Banques européennes : une contagion en ordre dispersé

par Rémy Contamin, économiste au Crédit Agricole

Au 1er trimestre 2009, les banques américaines ont continué à subir une forte dégradation de la qualité de leurs créances, tout en bénéficiant pour celles exposées en banque d’investissement de moindres dépréciations sur titres. Au total, le premier trimestre suscite finalement encore une fois plus de questions que de réponses sur le profil du coût du risque et sur la soutenabilité des performances en banque d’investissement. En Europe, alors que la publication des comptes commence tout juste, des tendances similaires sont attendues, avec toujours une hétérogénéité marquée selon les profils de risque et l’exposition géographique des banques.

Si l’on s’en tient aux données agrégées collectées par Bloomberg, la crise aurait coûté jusque-là environ 300 Mds $ aux banques européennes, nécessitant en contrepartie l’injection de fonds propres prudentiels à hauteur de 350 Mds $. Ce coût est tout d’abord très largement imputable à la dépréciation de structurés de crédit ayant comme sous-jacents des actifs américains. Il tient ensuite à la violente dégradation de l’ensemble des marchés financiers fin 2008 et début 2009.

Mais il s’explique aussi de manière croissante par la dégradation de situations locales dont les fragilités latentes les plus criantes ne résistent pas aux tensions causées par la propagation de la crise financière. Il en est ainsi des bulles immobilières les plus importantes qui se dégonflent rapidement, tout comme de la détérioration de la situation des pays de l’Est, ou encore des dépréciations substantielles de goodwill passées par les acteurs ayant réalisé de trop coûteuses acquisitions ces dernières années.

La lecture des résultats des banques européennes au 2e semestre 2008 met en évidence ces tendances. Les performances sont en net recul par rapport au 1er semestre, avec une différenciation qui reste marquée par le degré d’exposition des établissements aux activités de banque de financement et d’investissement (BFI) et de gestion d’actifs, qui enregistrent des dépréciations substantielles d’actifs, des pertes de trading et des pertes sur des produits tels que les dérivés actions1.

Une détérioration marquée du coût du risque affecte en outre déjà fortement les banques présentes dans les pays à endettement privé élevé et aux prix immobiliers les plus surévalués. Irlande, Danemark et Royaume-Uni sont particulièrement concernés par la baisse des prix de l’immobilier résidentiel et commercial et des récessions sévères (sans parler du cas paroxysmique de l’Islande), tout comme l’Espagne où les banques ont cependant été jusque-là bien protégées par les provisions génériques constituées dans le passé. La propagation de la crise aux pays de l’Est en fin d’année commence à se traduire par un impact significatif sur les comptes des banques les plus exposées à cette région.

La comparaison des performances entre établissements est toujours rendue difficile par de nom- breux éléments exceptionnels liés à la volatilité des marchés financiers et inscrits dans divers postes de bilan et de compte de résultat2. De même, les transferts opérés du trading book au banking book, permis dès le 3e trimestre 2008, ont pris des ampleurs variables selon les banques.

Sur un échantillon de 26 grandes banques européennes, 12 étaient en perte sur l’année 2008 et 15 au 2e semestre. Parmi les établissements dont les résultats résistent encore relativement bien à la matérialisation de l’ensemble de ces risques, deux profils se dégagent :

  • d’une part, les banques qui disposaient d’une activité de BFI réduite avant la crise et qui n’ont pas dopé leur trésorerie aux actifs toxiques. Les banques espagnoles et dans une moindre mesure italiennes entrent dans cette catégorie, ainsi que des établissements comme Nordea et Rabobank (cette dernière bénéficiant par ailleurs des déboires de ses principaux concurrents au Bénélux). La dégradation du marché immobilier espagnol devrait cependant progressivement impacter davantage les comptes des banques de taille moyenne et des caisses d’épargne les plus exposées aux promoteurs. De même, la détérioration de la conjoncture en Amérique latine affectera aussi davantage les comptes de Santander et de BBVA en 2009. De leur côté, les plus grandes banques italiennes pourraient continuer à enregistrer des pertes en Europe de l’Est.
  • d’autre part, les banques qui avaient réussi à garder un certain équilibre de leurs activités, tout en ayant comme principal marché domestique un pays aux fondamentaux immobiliers relativement sains.

Perspectives : toujours au milieu du gué

En 2009, au-delà de la normalisation des performances en banque d’investissement, l’exposition géographique en banque de détail constituera un facteur important de différenciation des performances. Et cela qu’il s’agisse des marchés domestiques avec des ajustements plus ou moins profonds des marchés immobiliers, ou des choix passés d’expansion internationale. Les banques fortement implantées dans les PECO sont les premières visées, sans que l’on ne puisse exclure l’élargissement des turbulences à d’autres zones géographiques.

Globalement, et même en supposant l’absence de « Lehman bis » en 2009, le redressement des comptes des principaux groupes bancaires européens ne sera que progressif :
– des dépréciations restent à supporter sur un certain nombre d’actifs3 ;
– la récession dans laquelle l’essentiel des économies est plongée ne peut que se traduire par un fort accroissement du chômage et par des faillites d’entreprises. L’accroissement du risque de contrepartie engagé en seconde partie d’année 2008 est ainsi destiné à se poursuivre et le profil de remontée du coût du risque des activités de banque de financement constitue une inconnue importante4 ;
– les filiales situées dans les pays émergents les plus fragiles devraient continuer à être une source de perte ;
– même si des écritures de cette nature ont déjà été passées au 4e trimestre 2008, parfois très significatives (RBS, HSBC, Fortis…), l’année 2009 continuera a être marquée par des dépréciations de goodwill suite aux acquisitions réalisées ces dernières années à des prix élevés ;
– de leur côté, les bons résultats réalisés et probablement à venir de la plupart des banques d’investissement au 1er trimestre 2009 suggèrent que le pire de la crise est, enfin, vraiment derrière en ce qui concerne ces métiers les plus sensibles aux marchés financiers. De nombreux exceptionnels encore extériorisés par certains groupes, une conjoncture économique très dégradée et des produits structurés restant parfois encore à traiter doivent certes relativiser ce diagnostic. Les effets de base liés à de moindres dépréciations et à des marchés financiers volatiles mais moins déprimés qu’au paroxysme de la crise, ainsi qu’une concurrence réduite par la disparition ou la restructuration d’un certain nombre d’acteurs, pourraient néanmoins s’avérer des facteurs de normalisation durable de ces performances en banque d’investissement.

Au total, que ce soit pour les banques européennes ou les banques américaines, les rentabilités « courantes », hors éléments non récurrents et directement liés à la dislocation de certains marchés, sont délicates à apprécier à la lecture des comptes 2008. En toute hypothèse, elles sont très inférieures aux niveaux observés entre 2005 et 2007. A moyen terme, le retour aux niveaux de rentabilité qui prévalaient avant la crise n’est pas acquis. D’une part, ces rentabilités étaient dopées aux effets de levier, ce qui a d’ailleurs constitué le terreau de la crise actuelle. Les perspectives de ROE seront ainsi affaiblies par des exigences de fonds propres accrus. De plus en plus, ces contraintes passent par la création de « vrai » capital, c’est-à-dire l’émission d’actions ordinaires, les émissions massives d’actions de préférence ou autres hybrides ayant montré leurs limites. Une meilleure évaluation des risques au bilan comme au hors bilan, spontanée ou imposée, pèsera également plus fortement que par le passé sur cette rentabilité. D’autre part, l’abandon des produits trop structurés et complexes au profit de produits « vanille » moins margés et la réduction des volumes impactera aussi les revenus en BFI, en gestion d’actifs dans les réseaux distribuant ces produits, avec toutefois un effet contraire favorable, lié à la réduction des surcapacités bancaires.

NOTES

1. Ces postes ont particulièrement souffert de la volatilité exceptionnelle des marchés financiers au 4e trimestre 2008 suite à la faillite de Lehman Brothers.
2. Parmi eux, les réévaluations des passifs ont été utilisées de manière différenciée selon les acteurs, ce qui sera également source d’hétérogénéité à l’avenir, lorsque les opérations inverses seront enregistrées via le compte de résultat.
3. Notamment ceux liés au crédit corporate ou à l’immobilier commercial.
4. Il n’est pas à exclure que l’encouragement au crédit pour alimenter le financement de l’économie dans la plupart des pays européens n’ait dans certains cas pour contrepartie une détérioration supplémentaire de la qualité des actifs bancaires.