érodés sur un an, et, quoique en diminution, de nouvelles sorties nettes de capitaux ont été constatées au troisième trimestre (CHF 36,6 milliards).

Les charges d’exploitation demeurent maîtrisées

De manière générale, le contrôle des coûts (plus particulièrement en banque de financement et d’investissement) et les cures d’austérité (restructurations, cessions d’actifs) imposées par la Commission européenne ont permis de contenir la croissance des frais généraux sur les neuf premiers mois. Bénéficiant, de surcroît, d’un effet dénominateur (croissance des PNB), les coefficients d’exploitation des grandes banques européennes ont, de ce fait, diminué. La maîtrise des frais de gestion (+4,9%) a permis une baisse du coefficient d’exploitation des grandes banques françaises (65,1% au cours des neuf premiers mois de 2009 pour notre échantillon contre 72,6% un an plus tôt). Cette amélioration n’efface toutefois que partiellement la dégradation du coefficient d’exploitation enregistrée depuis 2007.

La banque allemande Commerzbank fait figure d’exception (hausse du ratio de frais généraux au PNB à 75%), l’acquisition de Dresdner Bank ayant conduit à des charges d’intégration importantes (hors charges de restructuration qui se sont élevées à EUR 1,4 milliard sur les neuf premiers mois et EUR 600 millions supplémentaires prévus au quatrième trimestre). Par ailleurs, les marges structurellement moins confortables des systèmes bancaires allemands, français ou suisses limitent le potentiel de baisse de leurs coefficients d’exploitation en période de reprise des revenus d’intermédiation.

Le coût du risque sous le joug de la conjoncture

La montée du coût du risque relatif au banking book a affecté l’ensemble des banques européennes, et les dotations aux provisions atteignent désormais un niveau relativement élevé. Selon les estimations Bloomberg, les pertes et dépréciations se seraient établies, pour l’ensemble des banques européennes, à EUR 58 milliards en cumul sur les neuf premiers mois de 2009 contre EUR 128 milliards un an plus tôt. En outre, le plus faible montant de pertes et dépréciations depuis le début de la crise (EUR 5,4 milliards) a été enregistré au troisième trimestre. Si le coût du risque semble avoir atteint un palier pour les portefeuilles domestiques de banque de détail et de BFI, la dégradation de la qualité des actifs s’est poursuivie à un rythme modéré au sein des réseaux internationaux, en particulier dans les économies émergentes. La situation des grandes banques françaises apparaît, à cet égard, assez représentative de celle du système bancaire européen.

Ainsi, notre échantillon de banques françaises a connu une hausse globale de 110,3% du coût du risque entre les neuf premiers mois 2008 et 2009, exclusivement concentrée sur le premier semestre. Les réseaux de détail, qui concentrent désormais plus de la moitié du coût du risque, ont contribué à hauteur des deux tiers à cette hausse (+115%). La détérioration de la qualité des créances dans les pays émergents et aux Etats-Unis fut à l’origine du quasi-triplement du coût du risque au sein des réseaux internationaux (+171% pour l’ensemble de l’échantillon). Dans le même temps, au sein des activités de banque de financement et d’investissement, le coût du risque a connu une progression (+88% pour l’échantillon) inférieure aux évolutions d’ensemble et, à l’exception du Crédit Agricole, a enregistré un recul entre les deuxième et troisième trimestres 2009.

  • La charge des prêts douteux en banque de détail s’est, peu ou prou, stabilisée entre les deuxième et troisième trimestres 2009, tant en montant qu’en proportion des actifs pondérés. Au cours des neuf premiers mois de 2009, le coût du risque a doublé au sein des réseaux domestiques des banques françaises (+104%) par rapport à la même période de 2008 mais n’a pas connu d’évolution significative entre les deuxième et troisième trimestres, suggérant l’apparition d’un palier.

Certains systèmes bancaires se distinguent toutefois par la persistance d’un risque important sur leur marché domestique. Ainsi, les banques commerciales et caisses d’épargne espagnoles, déjà très affectées par les vagues de créances douteuses sur les prêts immobiliers, sont suspectées par le régulateur de minimiser certaines pertes (dépréciations des actifs immobiliers rachetés aux promoteurs en difficulté en fin d’année 2008). Pour ce motif, la Banque d’Espagne s’apprêterait à relever la contrainte de provisions à 20% de la valeur des actifs (contre 10% précédemment), laissant entrevoir une montée du coût du risque. Les grandes banques espagnoles ont, d’ores et déjà, décidé de dédier une partie de leurs bénéfices à la reconstitution de leur matelas de provisions génériques. En Allemagne, le segment des PME allemandes (Mittelstand) devrait encore constituer un foyer de risque pour les Landesbanken et Commerzbank, très actives sur ce pôle d’activité (sur les neuf premiers mois, le coût du risque sur le Mittelstand a été multiplié par 5 chez Commerzbank).

  • Les transferts d’actifs de trading et d’actifs disponibles à la vente vers les portefeuilles de prêts et créances (autorisés par l’amendement de la norme IAS 39 et opérés principalement à la fin de l’année 2008 et au premier trimestre 2009) ont jusqu’à présent contribué à alourdir la charge du risque. Si le reclassement de certains actifs financiers, précédemment valorisés à la juste valeur, en actifs comptabilisés en coût historique ou amorti, immunise efficacement le produit net bancaire contre les moins-values supplémentaires, il impose la constitution de dotations pour couvrir les risques afférents. Sur les neuf premiers mois de l’année, les transferts ainsi opérés ont expliqué 45% et 56% du coût du risque de Deutsche Bank et d’UBS respectivement (lesquels transferts représentent en cumul 2,1% et 1,4% de leurs actifs totaux, respectivement). 

Les reclassements ont contribué à 70% du doublement de l’encours des prêts douteux de la Deutsche Bank (fortement concentrés en BFI) sur les neuf premiers mois. L’élargissement des instruments susceptibles d’être reclassés, entériné la semaine passée par l’IASB, pourrait réitérer les transferts de risques du trading book vers le banking book, et affecter l’évolution du coût du risque des banques qui auraient recours à cet amendement comptable. Enfin, l’écart persistant entre les valeurs comptable, nette des provisions déjà passées, et de marché de certains actifs structurés reclassés en vertu de l’amendement à la norme IAS 39 rend probable des provisions supplémentaires jusqu’au début de 2010.

  • La hausse du coût du risque dans les pays émergents, en particulier dans certains pays d’Europe de l’Est, est susceptible de peser sur les résultats des établissements les plus exposés.

Selon les statistiques de la BRI, les expositions aux pays d’Europe centrale et orientale constituent 3,8%, 1,9% et 1,3% des actifs des systèmes bancaires italien, allemand et français respectivement. Les dotations de Commerzbank et Unicredit sur les portefeuilles détenus en Europe de l’Est ont déjà été multipliées par cinq sur les neuf premiers mois par rapport à la même période de 2008.

Les banques européennes ont, à de rares exceptions, renoué avec les bénéfices

Les grandes banques européennes de notre échantillon ont enregistré un résultat global de EUR 24 milliards au cours des neuf premiers mois 2009, en hausse de 7,4% par rapport à la même période de 2008 (+11,9% entre les troisièmes trimestres 2008 et 2009). Les quatre grands établissements (Commerzbank, Lloyds, RBS et UBS), qui ont publié une perte nette au troisième trimestre 2009, ont été pénalisés par de lourdes charges hors exploitation. Les banques allemande Commerzbank et britannique Lloyds ont constaté une dépréciation de leur goodwill (écart d’acquisition). La première pour un montant de EUR 716 millions en lien avec l’acquisition de Dresdner Bank en début d’année. La seconde pour un montant de 11,2 milliards de livres dans le cadre du rapprochement avec HBOS.

De même, le creusement de la perte de la banque britannique RBS au troisième trimestre tient exclusivement à la disparition du gain financier sur sa propre dette dont elle avait bénéficié au deuxième trimestre, en raison de l’élargissement de son spread de crédit. La banque suisse UBS a, quant à elle, enregistré au troisième trimestre une charge de CHF 1,4 milliard consécutive au resserrement de son spread (après CHF 1,2 milliard au T2, laquelle devrait perdurer au quatrième trimestre) et un coût de CHF 714 millions lié à la finalisation de la cession d’UBS Pactual (CHF 409 millions) et à la conversion en août 2009 d’obligations convertibles (MCN) (CHF 305 millions) (UBS avait bénéficié d’une injection de fonds par le gouvernement suisse de CHF 6 milliards en octobre 2008, dont 12,5% sous forme de MCN). 

 Des structures financières renforcées

Les levées de fonds propres réglementaires, par augmentation de capital ou dans le cadre des plans de soutien gouvernementaux, la génération organique de fonds propres et la baisse des emplois pondérés ont permis aux grandes banques européennes de renforcer leur solvabilité, portant leurs ratios de noyau dur à des niveaux historiques et conformes aux standards internationaux, dans la perspective d’un relèvement des exigences prudentielles par le Comité de Bâle à partir de 2012. Par ailleurs, les banques françaises ont déjà remboursé les titres détenus par l’Etat en faisant partiellement appel au marché (actions ordinaires pour BNP Paribas et Société Générale), aux investisseurs institutionnels et privés (émissions de titres de dette subordonnés par le Crédit Agricole), ou aux sociétaires (émissions de parts sociales par BPCE). Le remboursement des EUR 18,2 milliards injectés par l’Etat allemand dans Commerzbank devrait être plus tardif.

Enfin, trois établissements européens vont prochainement bénéficier d’un renforcement du soutien public (RBS pour l’équivalent de EUR 28,5 milliards supplémentaires, Lloyds pour l’équivalent de EUR 6,5 milliards – GBP 5,7 milliards – et la banque italienne Monte dei Paschi pour EUR 1,9 milliard). Les groupes Unicredit et Lloyds ont, enfin, annoncé des augmentations de capital par appel au marché de EUR 4 milliards et GBP 7,8 milliards.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas